La montée en puissance des régions
Le rôle des régions semble de plus en plus important en France, ce qui s’observe notamment par la montée en puissance de leurs présidents et l’effacement de l’attachement territorial de certains députés. Les élections de cette année sont d’autant plus scrutées dans une période marquée par le reflux de la pandémie dans le pays, durant laquelle les régions ont été des actrices capitales. Cette centralité est pourtant relativement récente, et est le produit de décennies de décentralisation. Pour comprendre les enjeux contemporains liés aux régions, il nous paraît donc nécessaire de faire un rapide retour en arrière sur 40 ans de décentralisation.
Si on peut faire remonter les régions aux anciennes provinces du royaume de France, l’histoire des régions contemporaines débute en 1956. Dans cette première mouture, elles servaient avant tout de division administrative pour encadrer les grands programmes d’aménagement urbain. Durant ces 25 premières années, elles ne correspondaient alors qu’à un échelon déconcentré de l’Etat.
Le coup d’envoi de la régionalisation, telle qu’on la connaît aujourd’hui, date du début des années 1980, durant ce qu’on appelle désormais l’acte I de la décentralisation. C’est notamment à la suite de la loi Deferre que la région est devenue une collectivité territoriale à part entière. La tutelle administrative du préfet, représentant de l’Etat, qui avait le pouvoir d’annuler les décisions locales a priori est devenue un simple contrôle a posteriori, pour s’assurer de la légalité des politiques implantées et des mesures prises par la région à travers le tribunal administratif et la chambre régionale des comptes. C’est justement à cette période que les régions se sont dotées d’un organe propre : les conseils régionaux qui ont pour la première fois été élus au suffrage universel direct il y a 35 ans.
L’acte II de la décentralisation, promulguée en 2004, reconnaît explicitement les régions comme des collectivités territoriales dans la Constitution, en plus d’instaurer le principe de leur autonomie financière. Quelques nouvelles compétences leur sont également attribuées, comme la gestion du personnel non enseignant des lycées, toute la formation professionnelle et surtout l’organisation des transports ferroviaires en régions.
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Mais c’est l’acte III des années 2010 qui a véritablement transformé les régions. Alors que l’acte III prévoyait le remplacement des conseillers régionaux par des conseillers territoriaux, siégeant à la fois au niveau de la région et du département, cette disposition a été annulée après l’élection de François Hollande. Cependant, deux lois majeures ont été votées au cours de son mandat : les lois MAPTAM et NOTRe qui ont renforcé le rôle des métropoles et des régions.
Des collectivités aux nombreuses compétences
Aujourd’hui, les régions exercent des compétences dans plusieurs grands champs de politiques publiques, pour certains intimement liés aux villes et à nos modes de vie urbains. Tout d’abord, elles sont, depuis une vingtaine d’années, les autorités organisatrices des transports. Cette compétence se matérialise principalement par le pilotage des Trains Express Régionaux (TER) et des cars, un sujet particulièrement important pour soutenir les villes moyennes face à la dépendance aux TGV, d’autant plus que ce domaine représente par exemple 25% du budget de la région Pays de la Loire.
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Elles agissent également sur les lycées qu’elles construisent, entretiennent et font fonctionner, d’autant plus depuis les lois NOTRe et MAPTAM. C’est d’ailleurs un champ dans lequel les régions s’illustrent à travers des expérimentations innovantes comme lors du budget participatif des lycées de la région Poitou-Charentes, démarré en 2004, qui a impulsé un mouvement beaucoup plus large dans des centaines de collectivités ces quinze dernières années.
La compétence d’aménagement du territoire est également importante pour la région, et se traduit à travers un document, le SRADDET (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires). Celui-ci sert à exprimer la vision de la région en fixant des objectifs à moyen et long terme. Des enjeux alors très importants, par exemple pour équilibrer des territoires qui sont parfois phagocytés par un pôle métropolitain, à l’image de Bordeaux en Nouvelle-Aquitaine. La région peut alors concourir à cette égalité à travers d’autres compétences comme le renforcement des moyens de transports, le développement de la fibre ou encore le choix stratégique d’implantation des infrastructures.
La région a également été confirmée comme cheffe de file du développement économique à la suite de la loi NOTRe, mais également comme autorité de gestion des fonds européens puisque l’UE mise fortement sur les régions pour organiser le développement économique à l’échelle des 27. D’autres compétences sont partagées avec les autres collectivités, à l’instar du sport et de la culture, du tourisme, du logement, de l’éducation populaire, de la santé et de la lutte contre la fracture numérique.
