Femmes au foyer : mythe et réalité
Il y a 10 ans, en 2011, l’INSEE mettait un chiffre sur le phénomène en France, en estimant à 2,1 millions le nombre de femmes au foyer. Âgées entre 20 et 59 ans, et non étudiantes, leur statut signifiait qu’elles ne percevaient ni salaire, ni chômage. Pourtant, 80% d’entre elles avaient déjà exercé un emploi. Un phénomène qui était déjà en baisse par rapport à l’année 1991, grâce à la montée de l’emploi feminin et l’émancipation des femmes dans la société.
Bien que marginal, l’image de la femme au foyer a pourtant créé un mythe et marqué les esprits, si bien que certaines endossent encore ce rôle, parfois même de manière assumée comme les ‘tradwives’ qui vante leur mode de vie sur les réseaux sociaux. «L’idéalisation de la mère au foyer est un courant qui semble durer et s’installer» évoque l’historienne Anne Rothenbühler, spécialiste du travail féminin et du genre, en mentionnant un nouvel attrait à ce mode de vie centré sur le foyer rendant possible une vie plus saine et une amélioration de l’évolution et l’accompagnement éducatif des enfants.
Si on remonte un peu dans le temps, dans les années d’après-guerre, le rôle de la femme au foyer était alors considéré comme un métier, la place de la femme étant liée aux tâches domestiques, d’intendance de la maison, ou encore à l’éducation et la gestion des enfants. Avant leur émancipation, les femmes étaient donc majoritairement associées à la tenue du foyer : une vision aux impacts forts qui s’est retranscrite au sein même des concepts développés par certains architectes de l’époque. C’est le cas de Le Corbusier, qui dans son idéal de Cité Radieuse, imagine une cuisine « corset » de 4.8 m². Étroite, elle se veut pensée pour les femmes et pratique, mais comme un symbole, elle encercle la femme et enserre ses mouvements, si bien qu’elle ne peut partager ses tâches.
L’espace et la manière de concevoir cette cuisine peuvent être révélateurs de la manière dont on accorde de l’importance ou non au rôle et au bien-être de la femme dans son foyer. Les architectes imaginent alors la cuisine comme une petite pièce fonctionnelle qui doit être efficace, en omettant la notion de plaisir ou d’épanouissement dans son design, pouvant ainsi entretenir un certain sexisme. La cuisine incarne alors les biais de leur époque. Désormais majoritairement ouverte, cette pièce se pense comme le cœur de la maison, fréquentée par l’ensemble des habitants, là où chacun vient prendre soin de son alimentation et trouver un certain confort au sein du logement. Les architectes transforment leur approche et intègrent pleinement cette pièce dans leur réflexion, en lien avec leur réflexion sur la qualité de vie des futurs habitants, devenant même souvent un atout pour le choix d’un lieu de vie.
Un choix de vie avec ses revers et l’horizon d’une meilleure considération
Mère au foyer diplômée et entrepreneuse, femmes au foyer seulement pour un temps, dans la réalité, le phénomène est aujourd’hui bien plus diffus et disparate qu’on l’imagine, avec des cas très diversifiés. Les pères aussi parfois font ce choix, d’être au foyer, ce qui vient bousculer les clichés. Mais malgré les réformes du congé paternité, incitant cette pratique, les hommes prenant congé pour s’occuper de leur enfant restent très minoritaires. Cependant, pour tous, ce choix apporte une image dégradée en société. Un manque de reconnaissance qui reflète l’invisibilisation de leur travail quotidien, pourtant riche en tâches et activités, qui implique parfois un investissement qui va au-delà des heures conventionnelles de travail et beaucoup de charge mentale. N’ayant pas d’activités professionnelles, on exige tout d’elles.
Les femmes au foyer actuelles mettent alors en lumière leurs difficultés : fatigue, solitude, charge mentale, leur quotidien est bien moins simple qu’il n’y paraît. Un tabou qui perdure et leur fait également porter un fardeau, celui de la culpabilité d’être parfois à bout, alors même qu’elles n’occupent pas d’emploi. Récemment, ce constat a d’ailleurs pu être fait lors des confinements, où parents et enfants se sont retrouvés ensemble à cohabiter et où la gestion quotidienne du foyer et des enfants, a pu se faire sentir parfois de manière douloureuse.
