Il y a 30 ans tombait le mur de Berlin, qui a séparé durant 28 ans la capitale allemande en deux. Aujourd’hui, on pense à redessiner certaines frontières : par exemple avec le Royaume-Uni et les futurs accords du Brexit questionnent en Irlande du Nord et à Gibraltar dans la péninsule hispanique ; avec le Mexique et les États-Unis, alors qu’on ne compte pas moins de 4 grandes agglomérations qui se font écho de part et d’autre de la frontière. 

Les villes sont, par essence, des lieux de mouvements, d’échanges, de flux permanents, et d’autant plus avec l’intensification des flux numériques et immatériels, qui s’émancipent par définition des frontières physiques. Les grandes métropoles globales gagnent tellement en importance, qu’on les qualifie aujourd’hui de « villes-mondes » : elles sont parfois mieux connectées entre elles, qu’avec d’autres parties d’un même territoire national.

 
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Quel peut donc encore être la place de la frontière dans nos villes, à l’heure où certaines de ces frontières s’effacent, quand d’autres se (re)créent ? Comment penser des frontières quand les villes sont des lieux toujours plus globaux et cosmopolites ? 

Les villes frontalières : des lieux d’échanges

Il y a les villes qui se développent près des frontières, historiquement pour des raisons de défense et de contrôle du territoire, aujourd’hui pour faciliter les échanges entre les deux pays concernés. Par exemple, l’agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing s’est notamment développée grâce à sa position stratégique, ouverte sur la Belgique, puis l’Europe du Nord. Un rôle qui s’est vu renforcé avec la création, en 2008, de l’Eurométropole Lille-Kortrjk-Tournai, pour favoriser la coopération transfrontalière entre la Belgique et la France. 

Certaines villes se voient imposer des frontières a posteriori, mais sans en perdre pour autant leurs liens avec les régions extérieures : Genève est un exemple de ville frontalière prospère en Europe. La situation géographique, ainsi que les conditions d’emploi et de vie en Suisse, encouragent en effet le développement de liens étroits avec ceux qui habitent à proximité. On compte aujourd’hui près de 85 000 frontaliers travaillant à Genève, faisant de cette ville de 200 000 habitants un espace cosmopolite et international. L’aire métropolitaine du « Grand Genève » s’étend d’ailleurs sur deux départements français. 

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Les intérêts et bénéfices de la ville frontière ne sont plus à prouver : des échanges de diverses natures, de nouvelles possibilités d’emplois, une grande concentration de services, des intérêts économiques pour les habitants, une ouverture en termes de loisirs, d’activités. La frontière peut certes, parfois, limiter ou ralentir l’expansion urbaine des villes frontalières – ce qui est d’ailleurs de moins en moins vrai – mais pas le rayonnement et les avantages de la métropole, qui s’étendent sans tenir compte des limites d’un Etat. 

Les villes jumelles : une ville, deux systèmes ?

Quand l’urbanisation résonne d’un côté et de l’autre de la frontière, dessinant deux villes qui n’en forment qu’une en réalité puisqu’elles fonctionnent de concert : ce sont des “villes jumelles”. C’est le cas notamment au Mexique, avec pas moins de 4 métropoles formées de la sorte, comme San Diego et Tijuana, ou encore El Paso et Ciudad Juárez. En ce qui concerne ces deux dernières, l’ironie veut d’ailleurs que la frontière naturelle, le « Rio Grande », soit en train de s’épuiser sous les effets du réchauffement climatique, au moment même où les tensions géopolitiques entre les États-Unis et le Mexique se renforcent ! 

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Ces villes, qui se font face depuis désormais quelques siècles, entretiennent des liens étroits. Les migrations sont quotidiennes, si bien que des étudiants habitant à Ciudad Juárez fréquentent chaque jour l’Université d’El Paso. Avec 1,5 millions d’habitants côté mexicain, et 700 000 millions côté américain, l’ensemble forme une métropole de plus de 2 millions d’habitants. La population d’El Paso est d’ailleurs majoritairement d’origine mexicaine. Pourtant, les deux villes sont aujourd’hui en décalage croissant : alors que El Paso est considérée comme une des villes les plus sûres des Etats-Unis, son alter-ego mexicain est réputée pour faire partie des plus dangereuses villes du monde. 

Outre une frontière étatique, qui sépare un ensemble urbain en deux systèmes distincts, certaines villes vivent également avec des frontières implicites. La capitale bolivienne La Paz est en réalité séparée de sa banlieue El Alto, par une topographie particulière. El Alto, parmi les villes les plus hautes du monde, culmine à 4 100 mètres sur l’altiplano et forme aujourd’hui presque une ville à part entière. Elle concentre des populations défavorisées, là où les conditions climatiques sont plus rudes que dans les quartiers de La Paz, situés en contrebas dans une cuvette à tout de même 3 500 mètres d’altitude. D’une frontière topographique est donc née une frontière sociale, qui vient fragmenter la ville et ses populations.  

La ville-monde : dépasser la frontière ? 

On note aujourd’hui deux tendances contradictoires, mais profondément liées : d’une part, l’effacement progressif des frontières, d’autres part, la volonté, dans certains cas, d’en réaffirmer d’autres. C’est le cas de la frontière Mexique – États-Unis, c’est aussi ce qui se prépare avec le Brexit. La question de Gibraltar en est d’ailleurs la concrétisation, avec l’irruption d’une nouvelle frontière aux modalités incertaines, là où 30 000 transfrontaliers travaillent quotidiennement, et où 96% des citoyens avaient voté pour le maintien dans l’Union Européenne. 

Face à cela, les grandes mégapoles mondiales s’affranchissent des frontières. Plateformes multimodales, centres d’affaires, sommets internationaux… les villes-mondes hyper-connectées sont mieux reliées entre elles qu’avec certaines parties d’un même État. De manière générale, les échanges sont de plus en plus facilités entre des villes qui gagnent en importance, en pouvoir et en rayonnement. Lorsque l’on dit qu’une ville s’affranchit des frontières, il y a là aussi un symbolisme politique fort : de plus en plus, les villes gagnent en puissance face aux États.

Certaines villes adoptent d’ailleurs des politiques bien différentes de celles de l’État global. C’est le cas par exemple de la Chine, où désormais les citoyens de 53 pays sont autorisés à résider 144 heures (soit environ 6 jours) en transit dans 16 des plus grandes villes chinoises sans visa, alors qu’il faut déposer une demande de visa à l’ambassade dans n’importe quel autre cas de figure. Les villes ont donc bien une situation privilégiée, dans le rapport aux frontières : elles se doivent de rester ouvertes, accessibles, pour faciliter les échanges et leur intégration globale. 

Les situations sont multiples. Malgré cela, on constate que, si la frontière pouvait dans le passé déterminer le rôle et la forme d’une ville, celles-ci ont trouvé des moyens de la contourner, en intensifiant les liens qui les relient aux autres villes internationalisées. Mais les frontières sont-elles toujours là où on les imagine ? Si la frontière physique et étatique est aujourd’hui remise en question, la ville ne serait-elle pas créatrice d’autres formes de frontières, notamment sociales et culturelles ? 

Photo de couverture : @markusspiske