S’il est difficile de calculer précisément les chiffres de la précarité en ville, certains constats sont toutefois facilement remarquables. Les écarts de richesse en ville semblent se creuser et certaines formes de précarité émergent dans les centres urbains. Mais qu’en est-il du mal logement en France aujourd’hui ?
Qu’est-ce que le mal logement ?
La notion de précarité urbaine est souvent seulement associée à la présence ou non de sans-abris en ville. Pourtant, il existe de nombreuses formes de précarité urbaine, dont une fait de plus en plus couler d’encre : c’est le mal logement. Nous vous proposons donc de décrypter cette notion, au cœur des enjeux de la ville de demain.
Communément employé pour évoquer l’habitat de personnes défavorisées, le phénomène du mal logement désigne en réalité l’ensemble des logements caractérisés par une grande insalubrité ou leur aspect précaire. D’abord, il peut aussi faire référence à un logement transitoire : la personne logée ignore combien de temps elle pourra rester dans le logement. Enfin, l’habitat précaire est qualifié par les conditions de vie dégradées qu’il offre à ses habitants : un logement surpeuplé, inconfortable, insalubre est considéré comme un lieu de vie engendrant du “mal logement”. En France, c’est la fondation de l’Abbé Pierre qui porte cette question dans le débat public chaque année et qui a aussi défini cette notion.
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Parmi les facteurs accélérateurs du mal logement, on trouve la solitude, qui expose les personnes les plus vulnérables au mal logement. Aujourd’hui, la mono-residentialité est une réalité pour 35% des français et elle en place un bon nombre face à des défis du quotidien : payer le loyer avec un salaire unique, soutenir des charges parfois trop importantes. La solitude accélère également le mal logement par sa tendance à amplifier la pénurie de logements abordables.
D’après un rapport sur le mal logement réalisé par la fondation Abbé Pierre “La réduction de la taille moyenne des ménages depuis 40 ans a nécessité à elle seule la production de près de sept millions de logements”. Une pénurie d’autant plus forte dans le cas de petits logements : complètement pris d’assaut, il est aujourd’hui quasiment impossible d’accéder à de petits logements abordables. Par exemple, près de la moitié des demandes HLM proviennent de personnes seules, alors que les logements de petite taille ne représentent que 25% du parc locatif social. Un pourcentage très faible, lorsque l’on compare la part des petits logements dans l’ensemble du parc locatif français (55%).
Si la solitude est facteur de mal logement, à l’inverse, ce dernier est une source d’exclusion et d’isolement : honte ou impossibilité de recevoir chez soi, éclatement de la cellule familiale… L’isolement relationnel est alors en grande partie lié à de ces facteurs socio-économiques. Un cercle vicieux se met alors en place, l’isolement entraînant le mal logement, qui à son tour accentue l’exclusion. Pour la fondation Abbé Pierre, les individus percevant des revenus inférieurs à 1200 euros par mois sont ainsi surreprésentés parmi les personnes isolées : il représentent en effet 34% des personnes isolées, alors qu’ils ne sont que 26% de la population.
Une situation actuelle inquiétante, amplifiée par le confinement
Avec la crise sanitaire et le confinement, la question du mal logement prend toute son importance dans les débats publics. Les exemples de logements surpeuplés, insalubres, dans lesquels se sont entassés des familles entières pendant le confinement ont particulièrement touché la sphère médiatique. Si la crise du Covid19 n’a fait que catalyser et amplifier la situation, elle a également permis de révéler aux yeux du grand public une nouvelle forme de précarité en ville, moins connue car souvent invisible : la question du mal logement. Il s’agit néanmoins d’un sujet de fond depuis des années et qui alerte déjà depuis quelque temps. D’ailleurs, les sujets de sur-occupation des logements, d’insalubrité et de précarité énergétique, dressent un constat alarmant de la question en France.
Une première conséquence du mal-logement en France, c’est la précarité énergétique. Au sens de la loi sur l’environnement de 2010, cette dernière concerne toute personne qui “éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat”.
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Cette forme de précarité silencieuse et directement liée à des problèmes de ressources financières, est un défi quotidien pour de nombreux ménages. En 2019, l’ONPE estime qu’un million trois de ménages, vivant en copropriété, souffrent de précarité énergétique dans l’hexagone. Un chiffre alarmant, qui est encore plus impressionnant lorsque l’on change la définition de cette notion.
En effet, si l’on comptabilise aussi le nombre d’individus dépensant plus de 10% de leurs revenus pour se chauffer, les chiffres atteignent 4 millions de personnes en 2018. La problématique de précarité énergétique s’accompagne alors parfois d’une insalubrité au sein des logements, une deuxième problématique importante. L’humidité, par exemple, peut dégrader les équipements et rendre le logement vétuste. Mais l’insalubrité ne se limite pas à cela : moisissures, bêtes nuisibles en tout genre, dégradation des matériaux… Elle est un véritable fléau pour les ménages modestes, affectant leur quotidien et souvent aussi leur santé.
