Reconnu à l’international grâce au lancement de son budget participatif, Paris, et maintenant d’autres villes de France sont à la pointe sur l’urbanisme progressiste. Ainsi, la capitale alloue 5% de son budget d’investissement annuel à la décision des projets urbains de la ville par les citoyens, et récemment, d’après un article les décodeurs du Monde, le département du Gers décide de consacrer 3% de ses investissements départementaux à la consultation citoyenne. Au total, ce sont près de 80 villes et 6 millions de français concernés par le budget participatif. On assiste à un regain de popularité du budget participatif depuis 2014. Plus récemment, la demande s’est aussi accrue quant aux dispositifs de démocratie participative, comme le souhait des Gilets jaunes d’instaurer le Référendum d’Initiatives Citoyennes (RIC) ou l’ouverture récente des cahiers de doléances par les maires comme outils de démocratie participative. Cela révèle un intérêt croissant des citoyens de participer au processus d’élaboration des lois et des projets qui participent à construire son milieu urbain.



Mais alors que la démocratie participative est une forme de partage et d’exercice, fondée sur le renforcement de la participation citoyenne à la prise de décision politique, quels sont les dispositifs à ce jour qui permettent d’exercer au mieux cette représentation ? Entre le partage de revendications permis par les cahiers de doléances, la critique de prises de décisions de certaines politiques par le lancement de pétitions en ligne, ou encore la participation plus ou moins active proposée par le budget participatif ou les ateliers de concertation, quels sont les outils les mieux adaptés ?



Le budget participatif, un outil de démocratie participative en devenir



Les revendications de plus en plus nombreuses ont impulsé en France le développement d’outils concrets de démocratie participative. Parmi eux, le budget participatif est un dispositif particulièrement populaire adopté par une diversité de territoires. Plusieurs villes ont mis en place l’outil comme Grenoble, Metz, Rennes, Strasbourg et Nice bientôt, sans oublier le département du Gers mentionné plus haut. Ce sont aussi de plus petites villes comme Tilloy-lès-Mofflaines, commune de 1 450 habitants dans le Pas-de-Calais qui s’empare de cette nouvelle approche.



Le succès de cet outil vient de la participation directe des habitants dans l’évolution de leur ville et de leur quartier, et de l’allocation d’une partie du budget d’investissement de la ville aux projets soumis par les citoyens eux-mêmes. Ces derniers peuvent à la fois proposer et voter pour des différentes actions. L’outil en lui même est pratique, ludique et simple, ce qui explique aussi l’intérêt des citoyens pour ce dispositif. Il permet de se renseigner sur les projets en lice et de voter pour ses favoris sur un site dédié. Enfin, un autre atout du dispositif est la réalisation instantanée des actions ayant reçues le plus de votes des habitants.







A Paris, des formes de projets divers soumis aux citoyens



Néanmoins, pour l’instant cette démarche ne représente, même dans les cas où le budget participatif est un succès comme Paris, que 3% de la population qui se mobilise. Ainsi à Bordeaux, Alain Juppé a confirmé le principe d’un budget participatif ouvert aux habitants, centré sur les équipements de quartier et le développement durable. Mais il semble sans illusion sur la portée réelle de la mesure : « dans les communes qui ont des budgets participatifs, le taux de participation ne dépasse pas 4%. À Grenoble, où un énorme travail a été fait sur la participation, il atteint tout juste 8%« .



Quelques limites peuvent expliquer ces petits chiffres. Les modes de décision, les montants attribués et la nature des projets de ce budget participatif varient selon les villes et les échelles, et cette adaptation révèle parfois des failles. Par exemple, à Grenoble, le mode de fonctionnement a été plus limité pour permettre la participation des citoyens. Ouvert au vote seulement deux jours dans un seul bureau de vote à la mairie, le dispositif n’a pas pris. La durée de vote s’est allongée à une semaine et l’organisation a été revue.



Un autre exemple est l’utilisation du budget participatif qui demeure inégale selon les territoires. Ainsi, les montants alloués aux projets du budget participatif demeurent des petits montants, le plus important étant celui de Paris qui représente 5% du budget d’investissement de la ville. Toutefois, même si le montant reste modeste, cela reste un début vers une démocratisation de la participation des habitants qui se met en place progressivement. Une autre donnée indique aussi que les municipalités qui ont pu réaliser un budget participatif concerne ⅓ des villes de l’agglomération parisienne. Un outil donc encore concentré autour de la capitale, qui pourrait s’étendre davantage aux autres villes françaises.



