La génération Y, comme on l’appelle, est une génération bien informée et sensibilisée, consciente des dysfonctionnements actuels et sachant qu’une transition est nécessaire. Nombreux sont les étudiants qui souhaitent s’impliquer, seulement ils ne savent pas par où commencer et peu d’opportunités d’engagement leur sont offertes.
De leur côté, les municipalités n’ont pas les ressources nécessaires pour faire face à la multiplicité et à la complexité des enjeux urbains: croissance de la demande en énergie, gestion de la circulation, valorisation des déchets, hébergement des personnes à revenus modestes, etc.
Partant de ce constat, le Dr. Janet Moore et Duane Elverum – respectivement directrice et professeur du Centre du Dialogue de l’Université Simon Fraser – ont créé une structure mettant la capacité créative des étudiants au service des besoins de la Ville : le CityStudio Vancouver.
Duane Elverum, co-directeur actuel de CityStudio, m’a reçu dans leur espace, situé dans les locaux que la Ville met à leur disposition au bord de la False Creek, au coeur de la ville de Vancouver. Le lieu est à l’image du personnage: ouvert et chaleureux.
Duane Elverum – co-fondateur du CityStudio Vancouver – et une étudiante du CityStudio
Concrètement, le CityStudio offre aux étudiants: soit de travailler sur un projet durant un trimestre dans le cadre de l’un de leur cours, soit de participer à un programme intensif de 4 mois sur le modèle des programmes d’échanges universitaires, mais en lieu et place de pays étrangers, les étudiants partent à la découverte de leur propre ville !
Duane Elverum et Dr. Janet Moore, co-fondateurs et co-directeurs du CityStudio Vancouver
Chaque programme intensif compte 20 étudiants. Par équipe de 4, ils choisissent un projet, le but étant de créer des équipes pluridisciplinaires. Actuellement, 7 universités sont partenaires du programme. Une équipe peu ainsi être composée d’un étudiant en art, d’un géographe, d’un scientifique et d’un historien en devenir.
Cette pluridisciplinarité encourage le développement de projets originaux tout en créant des liens entre les étudiants d’universités différentes.
En plus de ces liens inter-universités, l’« incubation » au sein du CityStudio permet aux jeunes de travailler directement avec des employés municipaux ainsi qu’avec des entreprises et des associations de Vancouver.
« On acquiert une meilleure connaissance des acteurs du secteur sur lequel on travaille. » rapporte une étudiante de la promotion 2016 du CityStudio.
« Certains obtiennent même des postes dans les structures avec lesquelles ils ont collaboré durant les 4 mois. »
Ainsi, le modèle de coopération développé permet de retenir des jeunes dans la ville de Vancouver. Des jeunes ayant pour ambition de rendre leur ville plus durable, plus conviviale, plus juste et plus sécuritaire.
Les problématiques auxquelles répondent les étudiants sont très variées.
Vancouver souhaitant devenir une ville zéro déchet d’ici 2040, une des priorités de la Ville est de détourner l’ensemble des déchets pouvant être revalorisés des centres d’enfouissements.
Sachant cela, une équipe d’étudiants de la promotion 2015 s’est attaquée à l’enjeu des déchets canins collectés dans les parcs municipaux.
On recense actuellement actuellement de 225 000 chiens, produisant chaque année plus de 27 000 tonnes de déchet, qui se retrouvent à la décharge. Selon les projections, la ville comptera plus de 280 000 chiens en 2050, soit une production annuelle potentielle de 35 000 tonnes de déchets canin.
Après avoir fait un tour d’horizon des solutions existantes à l’international et avoir passé en revue les partenaires de revalorisation potentiels, les étudiants ont installé des petites poubelles rouges bien identifiées dans un parc de la ville dont le contenu était récupéré et revalorisé par une entreprise locale de compostage. Le projet a été d’une telle efficacité que la Ville s’en est emparée l’année suivante pour l’étendre à 2 autres parcs. On trouve désormais 500 poubelles rouge sur l’ensemble de Vancouver.
Rien de sorcier, mais il fallait se donner la peine d’essayer!
