Duel pour la présidence de l’AMF
Cette année plus que jamais, les débats qui agitent la campagne du congrès de l’Association des Maires de France tournent autour du degré d’autonomie des municipalités vis-à-vis de l’Etat. L’enchaînement de la crise des gilets jaunes et de la gestion contestée de la crise sanitaire par le gouvernement a tendu les relations avec les représentants des maires et l’Etat. Une position qui n’est cependant ni surprenante ni nouvelle, puisque l’association s’est justement fondée autour d’oppositions similaires il y a plus d’un siècle.
Tout commence en 1907, alors que le gouvernement central fait voter une loi supprimant les octrois, c’est-à-dire des taxes sur toutes les marchandises entrant dans les villes, qui assurent une source de revenus importante pour les municipalités du pays. Pour protester contre cette décision, et au risque de contrevenir à la loi municipale de 1884 interdisant aux différents conseils municipaux d’entrer en communication avec leurs homologues, le maire de Nantes Paul-Émile Sarradin réunit en congrès les premiers édiles des villes de plus de 20 000 habitants.
Paul Émile-Sarradin par Emmanuel Fougerat, domaine public
Cette première association a fusionné une quinzaine d’années plus tard avec l’Association des maires de France et d’Algérie, pour peser de plus en plus dans le débat avec les pouvoirs publics à partir des années 1930 jusqu’à être enfin reconnue comme une association d’utilité publique en 1933. Durant toute son histoire et encore aujourd’hui, l’AMF cherche à se positionner comme un des interlocuteurs les plus légitimes pour faire remonter les problématiques sociales à l’Etat, en luttant régulièrement contre les lois et décisions qui risqueraient d’affaiblir l’autonomie financière et fiscale des collectivités françaises.
Des dizaines d’années plus tard, certains commentateurs voient dans le vote de cette année une tentative des proches du président Macron de reprendre la main sur cette institution, qui a permis de renforcer l’influence des municipalités durant un siècle. De fait, si le favori David Lisnard s’inscrit dans les pas de François Baroin, dernier président en date, en s’appuyant notamment sur des élus du parti Les Républicains, son adversaire se repose au contraire sur plusieurs réseaux d’élus locaux bien plus proches de la majorité LREM. Sans oublier que c’est la première fois en plus de cent ans que deux listes concurrentes s’affrontent pour la présidence de l’association, alors que des accords droite-gauche autour d’un candidat unique était auparavant la règle.
Si on peut imaginer qu’une présidence effectuée par Philippe Laurent serait moins conflictuelle qu’une par le maire de Cannes, les déclarations des deux candidats restent cependant dans la droite lignée de la tradition de l’association. Philippe Laurent a par exemple signifié sa volonté de conserver et d’étendre la liberté d’action des collectivités en déclarant que “les maires ne sont pas des sous-traitants” ou encore qu’ils “ne se contentent pas de construire des gymnases ou d’entretenir les écoles. Ils sont les mieux placés pour mener à bien les transitions écologiques et numériques”. En face, David Lisnard s’est opposé frontalement aux contrats de Cahors, accords entre l’Etat et les municipalités pour faire baisser la dépense publique en limitant le budget de fonctionnement.
Les maires, figures politiques de premier plan
Le 17 novembre 2021 sera connu le nom du président succédant à François Baroin, après sept ans de règne. Deux candidats sont alors en lice : d’un côté David Lisnard, maire de Cannes soutenu par le président sortant et de l’autre Philippe Laurent, maire de Sceaux qui se pose en challenger. Deux maires qui se sont particulièrement illustrés dès le début de la pandémie en France.
En effet, David Lisnard a, par exemple, fait partie des tous premiers édiles à insister auprès de l’Etat pour obtenir des degrés de liberté dans la gestion locale de la crise, ce qui lui a d’ailleurs permis de gagner énormément en popularité et d’être réélu dès le premier tour avec un incroyable score de 88%. Le maire de Sceaux s’est pour sa part fait connaître en étant le premier à imposer le port du masque chirurgical dans l’espace public, ce qui lui a valu d’être poursuivi par le conseil d’Etat et la Ligue des droits de l’Homme.
Par leurs actions et leur positionnement vis-à-vis du gouvernement central, ces deux maires sont assez représentatifs de la dynamique de montée en puissance et de la quête d’une plus grande autonomie des municipalités françaises, comme d’un grand nombre de pays.