La femme au foyer demeure aussi sans statut. Qu’il s’agisse de protection sociale, de rémunération ou de retraite, elle ne bénéficie d’aucunes de ces reconnaissances et s’expose donc à des difficultés en cas de rupture, divorce ou décès de leur conjoint. Certaines le sont aussi par obligation, ou l’assument parfois dans la précarité, ce qui ajoute à leur situation de fragilité. Beaucoup plaident donc à ce que leur compétences soit enfin reconnues, à la manière d’activités professionnelles, afin de permettre à ce que leur statut ne soit plus empreint de clichés et de préjugés. Des difficultés qui touchent parfois les femmes à un moment de leur vie, avec des arrêts temporaires de travail, ou de manière plus durable, optant pour des temps partiels, afin de s’occuper du foyer. Un impact qui les contraint à mettre un arrêt à leur carrière professionnelle, devenant un obstacle pour obtenir des postes à responsabilité.
Une place à consolider et une émancipation par le lien social
Avec le développement du télétravail, certaines font le choix de s’adapter et de travailler depuis chez elles. Au stade de la conception d’un logement, intégrer la possibilité de développer une activité ainsi que d’espaces où se ressourcer au sein du foyer, donne de nouvelles perspectives aux familles. Penser à cet aspect de la vie des parents, donne la possibilité de se projeter sur des opportunités diverses, dont celle de faire le choix d’investir temporairement ou plus longuement le foyer. Les architectes peuvent alors avoir un rôle à jouer, même de manière plus globale, dans la conception des logements. Et cela peut également jouer sur la réduction de la charge mentale des différentes tâches au sein du domicile, à l’image de la cuisine ouverte invitant tous à participer.
Aussi, à l’image, certes caricaturale mais évocatrice, des Desperate Housewives, les femmes au foyer ne se contentent pas de s’occuper de leurs enfants et de leurs foyers. Elles sont aussi impliquées dans la vie de leur quartier, souvent bénévolement actives pour des tâches qui se réfèrent à leurs enfants ou non. Parents d’élèves, organisatrices d’ateliers pour les enfants (kermesse, activités diverses, etc), mais aussi investies dans des associations, ou simplement présentes dans les différents lieux de la ville.
Dans les quartiers populaires, les femmes au foyer et les femmes actives nouent des liens forts entre elles, permettant de réduire leur isolement et de développer une entraide à la fois économique et sociale, se donnant des astuces de débrouillardise, veillant les enfants de tous, développant une occupation de l’espace public bienfaitrice et bienveillante. Leur présence n’est pas anodine et permet une socialisation forte, essentielle au bien-être de tous dans ces quartiers. D’ailleurs, la cohabitation de différentes familles, que cela par choix avec la cohabitation ou pour faire face à une difficulté avec des résidences dédiées aux mères isolées, permet de réduire la charge mentale avec la possibilité d’avoir un soutien grâce aux autres membres qui vivent à proximité ou au sein de la résidence.
Bibliothèques, médiathèques, lieux dédiés à la petite enfance, parcs à enfants, ou même tout simplement sortie de l’école, sont des lieux de rencontres privilégiés pour les parents. Des espaces aussi investis par les femmes au foyer, ce qui leur permet de sortir de l’isolement. D’autres lieux sont à imaginer pour leur donner l’opportunité d’avoir de réels espaces tampons entre leur vie au sein du foyer et celle de l’extérieur, trop souvent centrés autour de leurs enfants. Bénéfiques aussi aux parents en général, des espaces conviviaux, souvent des cafés à enfants ou tiers-lieux, permettent aux parents de se ressourcer.
Par exemple, une Maison enfant-parent a ouvert en 2020 dans le quartier de Penhoët à Saint-Nazaire, les enfants et les parents peuvent y venir librement pour rencontrer d’autres familles dans le but de faire du lien et réduire l’isolement, dans l’idée de faire une pause. À Vaulx-en-Velin, dans la métropole lyonnaise, la fondation Apprentis d’Auteuil a imaginé une Maison des familles afin de renforcer le pouvoir d’agir des parents dans un quartier populaire. Ouverte quatre jours dans la semaine, les parents peuvent s’y rendre quand ils le souhaitent, accompagnés ou non de leurs enfants, et monter des projets collectifs. Un enjeu essentiel pour qu’ils se sentent légitimes sur les questions éducatives et trouvent du soutien dans leur parentalité.
Pour accompagner l’épanouissement des mères au foyer et des parents en général, il s’agit donc de penser une ville qui pense aux enfants mais aussi à l’épanouissement de leurs parents. Des parents épanouis, bien dans leur situation, qu’elle soit à la maison ou au travail participent ainsi à une ville apaisée où chacun à sa place et au bien-être des familles, comme des quartiers dans leur ensemble.