Selon Nicolas Soulier, architecte-urbaniste et auteur en 2012 de l’ouvrage « Reconquérir les rues », redonner de l’âme et du caractère à nos rues dépend pour une part de chacun de nous, et peut commencer dans un premier temps en bas de chez soi.

Il nous invite dans cet ouvrage à constater combien il peut être fructueux de pouvoir réinvestir l’espace en bas de chez nous, dans la rue, cet espace de transition entre les circulations de la rue et l’intérieur de nos demeures riveraines. Cet espace à la fois privé et public peut être appelé l’espace des frontages de la rue.

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Vous écriviez dans votre ouvrage Reconquérir les rues, qu’il est nécessaire de redonner vie à ces frontages pour que les rues reprennent des couleurs et que la vie puisse s’y installer de nouveau. Pouvez-vous nous rappeler ce que désigne cette notion de frontage et nous indiquer l’état actuel de leur reconquête ?

« La notion de rue désigne l’espace où l’on circule, mais aussi l’espace au bord duquel l’on vit. Une rue, c’est un chemin bordé de maisons, une chaussée au centre avec des maisons réparties de part et d’autre. Aujourd’hui souvent, quand on sort de chez soi, on constate que l’on se retrouve directement sur le trottoir, qui est dévolu aux circulations piétonnes, tandis que la chaussée est devenue réservée aux véhicules. Et pourtant, la rue ne se limite pas à ces éléments, il ne s’agit pas que d’un tuyau de circulation qui ne sert qu’à se déplacer. Trop souvent aujourd’hui, nous avons tendance à penser que la rue est une chaussée, des trottoirs, des places de stationnement… ce qui est une erreur à la fois historique, culturelle et juridique. Il manque dans ce cas une part spatiale essentielle de la rue, cet espace dans la rue devant chez nous qui n’est pas dévolu à la circulation: les frontages.

Les frontages forment dans une rue cette part de l’espace public qui peut permettre aux utilisateurs des rues, dans un premier temps leurs habitants, d’y retrouver d’autres usages que circuler, et qui font le charme des rues, et les rendent plus paisibles, plus vivantes, plus agréables à habiter et à parcourir. Les espaces pour s’asseoir, se reposer, s’arrêter, cultiver des plantes, discuter entre voisins ou avec les passants, accueillir les visiteurs… Ces espaces peuvent malheureusement être trop peu présents, voire absents. C’est un triste constat de voir que des rues en deviennent ainsi stérilisées, minéralisées et peu vivantes.

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Heureusement, il existe des pistes d’action très simples pour retrouver ces espaces et s’en occuper,… Ces espaces, les frontages des rues, on a tout l’appareil juridique et culturel en France pour inciter, aider les riverains à s’en occuper tant dans leur intérêt que dans l’intérêt collectif. »

L’aménagement urbain joue-t-il un rôle dans la possibilité pour les citadins de réinvestir leurs rues, ou est-ce que toute la démarche découle de l’engagement des habitants ?

« Je pense que les habitants riverains sont les premiers à pouvoir mettre en valeur l’espace qui se trouve en bas de chez eux. Pour chacun de nous, il n’y a pas plus près ni plus simple et rapide comme manière d’aménager l’espace public ! Et cela ne nécessite pas de lourds aménagements, juste de cerner les frontages, et de préciser un cadre réglementaire conventionnel. Les pouvoirs publics n’ont pas grand-chose d’autre à faire dans cette démarche, si ce n’est de préparer le terrain et veiller au grain : veiller que les règles de la circulation sur la chaussée soit les plus adaptées possibles au contexte de la rue, veiller à ce que les aménagements des frontages par les riverains soient respectueux des qualités et usages de la rue, et du voisinage ; également, inciter et aider les habitants riverains à mettre en œuvre un frontage attractif et accueillant, avec l’aide des plantes bien souvent, afin de créer une relation plus pérenne et équilibrée entre tous les usages de la rue.

En fait, il s’agit d’un système complexe entre les habitants, les passants, les usagers et l’environnement de la rue. Complexe dans la mesure où l’on voit bien que tout est lié : si le mode de déplacement privilégié dans la rue est la voiture, que les cyclistes s’y sentent en danger et que les piétons ne peuvent pas s’y arrêter, alors quand on sort de chez soi on n’aura pas envie de partir à pied ni à vélo, l’usage de la voiture sera accentué et on entre dans un cercle vicieux, néfaste pour la vie de la rue. Au contraire, lorsqu’il y a un meilleur partage de l’espace public, le caractère de celui-ci peut enfin s’exprimer de la meilleure des manières pour accueillir la vie locale riveraine, et accueillir les circulations de passage. »

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On remarque que le retour du beau temps entraîne les citadins à réinvestir l’espace public de leurs villes. N’est-il pas dommage de remarquer que seul le soleil peut aider les habitants à redonner vie aux rues ?

« Évidemment que c’est dommage ! Il ne fait pas tous les jours beau, alors une idée est de trouver les solutions pour que même les jours de pluie une rue soit vivante, accueillante : parmi ces solutions on pourrait privilégier le fait que les habitants puissent réinvestir les espaces de transition entre leur habitation et la circulation. Non seulement s’occuper de leurs façades, de leurs rideaux, de leurs volets, de leur entrée, de leur boîte aux lettres, de leurs poubelles, mais aussi de leur frontage, sous forme de jardinets, de bancs, de jolies clôtures et de seuils, d’abris à vélos ou à jouets d’enfant etc. Cela correspond non seulement à une activité locale, à une vie riveraine qui s’exprime sur la rue et la féconde, et puis au-delà de ça, il s’agit d’une véritable participation de chacun à la qualité de la vie publique, chacun apportant en nature sa contribution à l’espace public. »

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