Cette montée en compétences se traduit aujourd’hui par un renforcement des présidents de conseils régionaux, désignés par le journal La Croix comme des “grands féodaux”. En effet, lors d’une rencontre avec le président Macron au début de ce mandat, l’association des régions de France a demandé d’accorder un statut de gouverneur à chacun des présidentes et présidents, en quelque sorte calqué sur le modèle américain. L’influence grandissante des présidents de régions s’explique également par leur faible nombre — douze en métropole, en excluant la collectivité territoriale unique de Corse — qui leur permet plus facilement de se mobiliser pour peser dans la balance. Les ambitions régionales de plusieurs figures politiques à l’instar de Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand ou encore Valérie Pécresse, qui se représentent tous à leur propre succession, est un indice supplémentaire de l’importance grandissante de cet échelon intermédiaire.
Les régions en lutte contre la métropolarisation ?
À travers la communication politique, les présidentes et présidents de régions ont cherché à se positionner comme des acteurs bien plus ancrés dans les “territoires”, et donc plus proches des citoyens et de leur cadre de vie. L’épisode des commandes de masques chirurgicaux l’année dernière illustre, par exemple, parfaitement cette stratégie.
Bien que les français semblent apprécier cette implication, ils sont de moins en moins attachés à leurs régions, et privilégient plutôt une appartenance à leur ville et à leur pays, selon le géographe Jacques Lévy. Un phénomène qu’on peut expliquer par l’importante mobilité des français, mais aussi par la taille de certaines nouvelles régions. Ce détachement contribue à faire des régionales de simples élections intermédiaires, prémices aux présidentielles de l’année prochaine. D’importantes questions d’aménagement du territoire sont cependant en jeu ces 20 et 27 juin, comme le montre le travail cartographique réalisé ces dernières semaines par le journal Le Monde. Un des enjeux communs à différents scrutins de cette année est à relier à l’explosion du développement des résidences secondaires, notamment en Bretagne et en Corse.
Mais la question principale qui rassemble une grande partie des régions cette année est la lutte contre la métropolarisation. Il est à noter que ce dernier mot ne constitue pas une coquille : si la métropolisation désigne la tendance des métropoles à prendre de plus en plus d’importance, la “métropolarisation” fait référence à une vision idéologique et politique selon laquelle les métropoles doivent constituer l’échelon fondamental du pays. Quatre présidentes et présidents de région (Jean-Christophe Fromantin, Carole Delga, Xavier Bertrand et Hervé Morin) se sont alors rapprochés pour défendre le “rôle stratégique des villes moyennes”, dont la population est comprise entre 20 000 et 100 000 habitants. Une position qui a été reprise par de nombreux candidats aux élections régionales, à l’instar du député LREM Bruno Bonnell, candidat en Auvergne-Rhône-Alpes.
Cette défense des villes moyennes intervient à un moment où quatre français sur cinq indiquent préférer vivre dans une petite ville, voire même à la campagne, plutôt que dans une métropole. Une tendance qui s’est fortement accélérée depuis l’année dernière même si la réalité de l’exode urbain reste à prouver formellement. Plutôt qu’une simple opposition entre métropoles et plus petites villes, c’est l’interdépendance entre celles-ci qui se joue, comme nous le montre le cas de la région Nouvelle-Aquitaine.
Issue de la fusion entre l’Aquitaine, le Limousin et le Poitou-Charentes, cette nouvelle région dénote dans le paysage hexagonal avec ses 84 000 mètres carrés de superficie, soit l’équivalent de pays comme l’Autriche ou les Emirats Arabes Unis. Le premier conseil général post-fusion qui sera élu ce mois de juin devra agir contre l’hégémonie de la métropole de Bordeaux, qui concentre les infrastructures de transports, les services et les emplois de la région. C’est d’ailleurs sa place si particulière qui en a fait un haut-lieu du mouvement des gilets jaunes, un an après l’inauguration de la LGV Paris-Bordeaux.
Dans une séquence politique post-covid marquée par un ressentiment à l’égard des grandes villes, les thèmes de la ruralité et de la défense des villes moyennes marquent les débats de tous les scrutins du moment, d’autant plus que les français vivent pour 62% en dehors des zones densément peuplées selon l’INSEE.
Bien que les élections de ces deux prochains week-ends ne devraient pas galvaniser les foules, les régions ont définitivement le vent en poupe. Grâce à leurs compétences grandissantes acquises de la décentralisation, à l’influence importante de leurs présidences, et à des mouvements de défense des villes moyennes face aux métropoles, il y a fort à parier qu’elles joueront un rôle de plus en plus important sur l’aménagement du territoire et plus directement sur nos modes de vie urbains. Peut-être à travers le projet de la loi 4D, acte IV de la décentralisation ? Affaire à suivre.
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