Remodeler, voire métamorphoser, est un événement heureux alors que la démolition et la reconstruction sont horriblement douloureux : la table rase n’est pas la meilleure idée urbaine, c’est une idée foncière… Le remodelage est un événement urbain jubilatoire : jalon du bon récit de la ville, il construit une mémoire urbaine heureuse autour du thème : « vous auriez vu comment c’était avant ». Chaque fois que c’est possible, le remodelage est à tenter. Il permet de penser la mutation du quartier, autorise qu’on puisse imaginer une évolution pouvant déboucher sur une banalisation de lieux décriés jusque là.
Au moyen d’une sorte de « sculpture » de l’existant, des bâtiments sinistres se transforment en architecture et, du même coup, un morceau de ville figé devient un morceau de ville sédimentaire… L’architecture et l’urbain sont inséparables et doivent être traités simultanément ; la violence formelle, géométrique et d’implantation des barres et des tours des grands ensembles l’exige. Il faut respecter la base « architecturale » quelle qu’elle soit : impossible de risquer que le « nouveau » fasse honte à « l’ancien », que le neuf disqualifie, selon le mot d’un maître d’ouvrage, l’ »occasion ». Il faut éventuellement « résidentialiser » les grands ensembles, mais cette pratique ne doit pas pour autant se transformer en règle : l’espace public doit être public et le privé, privé. Rien n’est trop beau, rien n’est trop fou, rien n’est trop jubilatoire. Au contraire, plus ces quartiers deviennent attractifs, plus ils sont un appel à l’autre et mieux ils se portent : la belle métamorphose a le droit à la carte postale.
1) La métamorphose de la barre République à Lorient (56)
Contexte : Le projet de remodelage de Rohan concourt à la diversification de l’économie lorientaise affectée par le déclin des activités de l’arsenal et du port de pêche. Celui de République participe au renfort de la centralité et au rayonnement culturel de la ville à l’échelle de son agglomération (180.000 habitants). Au début des années 90, la ville ambitionne de restructurer l’axe de composition majeur de la reconstruction, dit « grand axe », établi sur l’ancien bassin à flot aux deux tiers comblé. Frontière entre le centre historique au nord du quai des Indes et le secteur dit de la « nouvelle ville » au sud du quai de Rohan, cet axe relie l’hôtel de ville et l’hôtel des finances dominés par le parc du Moustoir.
Bien que ponctué par des équipements publics de premier plan, le « grand axe » – victime d’une « vocation » artificielle de recentrage et expression symptomatique d’une blessure de la ville – ne parvient ni à s’affirmer (sa lecture est brouillée par des enchaînements malaisés) ni à se ramifier transversalement en faisant communiquer le centre historique et le secteur de la « nouvelle ville ». Pour autant son réaménagement ainsi que la construction d’un « nouvel équipement culturel » à proximité immédiate de l’hôtel de ville contribuent aujourd’hui à l’épanouissement de la vocation de ville-centre de la troisième agglomération de Bretagne.
Projet architectural : La métamorphose de la barre République. A l’origine une barre de 11 étages. Une partie neuve construite en proue monte à R+13 côté mer. La barre est écrêtée en gradins jusqu’à R+6 vers le sud, dégageant des terrasses en extension des logements. Une épaisseur est donnée aux façades : vers la ville en extension, par l’adjonction de larges bow-windows agrandissant des séjours ; sur la rue Courbet en creux, grâce à des loggias sur lesquelles de nouveaux types de logements à séjour traversant sont proposés. La création du Cours République tracé perpendiculairement au bassin à flot, une rue nouvelle flanquée d’un large mail piéton débouche sur une place plantée au pied de la barre remodelée. Ce dispositif urbain, mettant en scène la nouvelle silhouette de la barre, rapproche ce quartier du centre, s’inscrit dans la réflexion urbaine du Grand Axe de Lorient et participe à la réconciliation de la ville avec elle-même.
Epilogue : Le remodelage de République comme celui de Rohan constituent un vibrant plaidoyer anti-table rase dans une ville qui assume sa mémoire, fût-elle douloureuse…Ici, la détermination politique et l’intégration des deux projets dans une stratégie économique et urbaine les ont dotés d’une pertinence et d’une plus-value indéniables. Dans cette fertilisation réciproque se situe l’indice le plus sûr de leur exemplarité.
2) Le remodelage du quartier de la Caravelle à Villeneuve-la-Garenne (92)
Contexte : Deux ans après l’élaboration de la charte 92 qui esquissait les grands axes de son développement à l’horizon 2015, le département le plus riche de France, les Hauts-de-Seine, dévoile ses faiblesses, en l’occurrence l’existence de ghettos d’habitat social localisés sur ses marges nord et sud. Les disparités sociales génèrent une géographie départementale d’extrême ségrégation, symbolisée par l’antagonisme entre 1% de logements sociaux à Neuilly (61.768 habitants) et 69,5% à Villeneuve-la-Garenne (23.824 habitants). Dans le cadre du « plan de lutte contre la ségrégation urbaine », le Conseil général cosigne sept contrats de ville avec l’Etat concernant entre autre la commune de Villeneuve-la-Garenne.