Une autre faille de ce processus participatif est relative au jeu de l’imbrication des échelles et des compétences qui peut entraîner quelques confusions, comme cela a été le cas lors du vote du budget participatif de Lille, invalidant parmi les lauréats deux des projets incluant l’usage du vélo. Cette faille s’explique car la compétence en matière d’aménagement cyclable revenait en fait à la Métropole Européenne de Lille et non à la ville de Lille, ce qui n’a pas permis de valider les deux projets arrivés en 2ème et 3ème position. Cette confusion ne remet cependant pas en cause le dispositif qui permet tout de même la réalisation de projets réussis, mais elle rappelle la jeunesse de l’outil et le besoin d’affiner les modes de décision pour élargir le cadre de son utilisation. En effet, son utilisation se limite encore à des projets spécifiques, tels que ceux qui s’inscrivent dans le budget d’investissement des municipalités. Cela tend à exclure, en partie, les budgets de fonctionnement. De plus, certains projets, souvent les plus appréciés, peuvent être limités par le montant du budget.



Ainsi, ces exemples montrent parfois des dysfonctionnements permettant d’appréhender les limites de l’utilisation de ce modèle de démocratie participative. Toutefois, ces limites montrent aussi que ce dispositif, récent en France, est plutôt bien accueilli et, qu’avec un affinement de la méthode, associé à d’autres dispositifs de démocratie participative, il serait possible d’atteindre une gouvernance citoyenne prometteuse.

Des outils participatifs institutionnalisés qui peinent à jouer leur rôle de représentation des citoyens



En dehors du budget participatif qui implique activement les citoyens, la participation citoyenne institutionnalisée par le gouvernement, à travers le vote, les référendums, les réunions publiques, ou encore les conseils de quartier, s’est essoufflée, n’étant plus perçue comme vectrice de démocratie participative aux yeux des citoyens. Trop souvent peu appliqués, et avec un impact difficilement perceptible sur les politiques publiques, ces outils ont suscité la méfiance des citoyens envers le corps politique.



Pourtant quelques uns d’entre-eux existent depuis longtemps et ont été créés à cet effet. Ainsi, la naissance du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) en 1946, en est un exemple. Troisième assemblée de la république après l’assemblée nationale et le sénat, ils forment, ensemble, le pouvoir législatif. L’intérêt de cette assemblée est sa mission consultative . Elle a la possibilité de saisir le parlement et le gouvernement pour donner son avis sur l’élaboration des lois et les orientations des politiques publiques, normalement obligatoire sur les projets économiques, sociaux et environnementaux. Ce rôle de conseil est tenu par ses membres qui représentent la société civile pour un mandat de 5 ans. Désignés par les organisations, ces derniers ont des profils très variés. Parmi eux, on retrouve par exemple, la cheffe d’orchestre Claire Gibault ou le climatologue Jean Jouzel.



D’après un article du Monde, ce dispositif a été très critiqué pour le coût qu’il engendre, le manque d’assiduité de ses fonctionnaires, son utilisation “refuge” pour trouver une fonction à d’anciens élus ou personnalités politiques, le manque de saisines et le système de pétition presque inactif depuis 2010, et la production de plusieurs rapports sans effets. Par ailleurs, 40 conseillers sur les 233 conseillers sont désignés par le gouvernement.



Désormais dénommé Chambre de la société civile, en référence à sa mission de dialogue entre la société civile et les décideurs politiques, sa nouvelle mission sera d’éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et écologiques de long terme, et leur impact sur les générations futures. Parmi les réformes, le vice-président du Cese, Antoine Dulin propose une expérimentation au tirage au sort pour permettre à des citoyens de venir exprimer une expertise d’usage sur un sujet. Une manière de retisser du lien avec les citoyens et le corps politique, à condition que cette chambre et les changements opérés prennent réellement en compte la société civile et soient efficaces, compte tenu de l’efficacité mitigé du CESE depuis quelques années.



D’autres outils institutionnels existent mais les citoyens ne les utilisent pas toujours ou ne les connaissent pas. C’est le cas des consultations locales qui donnent le droit à une collectivité territoriale de demander l’avis des électeurs afin de prendre une décision. Ces consultations peuvent être à l’initiative des électeurs eux-mêmes, mais l’entité administrative n’est pas obligée de suivre l’avis. D’autre part, les outils les plus traditionnels comme les conseils municipaux ouverts restent souvent peu fréquentés par les habitants car ces derniers n’ont pas vraiment le temps ni l’occasion d’intervenir.  