La pénurie de logements, particulièrement de logements de petite taille et abordables en ville, a elle aussi tendance à accélérer le mal logement. L’entassement de familles entières dans des logements, dont la taille diminue à vue d’œil au sein des villes, est une cause directe de mal logement.
En France, l’Insee évalue la suroccupation du logement par rapport au degré d’intimité de chaque habitant. Pour résumer, on peut dire que la suroccupation d’un logement s’évalue selon ces critères, “pour une occupation normale on a besoin de 9 m2 pour une personne seule, 16 m2 pour un couple et 9 m2 par personne supplémentaire.”. D’après une étude de l’INSEE menée après le confinement, 5 millions de français ont vécu une situation de sur-occupation de leur logement.
Un fait d’autant plus important au sein des résidences et des appartements, non équipés de jardins : 16,5% des populations vivant en appartement sont touchées par le phénomène de surpopulation. Le phénomène de sur-occupation des logements est donc une problématique très urbaine. D’ailleurs, la plupart des logements sur-occupés se situent dans les aires urbaines de plus de 100 000 habitants, particulièrement dans les grandes métropoles. Par exemple, 40% des personnes touchées par ce phénomène résident en agglomération parisienne.
Somme toute, la question du mal logement investit la sphère urbaine et fait parler d’elle. Face à ce constat, des initiatives pour sortir du mal logement semblent se dessiner afin de créer une ville inclusive, résiliente et adaptée aux usages.
Des initiatives pour sortir du mal logement et se préparer à l’avenir
Pour lutter contre le mal logement, de nombreux acteurs se mobilisent et proposent des alternatives. Associations, pouvoirs publics, société civile, tous ont un rôle à jouer dans la création de logements pour tous. Désenclaver la notion de précarité du logement suppose en effet d’arriver à bâtir des liens entre les différents acteurs du logement en France.
Les associations ont un rôle majeur à jouer : locomotives dans les dynamiques locales, elles sont un solide appui pour les habitants en situation de mal-logement. Par exemple, le collectif d’associations Habitat et Humanisme œuvre pour lutter contre le mal logement et permettre aux personnes les plus en difficultés d’accéder à un habitat digne. L’association travaille à cet objectif grâce à l’action de ses sociétés foncières. Ces dernières achètent, construisent et rénovent des logements, qui sont par la suite mis à disposition de ménages modestes.
Dans un contexte de crise financière, de crise du logement et de crise sanitaire, ces logements apportent donc une solution concrète pour des personnes à faible revenus. Ils constituent ainsi une alternative au parc traditionnel des logements sociaux, saturés. Une initiative innovante qui est particulièrement remarquable : via le mouvement “propriétaires et solidaires”, l’association récupère, rénove et gère des biens immobiliers d’agents privés, afin de les mettre à disposition de locataires qui n’auraient pas pu habituellement accéder à ce type de logements (par exemple pour “faiblesse” des dossiers comparativement à d’autres locataires). Un dispositif qui permet donc de rassurer les propriétaires et de redonner accès à un logement digne à tous.
Il ne s’agit cependant pas de s’appuyer uniquement sur les associations. L’État, les collectivités territoriales jouent d’ailleurs également un rôle majeur à ce sujet. Les lois sur le logement, les redistributions envers les plus précaires, permettent de lutter contre l’inégalité d’accès au logement et d’apporter quelques solutions. Il est vrai que l’austérité budgétaire a pu limiter les actions de redistribution, notamment au sujet des APL et de la création de logements sociaux, voire très sociaux.
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D’ailleurs, pour la fondation Abbé Pierre, il faudrait effectivement arriver à bâtir 150 000 logements sociaux par an, un objectif inatteignable sans l’aide de l’État. Le plan de relance, annoncé en septembre dernier, a toutefois mis en avant la question de la précarité énergétique : les primes à la rénovation énergétique sont au cœur des mesures prises par le gouvernement pour la relance économique. L’initiative Ma prime renov’, ouverte à tous depuis le 5 octobre 2020, devrait ainsi permettre de rénover 4,8 millions de “passoires énergétiques » et accélérer la lutte contre la précarité énergétique : un bon isolement peut par exemple permettre de baisser la facture énergétique.
La collaboration et la concertation sont des armes de lutte majeures contre le mal logement. Écouter pour savoir répondre aux besoins des plus précaires est une priorité. Garantir à tous l’accès au logement digne et lutter contre la crise du logement actuelle, nécessite de repenser notre offre de logements sociaux et de modifier la politique du logement actuellement en vigueur. Les enjeux sont de taille et le chemin reste long à parcourir afin de créer une ville inclusive, durable et adaptée à tous.
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