Projet architectural : Le grand ensemble de la Caravelle, 1.620 logements, est une enclave réfractaire au reste de la ville. Le projet vise à réinscrire le site dans la ville et à modifier la perception qu’en ont les habitants de Villeneuve-La-Garenne. Valoriser le quartier et le rendre plus perméable. La Caravelle doit s’ouvrir sur la ville. Des accroches sur les bords, des percées, un maillage de rues et d’allées plantées sont favorisés ainsi que des liaisons avec les lieux clefs de la ville : le parc des Chanteraines, le Parc Municipal, la Z.A.C Villeraine et la Seine, ainsi que le centre ville.
Epilogue : Quatre ans auront été nécessaires à la conception du projet urbain et du dispositif opérationnel requérant l’aval de l’ensemble des acteurs impliqués (1994-1998). Le projet global se termine au bout de douze ans et doit sa réalisation à l’engagement du département, de la SEM 92 et des maires Roger Prévot, puis Alain-Bernard Boulanger. La Caravelle reste, en France, le premier grand ensemble de cette taille à avoir été entièrement remodelé.
3) Le remodelage de la barre Diderot à Argenteuil (95)
Contexte : Construite entre 1965 et 1975 sur un site de 115 ha, la ZUP du Val-d’Argent – qui regroupait à l’origine les communes communistes d’Argenteuil, Bezon, Houilles et Sartrouville – a été propulsée sur la scène médiatique lors des émeutes de 1990 et de 1992. La ville d’Argenteuil était un haut lieu industriel du Val-d’Oise et la première ville du département sur le plan démographique (95.000 habitants), victime de la récession de son industrie et de l’absence de perspectives de reconversion.
Projet architectural : Argenteuil se situe au nord-ouest de Paris dans le Val d’Oise. C’est l’une des treize villes de France à avoir signé un Grand Projet Urbain avec l’Etat. Une barre en forme de L ferme la dalle au nord, place Denis Diderot. Les entrées seront transférées allées Paul Eluard où atterrit l’autre flanc du bâtiment. L’espace devant l’immeuble, place Diderot, deviendra un lieu privatif où des jeux pour enfants seront installés. Le bâtiment sera profondément transformé avec l’ajout de constructions neuves. L’ensemble passera de 120 à 142 logements.
Epilogue : Le remodelage de la barre Diderot a donné le ton d’une variété des possibles en matière de remodelage. Cette expérience a prouvé qu’une métamorphose de l’habitat sur dalle est non seulement nécessaire, mais encore possible. En cela le remodelage de Diderot est exemple.
4) La transformation du Carré de-la-Vieille à Dunkerque (59)
Contexte : En 1994, le maire de Dunkerque et président de la Communauté urbaine, Michel Delebarre, choisit de parier sur l’avenir de ce quartier et, faisant preuve d’innovation, décide de s’intéresser aux causes profondes de sa mal-vie plutôt qu’à un traitement exclusivement social de sa marginalité.
Projet architectural : Le Carré de la Vieille est un quartier compris dans la périphérie du centre de la ville de Dunkerque. Les enjeux définis par le projet Urbain d’Agglomération sont de connecter en priorité, l’ensemble des quartiers périphériques entre eux et au centre ville.
Epilogue : La requalification architecturale du Carré-de-la-Vieille a été conçue pour permettre la pleine revitalisation des activités du quartier, ainsi que sa reconversion économique et sociale. La réussite de ce renversement d’image trouve son illustration dans le fait qu’aujourd’hui aucun taxi ne refuse de déposer un client au Carré-de-la-Vieille. Il arrive même que les chauffeurs improvisent un éloge de la rédemption du quartier, transfiguré en quelques années.
5) Restructuration urbaine à Douchy-Les-Mines (59)
Contexte : Situé au cœur de l’ancien pays minier, la ville de Douchy-les-Mines souffre d’une absence d’identité. Sa morphologie fait qu’on y entre, qu’on la traverse, sans avoir perçu sa centralité. L’identité du centre souffre la proximité du boulevard de la Liberté, un quartier d’habitat social de 420 logements répartis dans des barres de cinq étages. Cet effet barre donne au quartier une identité de cité.
Projet architectural : Le projet s’organise autour de plusieurs principes : créer un vrai boulevard bordé de plantations publiques et de jardins, résidentialiser les immeubles, fabriquer un « entre cour et jardin », réhabiliter les barres de logements, revêtir les immeubles de briques et renforcer la centralité grâce à la création d’un beffroi.
Le Remodelage, par Roland Castro from Laetitia Gadan Karmaly on Vimeo.