La tour Perret, nichée au coeur du grand parc urbain Paul Mistral, fait partie du paysage grenoblois. Fermée au public depuis une soixantaine d’années, elle est pourtant un symbole incontournable de Grenoble : on s’y donne rendez-vous, on se repère grâce à elle, on observe le feu d’artifice du 14 juillet tiré depuis son sommet. Et puis, ultime preuve, celle-ci apparaît sur toutes les cartes postales de la ville ! Malheureusement, le gel, la pollution et le manque d’entretien ont ensemble grandement affecté l’état général du bâtiment, pourtant classé monument historique en 1998. Grâce aux mobilisations habitantes et un soutien politique, après 3 ans de travaux, les visiteurs pourront de nouveau gravir ses marches et ainsi monter à son sommet en 2022.
La tour, symbole de la richesse de Grenoble
Il était une fois en 1925 … Grenoble accueillait l’exposition internationale de la houille blanche (dont elle maîtrisait la production) et du tourisme. Pendant 6 mois, plus d’un million de visiteurs sont ainsi venus visiter cette ville méconnue de 80 000 habitants située au coeur des Alpes. Le maire de l’époque, Paul Mistral, a profité de cet évènement hors du commun pour mettre en scène les points forts de sa ville : d’abord, le tourisme (avec le développement des premières stations de ski) et bien-sûr l’innovation constructive. Il fait ainsi appel aux frères Perret, deux architectes spécialisés dans l’utilisation du béton armé (encore très peu développé à l’époque). Premier bâtiment de cette ampleur en béton armé, la tour invitait les visiteurs à observer l’ensemble des massifs montagneux entourant la ville à partir d’une plateforme située à 60 mètres d’altitude. On y montait grâce à un majestueux escalier en colimaçon, ou par un ascenseur vitré.
Affiche de l’exposition internationale de la houille blanche et du tourisme avec en son centre la tour Perret
La tour est l’unique vestige de cette exposition. D’une hauteur de 90 mètres, elle est une véritable prouesse architecturale. Avec un plan octogonal de 8 mètres de diamètre, et une structure inédite en béton armé, elle est aujourd’hui une référence internationale dans le monde de la construction. Son apparence brute de prime abord révèle cependant un travail du béton assez minutieux, avec notamment une ossature secondaire en claustras créant des jeux de lumière poétique à l’intérieur, à l’image de ceux créés dans le clocher de l’église Saint-Joseph du Havre conçue par le même architecte. Cette radicalité architecturale, ainsi que la qualité encore aléatoire des bétons armés produits à l’époque, explique en très grande partie son mauvais état de vieillissement. Dès les années 60, à cause de chutes de morceaux de bétons, on interdit donc au public d’y monter. Ce n’est que 50 ans après que la question de sa rénovation est posée sur le papier.
Les ferraillages de la tour se dégradent au fur et à mesure des années, engendrant alors la chute de morceaux de béton et la fragilisation de la structure ©Artreve via Wikipédia
Pendant des années, l’estimation du prix des travaux de rénovation a provoqué un débat houleux entre les défenseurs de ce patrimoine architectural et des personnes plus sceptiques sur l’intérêt de cette rénovation extrêmement coûteuse (8 millions d’euros). C’est n’est finalement que début 2019 qu’est désigné François Botton, architecte en chef des monuments historiques, pour assurer la maîtrise d’oeuvre de sa restauration. Ainsi, pendant 3 ans, il sera en charge d’établir un diagnostic de l’état de la tour, de mettre en place un protocole de restauration des bétons utilisés et de piloter le chantier pour garantir sa réouverture en 2022. Loin d’être un simple chantier de rénovation, l’architecte a choisi de mettre la barre haute pour faire de ce chantier un exemple sur bien des points.
Une restauration à enjeux multiples
Les grenoblois sont grandement attachée à la “vieille dame en béton armé”, comme l’illustre le nombre de pétitions créées depuis des années pour la sauver. C’est pour cette raison que l’équipe a décidé de les impliquer pleinement dans sa rénovation. Tout au long des travaux, les habitants et visiteurs seront invités à participer à des événements participatifs, comme des visites guidées, mis en place jusqu’à sa réouverture. Une fresque géante a d’ailleurs été réalisée en 2018 par un artiste local nommé Groak. Le graff sur la palissade de protection du chantier a ainsi été inspiré par les éléments architecturaux de la tour (notamment des claustras et d’anciennes affiches de l’exposition de la houille blanche et du tourisme de 1925). Cette réalisation offre ainsi aux passants l’occasion de découvrir l’histoire de la tour, tout comme le projet de rénovation du bâtiment et les techniques employées. La fresque sera évolutive sur l’ensemble du chantier permettant alors de transmettre différentes informations sur son avancée.
Une attention est également apportée à la sauvegarde des espèces animales présentes dans la tour. Depuis qu’elle n’accueille plus de public, elle est devenue un abri pour 3 espèces d’oiseaux (dont le faucon pèlerin). Proposés par des habitants et la LPO (ligue de protection des oiseaux), des nichoirs devraient être installés au sommet de la tour pour qu’elles puissent continuer d’accueillir ces rapaces.
Enfin, l’architecte souhaite donner une dimension internationale au chantier et en faire une “référence” en matière de restauration du béton armé. Les processus étudiés et les protocoles mis en place pourront servir par la suite à différentes rénovations de bâtiment des frères Perret, et plus largement du patrimoine architectural en béton armé.
La restauration de la tour Perret pose la question de la rénovation d’un nouveau type de patrimoine, celui du XXème siècle. Ces bâtiments font partie d’une histoire qui est propre à la ville, celle de l’industrialisation et de l’innovation dans le secteur de la construction, avec l’apparition de nouvelles méthodes. Souvent démunies, les agglomérations et les propriétaires se retrouvent bloqués face aux manques de moyens, et il n’est pas rare que ce patrimoine soit détruit. L’ambition du chantier de rénovation de la tour inscrit ainsi ce projet dans une dimension nouvelle de restauration : fédérer différents acteurs (habitants, associations, hommes politiques et industriels pour la recherche sur la réhabilitation de bâtiments en béton armé) permet à la fois de trouver des financements à plus large échelle, mais également d’ancrer le projet dans une dimension commune. De belles pistes pour une mise en valeur réussite de la richesse de l’histoire récente de nos villes, ainsi que de notre patrimoine à tous !