Crédit image ©Eurocities
Plusieurs municipalités cherchent même à se placer comme fer de lance face aux défis les plus importants et complexes de ces dernières années, notamment ceux du changement climatique et de la crise migratoire. Celles-ci se constituent de plus en plus en réseaux, notamment les plus grandes métropoles à l’instar de Eurocities ou C40 afin de partager les bonnes pratiques en se passant de l’échelon national. Voire même en s’y opposant dans les réseaux tels que l’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants ou Welcoming Cities dans lesquels se partagent des pistes d’actions pour favoriser au maximum de bonnes conditions de villes pour les réfugiés. Parfois, et même souvent, en allant à l’encontre des politiques nationales comme à Nantes.
Cette centralité des premiers édiles s’incarne en quelque sorte dans la candidature de Anne Hidalgo, maire de Paris, à l’élection présidentielle de 2022. Pour remporter ce scrutin qui s’annonce très difficile pour toute la gauche, elle s’appuie depuis plusieurs mois sur son « équipe de France des maires », qu’elle croit capable de prendre les rênes de l’exécutif après avoir fait démonstration de leurs capacités en gérant des municipalités. Johanna Roland, Nathalie Appéré, Cédric Van Styvendael, Nicolas Mayer-Rossignol, … autant de maires de grandes villes qui pourraient demain être à la tête de ministères ou dans des cabinets gouvernementaux ? Rien de moins sûr au vu de la dynamique de ces dernières semaines, alors même que les maires restent les élus les plus populaires du pays.
Quelle autonomie pour les collectivités ?
Le mouvement de décentralisation en cours depuis les années 1980 a accordé de plus en plus de pouvoir aux échelons inférieurs à celui de l’État. Pour autant, ce transfert de compétences s’accompagne désormais de plus en plus d’une prise en main de la fiscalité des communes directement par le gouvernement central. Durant le quinquennat Macron, la suppression de la taxe d’habitation et la loi de finances 2021 constituent notamment les symboles d’un virage assez important et dénoncé par l’Association des Maires de France.
En Île-de-France, les collectivités ont par exemple collectivement « perdus » 4,9 milliards issus de cette taxe d’habitation entre 2018 et 2019. Des pertes sont aujourd’hui compensées par un savant système de domino fiscal qui permet aux municipalités de récupérer la taxe foncière perçue par les départements qui sont eux même compensés par un pourcentage de la TVA.
Sans rentrer dans tous les détails techniques des nouveaux mécanismes de compensation ou des taux nationaux appliqués sur les taxes locales, on peut avancer que l’État s’immisce de plus en plus dans la fiscalité des collectivités et semble vouloir limiter leur autonomie fiscale, sans pour autant chercher à limiter leurs compétences.
Crédit ©Institut Paris Région
Malgré cela, la décentralisation à la française devrait connaître une nouvelle étape d’importance dans quelques semaines avec la probable promulgation de la loi 3DS, anciennement connu sous le nom de loi 4D. Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification : tels sont les quatre mots d’ordre assez ambitieux de cette nouvelle loi qui devrait rééquilibrer les compétences et les missions des différents échelons, de la région à la commune.
À l’époque du changement climatique, de la crise sanitaire et de l’augmentation des inégalités socio-spatiales, il faut plus que jamais réussir à intervenir à plusieurs échelles de concert. Si la tendance de cette dernière décennie a consisté à donner de plus en plus de pouvoir et d’importance aux métropoles et aux régions, les villes n’ont pas dit leur dernier mot. Alors que les premières deviennent de plus en plus importantes et que les français vivent et travaillent sur des échelles de plus en plus grandes, les récentes crises sociale et sanitaire ont souligné avec force l’impact que pouvaient avoir les municipalités, et le manque de moyens et de degré d’autonomie dont ils souffraient parfois.
Sans pour autant sacrifier les autres échelons de l’État décentralisé, les villes ont un rôle capital à jouer dans les grandes transformations urbaines et sociales à venir, et on espère que le futur bureau de l’AMF bientôt élu saura faire remonter les préoccupations tout comme les solutions des presque 35 000 communes du pays.
Crédits photo de couverture ©AMFCom/Wikipédia