Que de chemin parcouru dans le monde de l’occupation temporaire des friches depuis le début des années 2000. Alors que seulement quelques collectifs investissaient cette forme d’urbanisme il y a une vingtaine d’années, les friches sont devenues des terrains de jeux convoités par l’ensemble de la fabrique urbaine ces derniers temps, sur fond de raréfaction du foncier et d’apparition de nouveaux usages et mode d’habiter.
L’expérimentation au cœur de l’occupation temporaire
C’est autour de la généralisation de ce phénomène qu’une table ronde a été organisée au MIPIM 2022, rassemblant l’architecte Philippe Rizzotti, Théo Lachmann, chargé de partenariats chez France Tiers-Lieux, Fanny Cottet doctorante chez Plateau Urbain ainsi que Franck Mackowiak directeur de l’immobilier à Aurore. L’occasion de confronter les premières expériences de Philippe Rizzotti et de son ancien collectif Exyzt à Roubaix aux évolutions plus récentes du secteur. A côté de la Condition Publique, un atelier de quelques centaines d’étudiants architectes européens avait alors expérimenté la vie ensemble sur un échafaudage, avec un budget de 30 euros par personne pour créer une « République Éphémère« . Une première expérience inspirée de l’ambiance underground des raves de la fin des années 90 qui a fait des petits à travers le collectif Stalker, les jeux d’auto-construction de Bellastock, et jusqu’à Momento Monumento au Brésil, qui a montré les limites de l’expérimentation architecturale dans la confrontation avec les pouvoirs publics et l’économie.
« Le meilleur moyen de défricher un espace, c’est de l’habiter » nous dit Rizzotti. Plus que la « simple » occupation physique d’un lieu, c’est la capacité à stabiliser des gens dans un espace, pas encore tout à fait là ,qui permet de créer un lieu, c’est-à-dire en premier lieu la programmation culturelle et résidentielle. Un adage partagé par tous les actrices et acteurs de l’urbanisme temporaire présents à Cannes, notamment Théo Lachmann de France Tiers-Lieux, qui se charge de mettre en relation des lieux à faire vivre avec des occupants. Les tiers-lieux, qui naissent très souvent de friches, représentent pour lui « la société civile qui s’organise pour répondre aux besoins », que ce soit en termes d’alimentation, d’éducation ou de culture. L’ADN commun de tous les projets : l’expérimentation, comme dès les années 2000.
Cette dimension expérimentale s’exprime aujourd’hui par les nouvelles formes de lieux (et de manière plus marginale par l’avènement du numérique) mais aussi par les montages et à la gouvernance de ceux-ci, alors que très peu d’occupants sont en capacité de devenir propriétaires d’un lieu. D’où l’objectif de la période en cours : acculturer les élus locaux à cette forme d’urbanisme et d’occupation, afin de légitimer ces nouveaux lieux et méthodes sans pour autant les standardiser. Bien que le secteur reste assez précaire pour les porteurs de projets, très ambitieux, la multiplication des foncières solidaires, mais surtout la démonstration permise par les réussites connues de tous permettent d’asseoir cette légitimité. Par exemple, la friche belle de Mai à Marseille s’est rendue indispensable en apportant un service manquant à la cité phocéenne, en manque de centres sociaux. La Cité Fertile de Pantin, dispose d’ailleurs aujourd’hui d’un incubateur et d’une école des tiers-lieux pour faciliter l’implantation de ces projets.
Les friches, activateurs de quartier
La discussion s’est évidemment attardée sur feu les Grands Voisins, tiers-lieu iconique s’il en est, qui a permis de démontré au grand public comme aux élus ce qu’il est possible de réaliser avec l’occupation temporaire. En l’occurrence, un tout nouveau quartier. Pour Franck Mackowiak, directeur de l’immobilier à Aurore qui héberge, soigne et accompagne près de 30 000 personnes, ces occupations ne sont pas une fin en soi, mais représentent une opportunité du fait du marché hyper tendu, notamment en Île-de-France. En plus de permettre à un public exclu de profiter du projet pendant plusieurs années, sa réalisation a convaincu Paris & Métropole Aménagement qu’il était intéressant et pertinent de pérenniser l’accueil de ces personnes défavorisées, pourtant pas un réflexe des aménageurs, des promoteurs ni même des bailleurs sociaux selon Franc Mackowiak.
Fanny Cottet, qui prépare depuis plusieurs années une thèse sur le sujet tout en travaillant au sein de Plateau Urbain défend un point de vue similaire : ne pas juste servir de faire-valoir, mais s’immiscer dans les petits temps pour porter d’autres formes d’architecture, et donc de nouveaux possibles qui se détachent de la seule valeur foncière, tout en challengeant la production classique de la ville, et ses acteurs. L’occupation permet de faire changer la programmation d’un projet, voire même d’en étendre la surface.
La coopérative d’immobilier solidaire et d’occupation temporaire met à disposition des lieux vacants pour des espaces associatifs et d’ESS, ou encore pour des projets culturels. Les tarifs bien en-dessous du marché (seulement le coût des charges) permettent ainsi de faire « sauter la valeur du marché pendant quelques temps ». Si la pratique de l’occupation temporaire se légitime au fur et à mesure, c’est également le cas des structures qui l’accompagnent et des nouveaux métiers qui les constituent. Alors que certains détracteurs pointaient du doigt les baux « précaires » que Plateau Urbain pouvaient proposer, la réussite des premières opérations leur permet au contraire d’être bien plus exigeant et de réclamer des contrats plus longs, et avec une grande visibilité avant l’éventuelle prolongation.
Tous les acteurs présents sont d’accord : les crises qui agitent en ce moment le monde (de la fabrique urbaine) ne font que renforcer le besoin et l’envie de développer la pratique de l’occupation temporaire, pour ouvrir la porte à une programmation plus ouverte, qui fait la part belle aux usages et à l’expérimentation.
Crédit image de couverture © Simol