Pour la première fois depuis un siècle, la diminution de l’espérance de vie touche l’Europe. Les mesures d’austérité à Londres, comme par exemple la baisse des aides d’accès au logement social pour les plus précaires, le système d’allocations sociales bancal et les coupes budgétaires qui assèchent les caisses des pouvoirs publics, ont eu un impact sur le niveau de vie moyen des habitants ces dernières années. La conséquence n’est pas des moindres, puisque elles ont contribuées à la précarisation d’une tranche de la population. Ainsi, à Londres, la pauvreté a éclaté en 2011 et l’espérance de vie commence à diminuer depuis 2018. Une tendance qui s’observe aussi depuis deux ans aux Etats-Unis.



Ainsi, une partie des urbains des pays les plus riches du monde perdent progressivement l’accès aux aménités de base. Des besoins essentiels comme par exemple un logement décent, un accès facilité aux soins,  une alimentation de qualité, des activités sportives et culturelles, des équipements et services de proximité facilitant le quotidien. Cela passe aussi par un environnement sain, tout simplement en donnant l’accès à un air pur. Cet ensemble participe à maintenir les habitants en bonne santé. Or, nos cités semblent perdre un certain cadre de vie accueillant et sécurisant. De plus, le sentiment d’appartenance et de communauté solidaire au sein de la ville s’effrite. µ



Paradoxalement, les villes peuvent pourtant aussi contribuer à définir une qualité de vie et à guider les comportements des citoyens vis-à-vis de leur santé. Ainsi, contrairement aux villes du Royaume-Uni et des Etats-Unis, certaines villes méditerranéennes comme le sud de la France, l’Italie et l’Espagne s’en sortent plutôt bien avec une espérance de vie qui est en augmentation. On peut supposer que cela s’explique par le mode de vie qu’elles incarnent. Mais alors, quels sont réellement les facteurs qui distinguent une ville qui échoue à maintenir ses habitants en bonne santé d’une ville qui offre des perspectives de vie plus longue. Si la ville a un rôle à jouer, comment lui fournir les outils pour la rendre plus bienveillante envers ses habitants ?



L’aide sociale pour répondre à un niveau de vie impacté par le revenu



La croissance mondiale des salaires n’a jamais été aussi faible depuis 10 ans d’après un rapport de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). En France, entre la baisse des revenus, la diminution des aides aux logements, l’augmentation du prix du carburant, les habitants s’insurgent lorsqu’on leur demande de choisir entre qualité de l’air et qualité de vie. Associé à un sentiment d’impuissance face aux politiques urbaines et sociales, les citadins se sentent exclus des projets de ville. À Londres, les pauvres voient leur espérance de vie décroître. Ceux au niveau de vie plus élevé bénéficient de davantage d’aides de la sécurité sociale pour leurs vieux jours en raison de l’existence d’aides sociales à la vieillesse, ce qui contribue à renforcer ce clivage. Ainsi, les résidents de certains quartiers bénéficient de 16 ans d’espérance de vie de plus en comparaison aux populations les plus en difficulté.



Face à une espérance de vie qui diminue, la répartition inégalitaire de la richesse, des pratiques de restriction de la redistribution, un ras le bol et une exigence sociale qui s’affirme dans certains pays, comment peuvent réagir les villes ? Comme les revenus impactent le niveau de vie des citoyens et intrinsèquement, leur espérance de vie, les aides sociales pourraient contribuer à rééquilibrer ces inégalités et contribuer à une meilleure distribution des richesses.



Parmi ces aides, investir sur l’accès au soin augmente considérablement l’espérance de vie des habitants. Ainsi, la ville de Montreuil en France montre l’exemple en instaurant une mutuelle santé pour tous, accessible depuis septembre 2018. Celle-ci est accompagnée de permanences de proximité, d’une simplification des démarches de souscription de contrats et d’un soutien aux professionnels de santé pour diminuer la facture santé des Montreuillois. L’initiative a vu le jour suite à un questionnaire sur les besoins des habitants en matière de mutuelle et auxquels 2 600 d’entres eux ont répondu. 27 % des foyers n’avaient pas de complémentaire santé jusqu’à la mise en place du projet.