Sur un tout autre enjeu, des étudiantes du CityStudio sensibles au harcèlement dans les transports ont lancé un blog permettant aux usagers de partager leur expérience en transmettant des photos ou des témoignages écrits. Dès son ouverture, des dizaines de témoignages y étaient partagés chaque jour. Le site a été relayé par les médias et salué par le public, à tel point que la chef de l’équipe projet a été appelée à siéger au Comité de sécurité du département des transports municipaux.
Se rendant compte de l’ampleur du problème, Vancouver a depuis lancé une campagne contre le manspreading* dans les transports. La police a quant à elle développé une application permettant aux victimes de facilement faire part d’un incident.
Ces solutions pourraient inspirer d’autres villes tentant de faire reculer le harcèlement dans l’espace public, dont la Ville de Paris, qui vient tout juste de lancer une campagne contre le harcèlement de rue.
Quel est le secret du CityStudio pour s’assurer que chacun des projets qu’il développe intéresse la Ville, mais surtout pour que 130 employés municipaux soient désormais impliqués ?
« Quand la ville se fixe un objectif du type ‘Nous allons planter 100 000 arbres dans les 10 prochaines années’, cela devient aussi notre défi, et nous faisons savoir au maire que nous avons des étudiants prêts à les aider. Alors forcément, ils nous ouvrent la porte, et le travail peut commencer.» explique Duane.
Ainsi, les documents municipaux les plus intéressants pour l’équipe sont ceux traduisant la vision stratégique de la Ville et comportant des objectifs. Et ça, Vancouver n’en manque pas: the Greenest City Action Plan, the Healthy City Strategy, the Renewable City Strategy, the Engaged City Work Plan et the City of Reconciliation Goals.
Avec l’accumulation des priorités fixées, certains dossiers sont laissés de côté faute de moyens et de temps, alors CityStudio propose de s’en emparer.
Actuellement l’organisation est co-financé par des groupes philanthropiques et les universités partenaires et soutenu par la ville de Vancouver qui offre des ressources matérielles et humaines avec la mise à disposition du local et l’embauche d’un salarié à temps plein.
Duane ajoute que le plus gros défi n’a pas été d’intéresser la Ville, ni de trouver du financement, mais de permettre aux étudiants de sortir de leur établissement.
En effet, les structures d’enseignement sont assez rigides et il n’a pas été facile de faire travailler les étudiants en dehors du cadre conventionnel. Il a notamment dû batailler pour que le travail effectué au sein du CityStudio soit comptabilisé sous forme de crédits universitaires.
En mettant en place des nouvelles pratiques à Vancouver, le CityStudio favorise les initiatives citoyennes.
Grâce à la relation de confiance établie avec la ville, l’organisation peut entreprendre facilement des projets qui nécessiteraient normalement des demandes d’autorisation.
Ainsi en 2015, des étudiants installent des chaises en face de leurs locaux, offrant la possibilité aux passants de les orienter comme bon leur semble – contrairement aux bancs fixes existants – pour discuter, se relaxer ou simplement admirer la vue. C’est un peu une réplique du concept des chaises de jardin de Time Square à une échelle micro-urbaine.
En un an, les chaises n’ont été ni volées, ni vandalisées et nombreux sont les usagers satisfaits qui ont exprimé le désir de créer à leur tour de nouveaux lieux de rencontre.
De son côté, la municipalité paraît moins frileuse à l’idée de laisser aux citoyens la liberté de façonner l’espace public.
Lorsque Duane parle d’avenir, il évoque le souhait que « chaque ville possède son CityStudio» ou tout du moins, que « chaque ville donne l’occasion aux jeunes de prendre part à la recherche de solutions».
Le développement est en marche: CityStudio est présent à Victoria (Colombie Britannique, Canada) depuis 2015 et les maires de 4 autres villes canadiennes ont entrepris d’offrir un espace d’innovation similaire. Certains maires européens avant-gardistes sont déjà en discussion avec Duane et Janet pour importer le modèle.
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*manspreading (littéralement, « l’étalement masculin ») : un mot apparu en 2014 pour désigner la propension des hommes à écarter les jambes en toutes circonstances.