Un film pour combiner leurs façons d’aller vers les autres

JR est photographe street-artiste. Si nous connaissons si bien JR, c’est pour sa pratique des grands portraits. A plusieurs reprises, ce dernier a sillonné les routes du monde entier pour photographier la vie. Des visages pris localement et affichés à grande échelle, pour valoriser les gens mais aussi leur appartenance aux lieux. En particulier, son projet mené dans les favelas de Rio, pour parler de la place que les femmes y ont, avait eu un large retentissement. De cette expérience naissait le premier documentaire filmé de JR, “Women are Heroes”.

Agnès Varda, elle, n’a plus à faire ses preuves en matière de cinéma. Si elle reçoit divers prix pour l’ensemble de ses films, sa carrière tourne également autour de son art de la photographie. Armée de sa curiosité sans limites, ses films interrogent sur des phénomènes sociétaux en cours d’émergence. C’est le cas dans “sans toit ni loi”, “Black Panthers” ou encore “Salut les cubains”.

Si 55 années les séparent, tout le reste les rassemble. A commencer par cet attrait commun pour l’image et la représentation en général. A travers celles-ci, tous deux expriment leur rapport au temps, leur curiosité face à l’éphémère, mais aussi leur besoin de rencontre. Ensemble, ils ont voulu rassembler leur manière de montrer des lieux et de rencontrer des gens.

Ils sont donc montés à bord du bolide de JR, ce célèbre camion à partir duquel il parvient à développer des photos très grand format. Ensemble ils ont parcouru la France, à la rencontre des gens qu’ils ont retranscrit dans ce film documentaire “Visages, Villages”.

Un état des lieux de la France et de ses territoires

“Je suis toujours partante, si on va vers des paysages simples, vers des villages, vers des visages” annonce Agnès Varda dans les premiers instants du film.

A bord de leur camion, les deux acolytes sont partis à la rencontre de la France. Ensemble, ils présentent différents travailleurs dont on parle peu. “Un facteur, c’est important dans le village”.

Par l’impression-camion, leurs portraits sont ensuite affichés sur les murs de la ville. Au cœur du reportage, on rencontre des personnages comme Jeannine. Une habitante résistante des corons du Nord. Sa rue a été désertée, car les corons, ces habitations caractéristiques des zones minières, doivent être rasés. Jeannine a grandi dans cette maison “il y a trop de souvenirs ici”. Alors elle reste. JR et Agnès Varda l’ont prise en photo et étendue sur l’ensemble de la façade entourée de portrait d’anciens mineurs. Un moyen de rencontrer, d’écouter et de valoriser les personnes qui constituent le territoire de la France d’aujourd’hui.

Au lendemain des élections présidentielles, “Visages Villages” apparaît comme le portrait de la France qu’on n’entend pas. L’aventure est valorisante. Ils montrent une France optimiste et attachante, mais surtout une France mosaïque.

« Visages, Villages » : une inspiration pour l’urbanisme de demain ?

Au final, l’aventure et l’échange auquel nous assistons entre Agnès Varda et JR nous inspire aussi sur la manière de gérer nos villes pour demain.

Revenons sur le processus engagé par ces deux artistes. A bord de leur camion, ils partent à la rencontre d’histoire, de visages, qu’ils écoutent et retranscrivent. Cela signifient beaucoup dans notre rapport au territoire. Ils rendent les gens fiers de leur mémoire et ouvrent un dialogue.

Revenons sur l’histoire de Jeannine, cette habitante du Nord. Née dans ce corons qui va être détruit, Jeannine résiste. Seule. Elle résiste à ses souvenirs, qu’elle cherche à maintenir en vie. L’arrivée d’Agnès Varda et de JR, leur écoute, puis leur reconnaissance, sont pour elle une forme de fierté, mais aussi de soulagement d’avoir été entendue.

C’est un ensemble de processus qui contribuent à faire d’un territoire, un territoire habité, vécu. Une mémoire vit, est racontée, transmise, valorisée. Des étapes clefs qui contribuent à l’établissement d’une histoire commune, d’un patrimoine commun et d’un attachement collectif au territoire. Un ensemble d’étapes trop souvent oubliées, mais qui sont au cœur de la démarche de réappropriation et d’action des citoyens.

Quoi qu’il en soit, l’art est un vecteur de médiation, d’expression et d’appropriation. Il ouvre au dialogue et à la rencontre entre les individus. Il fait tomber les barrières entre les gens. Par cette forme participative qu’installent Agnès Varda et JR, l’art permet à leurs rencontres de s’exprimer d’une certaine manière.

Face à ces valeurs urbaines d’un besoin de retour au local, face à cette crise sociale que nous traversons et ce besoin de renouer un dialogue, face à cette perte de confiance politique, l’art n’est-il pas la clef pour la construction des villes de demain ?

Si « Visages, Villages » soulève une diversité de questions et de découvertes, ne nous montre-il pas également les clefs pour un retour au dialogue et à la construction démocratique, collective et participative des villes de demain ? Finalement, ce photo-camion révèle bien plus que de simples photos.

Photo de couverture – 18.03.10 Agnès Varda. © Cortesía de FICG 25 / Oscar Delgado / Festival Internacional de Cine en Guadalajara