Néanmoins, le développement d’applications mobiles dans le domaine du soin a permis l’apparition de services permettant de traiter des accidents ou des maladies plus rapidement, sans avoir à se déplacer, réduisant ainsi les risques liés à une prise en charge trop lente. Parmi elles, Health For Development a inventé Consult Station, une cabine de télémédecine pour une prise en charge par un médecin en visio conférence et un peu comme les applications de livraison de repas, des services de livraison des produits de santé préparés en pharmacie émergent aussi comme l’application Phacil. D’autres encore, comme Libheros recrée de la santé de proximité avec notamment la possibilité d’assurer la continuité des soins et faciliter la sortie des patients.



En attendant que la mise en lumière de cette diminution de l’espérance de vie dans les pays développés lève le voile sur des pratiques de restriction sur la redistribution. Or ces mesures peuvent avoir un réel impact sur les conditions de vie de milliers de citadins, notamment dans les villes américaines ou anglaises. Une redistribution des revenus par les aides sociales permettrait ainsi de réduire la précarisation d’une large partie de la population. Mais d’autres facteurs, en dehors de la richesse par habitant, contribuent aussi à augmenter l’espérance de vie. Quels sont-ils ?



Améliorer le bien-être en ville contribue à accroître l’espérance de vie



L’augmentation de l’espérance de vie n’est pas toujours lié à une forte croissance économique comme on l’a longtemps assumé. Au contraire, d’après une étude de José Granados et de Edward Ionides sur la Suède, l’augmentation du PIB n’est pas toujours liée à une meilleure santé. Bien qu’au 19ème siècle, temps de l’industrialisation et de la réduction de l’effort, l’augmentation du PIB ait été corrélé à une augmentation du niveau de vie, du bien-être et de l’espérance de vie, l’étude prouve que passé un certain pallier, paradoxalement, l’augmentation du PIB contribue à augmenter le taux de mortalité, comme cela a pu être le cas au tournant du 20ème siècle.



Cela serait dû à la dépendance de la production industrielle qui provoque notamment une augmentation de la pollution, facteur particulièrement aggravant du mauvais état de santé des citadins et des enfants, premiers impactés dans leur santé. Or, une étude de l’agence de santé publique france parue en 2016 révèle que 48 000 décès par an sont la conséquence de la pollution par les particules fines et une carte montre combien d’années pourraient être ajoutées à une vie si l’air que nous respirons était moins pollué.



Ainsi, la pollution grandissante dans les villes questionnent aussi l’impact direct des activités urbaines sur la santé des citadins, menaçant l’espérance de vie de ces derniers. Comme le fonctionnement des usines au service de la hausse du PIB ne participent plus à accroître l’espérance de vie, alors sur quels indicateurs pouvons-nous nous appuyer aujourd’hui pour la mesurer?



Si le PIB n’est plus un indicateur fiable lorsqu’il dépasse un certain seuil, il faut s’intéresser à l’IDH, l’indicateur de développement humain construit par les Nations Unies et qui se mesure de 0 à 1, le chiffre 1 correspondant au taux de développement le plus élevé. Les critères considérés sont plus larges que la simple mesure de la richesse d’un pays. Ils incluent l’espérance de vie à la naissance révélant l’état sanitaire du pays, le niveau d’instruction qui se répercute sur les choix de vie et la liberté individuelle et le RNB (revenu intérieur brute) par habitant qui est calculé en parité de pouvoir d’achat.



Par ailleurs, dans les principes de la constitution de l’OMS, la santé se définie comme un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie et infirmité. De plus, l’OMS considère la santé comme un droit inhérent à chaque être humain et relevant de la responsabilité des gouvernements devant prendre les mesures nécessaires. En effet, des études affirment que l’espérance de vie augmente avec la hausse du bien-être, celui-ci pouvant être considéré par d’autres facteurs tels que le bonheur, le niveau de vie, les relations de travail et l’accès au logement. Selon une étude mené par Yale, l’indicateur de bien-être, montre que les “counties” américains ayant un indicateur de bien être élevé, avaient une espérance de vie augmentée de 1.9 de plus pour les femmes et de 2.6 de plus pour les hommes.



Pour aller plus loin, le bonheur peut aussi être un bon indicateur de l’espérance de vie. Il existe un rapport annuel du bonheur mondial, “The World Happiness Report”, publié depuis 2011 par les Nations Unies et des indicateurs axés sur le sentiment du bonheur tel que “the happiness index” ou le BNB (Bonheur Intérieur Brut) utilisé au Bhoutan.