Plus récemment, suite aux revendications des gilets jaunes, les cahiers de doléances se sont instaurés dans plusieurs communes en vue du Grand débat national permettant ainsi de recueillir les revendications des citoyens. Une initiative intéressante mais qui ne s’est pas généralisée dans toutes les villes, et qui ne pourra être réellement participative que si ces mêmes revendications sont prises en compte et suivies par des réponses et des actions concrètes.




Réunion publique via unsplash



De nouveaux outils de démocratie participative non institutionnels pour plus d’impact



Des outils spécifiques non institutionnels permettent de compléter la participation citoyenne institutionnelle, ainsi que les outils de consultation et de concertation classiques. Parmi eux, il faut compter ceux de la civic tech qui a vu le jour grâce au développement des outils numériques comme les plateformes numériques tel que nosdéputés.fr, une plateforme de médiation entre citoyens et députés qui permet d’informer sur les activités législatives et de faire participer les citoyens sur les débats parlementaires, ou encore nossenateurs.fr, mise en place par le Collectif Regards Citoyens.



C’est aussi l’utilisation massive des applications qui a permis de voir émerger des applications de démocratie participative comme fluicity, qui intéresse de plus en plus les collectivités pour se rapprocher de leurs administrés, mais aussi les pétitions en ligne comme Change.org, MesOpinions.com ou GlobalCitizen ou encore l’utilisation des réseaux sociaux pour s’informer sur son fil d’actualité et partager des informations. Ces outils permettent de pallier aux défauts du système institutionnel actuel, qui paraît, dans certains cas opaque et complexe. Ils accélèrent également le partage de l’information et la participation pour plus d’efficacité des pouvoirs publics dans la réponse à apporter aux enjeux quotidiens des habitants.





Image de fancycrave via Pexel



Ainsi, ces outils numériques au service de la participation citoyenne visent à remettre les citoyens au cœur des décisions, tout en proposant des moyens pratiques, pédagogiques et accessibles à tout moment. Ils permettent aussi aux invisibles de s’exprimer, apportant une part d’inclusivité au processus. Ne visant pas à les remplacer, ils servent, au contraire, d’outils de transparence et d’objectivité des informations et des décisions.



D’autres outils de démocratie participative non institutionnels participent à remettre le citoyen au cœur des préoccupations et à les impliquer dans la résolution d’enjeux économiques, sociaux ou écologiques. Les pétitions en ligne comme cité tout à l’heure permette de lancer une pétition afin de mettre les politiques face à leur responsabilité, en les interpellant sur des problèmes collectifs, parfois trop ignorés. Mais ce sont aussi les associations qui impliquent encore davantage les citoyens qui se rencontrent autour d’une cause commune et font bouger les lignes de leur ville.



Enfin, il existe également des autorités administratives indépendantes comme la Commission indépendante des débats publics qui joue un rôle détaché des institutions politiques garantissant aussi la transparence et la participation du public à des “processus d’élaboration des projets, plans et programmes qui présentent de forts enjeux socio-économiques”. Celle-ci a aussi des impacts sur l’aménagement et l’environnement et organise un débat public qui se conclue par un bilan des attentes du public, ou encore Jury Citoyen, une plateforme en ligne qui réunit un groupe de citoyens tirés au sort avec des experts pour des échanges d’opinions et d’expériences qui nourrissent un débat, sous la forme d’un webinaire conclu par un compte-rendu.




Le choix d’une partie du budget d’investissement allouée aux projets urbains, la réforme des institutions représentatives de la société civile, et les outils non institutionnels comme le numérique, les structures indépendantes ou les associations, se complètent tous pour répondre et pallier aux limites spécifiques de chaque dispositif.



La participation citoyenne passera inévitablement par la multiplicité des outils de démocratie participative. L’enjeu réside justement dans les expérimentations de divers méthodes et outils participatifs qui se complèteront pour former à terme un processus de participation plus efficace et qui sera suivi d’effets, mais aussi renouvelable, pour une participation progressive et pérenne de tous les citoyens sur la prise de décision des projets qui concernent leur milieu urbain.