philo

Les épreuves de philosophie se sont déroulées lundi matin. Des milliers d’élèves de terminale ont planché durant quatre heures. Trois sujets au choix, dont deux de dissertation.

Lumières de la Ville a proposé à quatre spécialistes de la ville de plancher sur quatre sujets de leurs choix, parmi les sujets tombés ce matin, en prenant l’urbain comme seul angle.

Au programme : Un écrivain, un architecte, un photographe et un avocat d’architecture.

Voici la « copie » rendue par Michel Huet qui a traité le sujet donné aux élèves de Terminale S :

« L’artiste est-il maître de son œuvre ? »

Pour le juriste du droit d’auteur, l’artiste, c’est l’écrivain, le peintre, le musicien protégés par la simple formalisation d’une idée dès lors qu’elle est originale. Détenteurs d’un droit moral qui oblige quiconque, sous peine de contrefaçon, à citer leur nom, ils ont la maîtrise de leur œuvre qui ne peut être modifiée sans leur accord. Ils ont seuls le droit de modifier leur œuvre. Ainsi, le peintre Bonnard avait-il le droit, dans les salles d’exposition, de venir avec son tabouret et sa palette et de reprendre ou compléter son œuvre dont il n’était pas satisfait.

En matière d’architecture, qui est une œuvre habitée, la question des modifications est plus complexe. Le conflit entre deux droits de propriété, celui de propriété matérielle et celui de la propriété immatérielle inventée par les révolutionnaires de 1792, oblige le juge à rechercher un équilibre entre les deux droits.

Pour la conception des espaces urbains, la problématique est identique mais deux thèses s’affrontent qui ont finalement été tranchées par la Cour de cassation.

Ce sont ces deux thèses que nous exposerons dans les deux premières parties. La troisième partie recherchera, dans le champ de la rénovation urbaine, si le droit de l’urbanisme exclut toute référence à la propriété artistique et quelles sont les réponses possibles aux problèmes récurrents de la démolition d’œuvres habitées.

I. L’artiste de l’urbain dépossédé de la maîtrise de son œuvre ?

Jusqu’en 1994, les collectivités territoriales, l’Etat et leurs établissements publics rejetèrent avec indignation la simple idée que les architectes, urbanistes, paysagistes d’espace urbain et de bâtiments publics puissent prétendre à un quelconque droit d’auteur.

Le 14 avril 1994, le Ministre de l’équipement, dans une réponse écrite à la question d’un sénateur : « la participation d’un architecte (et de tout autre professionnel) à l’élaboration d’un PAZ (plan d’aménagement de zone), ne correspond pas, contrairement au travail de l’architecte, au stade de l’aménagement opérationnel et de la construction, à la création d’une forme originale mais à une prestation technique … L’exercice de la puissance publique ne peut être limité par un droit d’auteur… »

Il faut remarquer d’ailleurs que des architectes, urbanistes et paysagistes adhèrent à cette position administrative et considèrent, par générosité, que travaillant pour la collectivité publique, leur œuvre ne leur appartient plus et que le public peut en disposer librement.

L’arrêt Martinez de 1995 de la Cour de cassation va stopper net cette thèse puisque la chambre criminelle de la Haute Cour va condamner sévèrement (un an de prison avec sursis et amende conséquente) une équipe d’architectes urbanistes pour contrefaçon. Ils s’étaient en effet servis des plans d’études à l’insu des architectes urbanistes concepteurs originaires de l’œuvre. « L’étude architecturale fondatrice des documents du PAZ a été particulièrement poussée, elle comprend non seulement un plan de masse dont les formes correspondent à des volumes architecturaux très originaux, mais aussi des éléments d’organisation spatiale de l’opération et même des études de façades ».

Le principe dégagé par la Cour de cassation est simple : « des plans d’urbanisme ont le caractère d’une œuvre de l’esprit protégée par le Code de propriété intellectuelle, dès lors qu’ils portent la marque de la personnalité de leur auteur qui, bien que contraint de respecter les directives administratives, ne s’est pas limité à fournir une simple prestation technique ».

II. L’artiste de l’urbain maître de son œuvre

Le sculpteur et l’architecte ont fait cause commune pour pénétrer la loi du 11 mars 1901 qui protège leur œuvre.