Photo prise par Andre Hunter via unsplash



La ville tend alors vers la mesure de sa capacité à offrir du bien-être et du bonheur lui permettant, dès lors, d’identifier ses points faibles comme la baisse de la qualité de vie et de l’espérance de vie, et donc de proposer les aménités nécessaires au service de ce bien-être physique, mental et social.



La ville, pourvoyeur d’accès au bien-être : une réorganisation qui doit favoriser l’exercice physique, l’accès à une alimentation de qualité, la vie sociale et l’inclusivité



L’espace public influe aussi sur la santé physique et mentale des habitants. Les Etats-Unis l’ont bien compris, la “ville marchable” ou “walkable city” est à promouvoir en réponse aux problématiques de la ville organisée autour de la voiture et à la persistance des problèmes de santé. Ainsi, des applications comme le WalkScore évalue le niveau de marchabilité des villes, en prenant en compte plusieurs paramètres. En d’autres termes, il évalue la capacité d’une ville à offrir des aménagements propices à la marche qui constitue un moyen d’inciter, implicitement, les habitants à l’activité physique contribuant à leur bonne santé et à un meilleur bien être.

 





Exemple de notations disponibles sur le site du walkscore



Bien que l’espérance de vie augmente en Europe, elle semble être aujourd’hui menacée par l’obésité et le surpoids en augmentation, un problème qui touchait principalement les Etats-Unis. Outre-atlantique, l’alimentation a toujours été peu accessible pour les populations les plus pauvres. D’ailleurs, une des raisons de l’augmentation du surpoids est le faible accès des habitants à une nourriture saine. Dans le quartier d’Harlem, à New York, le Corbin Hill Food Project distribue une alimentation de qualité dans les quartiers les plus défavorisés où défilent parfois les fast-food, moins chers et plus addictifs.




Stand de fruits dans un espace public. Photo prise par Jia Chang via unsplash



Une répartition des richesses mieux ordonnée, pourrait laisser croire que le bien-être et l’espérance de vie augmenteraient proportionnellement, en lien à une hausse des revenus. Pourtant, à l’échelle de l’individu, ce n’est pas toujours le cas. Au contraire, passé un certain niveau de vie, l’accroissement du bien-être se tarie. En effet, à cette étape, un autre facteur entre en jeu, celui du bien-être mental et social. En ville, l’isolement participe à cliver les individus et à diminuer le sentiment de communauté et donc de bonheur. Daniel Gilbert, un professeur en psychologie à Harvard cite des études qui démontrent que les migrants qui s’installent en ville ont doublé leur revenus. Pourtant, ils sont moins heureux que les personnes restées dans leur campagne. A Paris, pour répondre à cet enjeu, l’association La Porte Ouverte réunit des citoyens, désireux de donner de leur temps, à l’écoute de ceux qui n’ont pas une oreille attentive.



Enfin, et non des moindres, redistribuer les richesses, c’est aussi apporter une attention particulière aux populations les plus fragiles, comme les personnes dépendantes aux soins, les personnes isolées ou encore les personnes en situation d’invalidité. L’espace public peut contribuer à faciliter la mobilité quotidienne des habitants. La présence de bancs permet par exemple à une personne à mobilité réduite comme une personne âgée ou atteinte d’invalidité de se reposer lors d’un trajet ou d’une promenade.



Les aides sociales, l’évaluation du bien-être et la restructuration de l’organisation de la ville pour donner accès à des services de base et de proximité sont des pistes de réflexion pour une ville vectrice d’une meilleure qualité de vie et de bien-être pour une espérance de vie plus longue.




Globalement, cette dernière augmente tout de même dans les pays développés et l’écart de santé actuel dans certaines villes peut être encore corrigé. Mais, cette hausse de la longévité questionne aussi l’état de santé des habitants en vieillissant. En effet, vivre plus longtemps n’est pas toujours un gage de bonne santé. Au contraire, cela peut être même parfois synonyme de dépendance. Alors comment les villes peuvent-elles nous permettre de vivre longtemps et en bonne santé ? Devront-elles miser sur l’inclusion, l’échange, le sentiment de communauté et l’élaboration d’un projet commun ? Les défis sont nombreux mais il apparaît comme essentiel que les villes s’en saisissent et qu’elles répondent à ces différentes problématiques impactant la santé de ces citoyens. De plus, on espère qu’elles seront aussi évoluer pour permettre aux personnes les plus fragiles, notamment les personnes âgées, de s’y sentir toujours bien, pour des villes plus inclusives et intergénérationnelles.



Photo de couverture: Cristina Gottardi via unsplash.com