Peut-on dire que les équipements urbains de sports et de loisirs sont davantage destinés aux garçons et aux hommes qu’aux filles et aux femmes ?

Ce qui est certain, c’est que ces équipements sont effectivement davantage utilisés par les garçons. Avec une occupation à presque 90 % masculine, on peut largement dire que ces espaces sont surinvestis par cette population, globalement âgée de 18 à 25 en ce qui concerne les équipements en accès libre. À travers nos travaux et l’analyse des comptages effectués, des garçons plus jeunes peuvent également être présents sur ces équipements. Mais cela dépend en réalité du moment de la journée dans lequel nous nous trouvons. En fonction de l’heure, c’est un certain public qui investit en majorité les équipements.

D’après les travaux que l’on mène à ce sujet, apparaît la question de la légitimité de la pratique. C’est-à-dire que les garçons qui utilisent les équipements sportifs ou de loisirs semblent en effet davantage légitimes à occuper ces équipements. Il devient donc extrêmement plus difficile pour les autres publics de s’y rendre : je fais bien-sûr allusion aux filles, mais pas seulement ! Les enfants plus jeunes sont également concernés, ainsi que les personnes âgées ou les garçons « non-conformes » à ce que certains attendent de la part d’un joueur de football par exemple. Les personnes en surpoids, présentant un handicap sont donc eux-aussi exclus de ces espaces publics qui ne le sont donc finalement plus tant que ça.

Le constat est donc vraiment celui-ci : en mettant en place ce genre d’équipements de loisirs, on y proscrit tous les autres usages. Derrière ce principe de légitimité se cache par conséquent l’idée d’illégitimité, de « disqualification » qui s’opère dans certains lieux investis par un public majoritaire. C’est le cas par exemple des parcs de jeux fermés aux plus petits, les structures réservées aux 6-10 ans…

Quelles sont les solutions qui pourraient contrer ce phénomène de privatisation de l’espace public ?

Ce constat interroge dans un premier temps l’aménagement des espaces publics et même celle de ce qu’est un espace public. Il s’agit en fait du seul lieu possible de société, de citoyenneté et de prise de parole publique. Il est donc nécessaire de comprendre les enjeux qui sont liés à ces espaces urbains, notamment en ce qui concerne la relation entre les femmes et les hommes, entre les filles et les garçons, en fin de comptes entre toutes les populations. Quand j’observe ces équipements qui sont majoritairement investis par des garçons, je considère que l’espace public est devenu clairement privatisé. Il y a en effet un usage unique qui est fait de ce lieu, ce qui empêche d’y développer d’autres activités qui pourraient favoriser le partage. Il est en effet difficile d’imaginer aller pique-niquer en famille ou bien lire un livre au milieu d’un city-stade ou d’un skatepark…

Tout cela signifie qu’il semble nécessaire de créer dans nos villes des espaces dans lesquels il y a possibilité de pratiquer différentes activités, dans une atmosphère de partage et de mixité. Un revêtement de sol différent peut signaler un tel espace, ou bien une délimitation particulière. Des équipements mobiles ou éphémères peuvent également être des solutions, au même titre que l’accompagnement social : l’espace public peut en effet servir à la puissance publique, qui peut y porter un message en ce sens.

Et surtout, il faut pouvoir établir des espaces dans lesquels la négociation est possible, car la question de l’égalité c’est d’abord la question du partage. Partager, ne signifie pas avoir chacun un gâteau : il ne s’agit pas d’installer du fitness d’un côté de la voirie, en face d’un city-stade situé sur l’autre trottoir. Partager ne signifie pas morceler, car dans ce cas la rencontre n’est pas envisageable. Partager en revanche, signifie bel et bien avoir un gâteau commun et y découper des parts. En agissant de cette manière, nous favorisons la négociation entre tout le monde, en faisant des compromis sur ses propres intérêts. Cette image symbolique prouve qu’il est primordial de réhabiliter l’espace public afin d’y réimplanter du vivant et du relationnel entre tous. Ici, c’est donc le principe de négociation et de partage qui doit être repensé en faveur de la mixité en ville pour créer des aménagements égalitaires.

Mais la question de l’espace implique inévitablement celle du temps. L’espace public vit le matin, l’après-midi, le soir, en période de repas ou pendant la sortie de l’école… Il est important de bien comprendre cela dans l’optique d’autoriser tout le monde à s’arrêter quelques instants, à discuter et à partager la ville.

On évoque souvent les équipements accessibles à tou·te·s dans la ville, comme les skatepark publics par exemple. Mais est-ce que ces inégalités sociales ne commenceraient-elles pas déjà dans les cours d’école ?

Dans les cours des écoles, le principe est exactement le même que dans l’espace public de la ville, puisqu’elles en sont une version miniature, dédiées en particulier aux loisirs pour les enfants. Les enjeux de la cour de récréation en termes de relation concernent ici aussi des notions de mixité qui doivent être réfléchies dans l’aménagement de ces espaces.

Finalement, ce qui devient la norme à travers l’usage de ces équipements, c’est le non-mélange des genres : les filles et les garçons ne jouent pas ensemble dans la cour de récréation ; ils ne mangent pas ensemble à la cantine et ne se mettent pas ensemble dans le rang. Et la question n’est encore une fois pas uniquement paritaire, elle est aussi spatiale et les lieux urbains tout comme les cours de récréation doivent davantage favoriser ce mélange de tous, l’idée de négociation et enfin d’un partage équilibré au sein d’une ville plus harmonieuse.