Depuis, la doctrine personnaliste du droit d’auteur à la française donne, au niveau des principes, la maîtrise de l’œuvre originale aux artistes y compris les ingénieurs concepteurs de l’art urbain.

En droit, Bertrand Bonnier a triomphé puisque la Cour de cassation a rappelé, comme elle le fait inlassablement, que l’œuvre de l’architecte était protégée et qu’il fallait trouver un juste équilibre entre le droit de propriété immatériel de l’œuvre et le droit du propriétaire matériel.

Mais en fait, les magistrats n’ont pas considéré que les cloisons installées par le maître d’ouvrage dans le hall d’entrée de la tour dénaturaient ce qui constituait l’originalité même de son œuvre.

Comme le souligne le professeur Pollaud-Dulian, l’équilibre est souvent rompu, la balance penche davantage pour le propriétaire qui modifie à sa guise les espaces qu’il habite.

La maîtrise de l’œuvre architecturale et urbaine est donc limitée, comme dans une espèce très récente (l’affaire de la serre aux crocodiles) où la Cour de cassation dénie le caractère original d’une œuvre.

III. La démolition peut-elle résister au jeu de la création

C’est au creux du droit de l’urbanisme totalement bousculé par le droit de l’environnement que le juriste, avec l’ensemble des acteurs, doit débattre de la place de la création dans le cadre d’un projet de rénovation soutenable et non durable.

La posture dominante des décideurs de la technocratie urbaine repose sur un refus d’entendre la voix des concepteurs d’espaces architecturaux urbains et paysagers qui ont déjà tracé les liens de la ville déjà construite.

C’est la fameuse affaire qui a opposé Paul Chemetov à la communauté d’agglomération d’Evry-Courcouronnes alors présidée par Manuel Valls.
Point de salut pour le bâti existant, l’œuvre qui veut résister à sa destruction et à l’expatriation des gens qui l’habitent.

Point de salut pour les architectes traités de corporatistes et d’égoïstes et défendant des intérêts privés.
Les commanditaires sont détenteurs exclusifs du droit de rénover et garants de l’intérêt général.
Dans un tel contexte politique, l’artiste n’est guère maître de son œuvre, le droit d’auteur étant plutôt faible pour le protéger même si une brèche a été ouverte avec la destruction des 87 logements sociaux de Courcouronnes, le juge ayant accepté la question du droit d’auteur en matière de rénovation même si, en fait, il n’a pas satisfait à la demande.

Conclusion

Plusieurs champs de droit permettent aux artistes de protéger leurs œuvres architecturales et urbaines.
Certes, l’architecture étant une œuvre habitée, le droit qui s’en empare est complexe et singulier.
Il existe des pistes d’actions et de réflexion pour réconcilier la création et le travail en se référant à Jean Zay ou Jean Jaurès.

Il existe des actions engagées par des promoteurs ouverts au monde, tel le directeur général d’Aquitanis, Bernard Blanc, venant de recevoir la Médaille de l’urbanisme de l’Académie d’architecture.
Il y a les architectes à la reconquête de la rue comme Nicolas Soulier, grand prix du livre d’architecture de la ville de Briey.

Il y a les cheminements d’Alexandre Chemetoff, Grand Prix de l’urbanisme, dont les grands pas dessinent le plan guide de l’Ile de Nantes.
Il y a le courage de la politique, tel Noël Mamère, qui, à partir d’une vision écologique réelle, casse l’absurdité des normes et ouvre sa ville d’Hérouville à l’imagination architecturale.
Ils sont plus nombreux qu’on ne le pense à ne pas avoir peur, à oser s’écarter des procédures étriquées de la commande urbaine en donnant du sens à la notion d’intérêt général.

Femmes architectes, femmes scénographes, femmes sculptrices, femmes et hommes plus artisans qu’artistes parviennent avec des partenariats solidaires à porter leur œuvre à bout de bras, au bout des doigts. Ils ont avant tout la maîtrise de leur métier. Artistes pour la galerie dans une société de spectacle décrite par Guy de Bord, ils traversent par leurs actes, leurs gestes et leur verbe les contraintes qui, après avoir résisté, finissent par s’effondrer lamentablement.