Avant de s’interroger sur la présence de sens dans une oeuvre d’art il convient de s’interroger sur la notion-même d’oeuvre d’art.
Et nous devons aussi nous pencher sur la question de savoir si l’architecture, et plus largement nos villes et leurs espaces publics, sont ou peuvent être de l’art.

Si l’on croit l’expérience commune, relève de l’art tout objet qui ne sert à rien selon l’appréciation première, et qui, en même temps, nous procure bien-être, joie, apaisement, ou sinon intérêt, voire attachement. A ce titre un alignement régulier de façades haussmaniennes, une subtile courbe de rue, une place ancienne ou moderne, modeste ou centrale, régulière ou pas, fruit de l’intellect ou des strates historiques, relève certainement de l’art, tout comme une passerelle ou une piste cyclable dont les accès et les courbes sont justes, simplement.

Tenons donc pour art ce qui semble ne servir à rien (mais est juste ce qui procure un sentiment de perfection), a été construit par un être humain, et admettons que ce qualificatif peut s’appliquer aussi à des œuvres artisanales, architecturales ou urbanistiques.

Pour le sens d’un bâtiment, cela a été bien décrit. « Classique » et régulier signifie l’ordre de l’Etat, baroque signifie exubérance, libération et joie… Roger Garaudy, dans son ouvrage « 60 œuvres qui annoncèrent le futur » (Skira, 1974) a montré que les œuvres de la peinture occidentale étaient le reflet du futur, étaient, en quelque sorte, annonciatrices de ce qui était en train d’advenir. On peut en dire autant de l’architecture et des formes urbaines.

Une passerelle passe facilement pour de l’art, même si elle se révèle mal commode à l’usage, mais l’insertion d’une piste cyclable, un simple carrefour devenant fluide, une place de village ou de banlieue, peuvent être qualifiés de « grand art », même si peu de gens le percoivent. Comparons les deux ancrages de la passerelle des deux-rives au-dessus du Rhin (Strasbourg – Kiel). D’un côté simple et charmante, de l’autre brutale et sans recul… on voit où se trouve « l’art », et pourtant l’espace se trouve là où cela est brutal… Une route de déviation, un viaduc, pour beaux ouvrages qu’ils soient, doivent être vus comme révélateurs de la société qui les a suscités. Les compositions urbaines de Pouillon ne sont-elles pas aussi du « grand art », apportant sérénité et sentiment de grandeur à ses visiteurs, alors que les façades « presque pareil » n’inspirent … rien, ou de l’anonymat? Cela aussi est révélateur des intentions qui ont présidé à la construction. Une simple piste cyclable ne sera jamais considérée comme une œuvre d’art, pourtant elle peut être du « grand-art ». De cet art de faire qui signifie attention à autrui, priorité d’attention à qui va l’utiliser, amour de ce qui fait la ville, discrètement, chaque jour.

L’architecture et la composition urbaine révèlent l’attention apportée aux humains et les priorités adoptées là et à ce moment. A ce titre et au-delà du jeu sur les mots, si toutes sont des œuvres, certaines d’entre elles sont des œuvres d’art. Là vous me suivez, mais songez que je parle aussi des constructions discrètes. J’insiste pour dire que toute œuvre a bien un sens, et répète que toute œuvre d’art a aussi un sens. Mais peut-on dire que toute œuvre est de l’art ? Non, toute œuvre n’est pas de l’art, encore moins du grand art… Mais toutes les œuvres des lecteurs de Lumières de la ville visent certainement à en mériter le qualificatif !

Isabelle Lesens,
copie pour le baccalauréat,
pas du tout conforme aux attentes des correcteurs de l’Education nationale,
mais peut-être admissible pour publication dans Lumières de la ville ?