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Patrick Arotcharen, Campus Quicksilver Na Pali, Saint Jean de Luz

 

« Pour tous les hommes, dans les villes et dans les fermes : Le soleil dans le logis ; Le ciel au travers des vitrages du logis ; Les arbres sous les yeux, depuis le logis. Je dis : les matériaux de l’urbanisme sont : le soleil, le ciel, les arbres, l’acier, le ciment dans cet ordre et dans cette hiérarchie.»

Le Corbusier, La Ville Radieuse, 1933.

 

Ces « joies essentielles » qu’énumère l’architecte suisse fondent un principe d’aménagement du territoire veillant au rapprochement maximum de l’homme et de la nature. Si l’association de la nature et de l’architecture a pu, par le passé, être le leitmotiv des thèses désurbanistes, elle est aujourd’hui l’aspiration nouvelle de la ville dense avec le risque, comme on a pu le voir (cf. L’imposture de la ville verte), de frayer avec l’absurde ou l’irréel.

 

L’exigence écologique ne dispense pas de s’interroger sur le sens de l’architecture, ses rapports à l’homme et au lieu. Depuis plusieurs années, l’architecte Patrick Arotcharen travaille à la fusion de la nature et de l’architecture, interroge la responsabilité de l’architecte et l’impact de sa production sur l’environnement.

 

Qu’il s’agisse d’équipements tertiaires, scolaires, culturels ou de logements, la démarche de l’agence associe la conscience environnementale à une réflexion sur la densité, les franges urbaines et la tradition architecturale. Ses réalisations démontrent ainsi que les rapports entre l’architecture, l’homme et la nature sont de l’ordre de la réciprocité, de l’interaction et de l’appropriation.

 

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L’architecte et son agence à Bayonne

 

 

1. Qu’est-ce qu’une architecture verte ?

 

Patrick Arotcharen. Commençons par dézoomer sur le sujet. On oppose souvent l’architecture à la nature. La profession distingue elle-même les architectes des paysagistes. L’histoire nous montre que l’évolution des comportements humains vis-à-vis de la nature favorise sa domestication dans un univers très urbanisé. La nature est ainsi traitée comme un décor avant d’être un élément de confort. Il y a, pour l’architecte, deux manières de considérer la nature : elle est soit en opposition avec l’architecture – c’est le contraste du minéral et du végétal – soit en fusion avec celle-ci, offrant un large éventail de connexions allant de la coexistence au tissage.

 

À l’agence, nous considérons la nature avant tout comme un élément de confort, utile, notamment, pour tempérer la ville, amener de l’ombre ou encore créer des filtres d’intimité dans les programmes de logements ou de bureaux. La nature doit nourrir l’architecture, être source de plaisir et de confort. C’est ainsi une démarche qui s’inscrit en décalage par rapport à la vision du jardin ou du parc ornemental destiné à mettre en perspective l’architecture.

 

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Patrick Arotcharen, collège, Saint Geours de Maremne

 

Cette notion de confort engage la démarche architecturale dans une recherche très technique : comment définir le confort ? Quelle est la température idéale des espaces intérieurs ? Comment traiter les incidences de l’import de la végétation dans un cadre architecturé ? Par exemple, l’amas des feuilles mortes venant boucher les écoulements d’eaux oblige à choisir un type précis de chéneaux. C’est dans l’adaptation respective de l’architecture à la nature que résident les solutions durables. On n’est plus dans le dessin d’ornement.

 

Il faut aussi dire une vérité. Aujourd’hui, construire la ville sur la ville coûte très cher si bien que la tendance est, depuis des années, à la conquête des nouveaux territoires en campagne où les contraintes sont faibles et les coûts moindres. Mais cette extension est irréversible et la conscience de devoir limiter ce phénomène émerge peu à peu, procédant du constat d’une démographie en hausse et donc du besoin de terres cultivables.

 

Le territoire basque fait face à ce problème : les cœurs de ville trop chers poussent à investir la périphérie vallonnée et plantée. Mais comment intervenir dans un tel paysage ? Deux solutions se présentent : soit on casse le relief et on déboise soit on travaille en fusion avec la topographie et sa végétation, c’est-à-dire que l’on dispose l’objet architectural au cœur de la présence végétale. L’enjeu pour ce territoire est d’éviter que l’extension urbaine ne se réalise que par la progression d’une mer de lotissements qui rogne les coteaux et les forêts et détruit les cultures. Plutôt qu’en nappe, il faut donc construire densément, ce qui est le propos des logements du Séqué. Ce programme répond à trois exigences : l’exploitation respectueuse d’un espace arboré, le renouvellement de l’habitat social et de hautes performances environnementales.

 

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Patrick Arotcharen, logements du Séqué, Bayonne

 

Ce discours fonctionne plutôt bien au Pays basque où il y a une forme d’atavisme de la vie au grand air. Mais cette manière d’étendre la ville ne peut s’exporter partout. L’architecture durable est une réponse à un territoire donné et non un cahier des charges rigide. Car un territoire produit un type de comportement urbain si bien que ce qui fonctionne au Pays basque ne pourrait être littéralement importé à Paris.

 

Il est évident que dans une ville urbanisée comme la capitale française, le rapport à la nature est différent. L’opposition entre la ville dense et minéralisée et la forêt ou le parc – à fréquenter aux heures ouvrables – est instituée. On n’est pas dans une logique de fusion de l’architecture et de la nature. Le corollaire de cette dichotomie est la quasi-inexistence d’un espace extérieur attenant au logement. Celui-ci est un monde intérieur avec des fenêtres qui s’ouvrent sur la ville.

 

À cet égard, on donc peut considérer que l’apparition de tours avec jardins végétalisés s’apparente à une forme d’exotisme. Et si l’inclination récente des citadins vers la culture en ville ne perdure pas dans le temps, elle ne sera alors qu’un phénomène de mode. Différents schémas intermédiaires existent pour réintroduire la végétation en ville mais leur durabilité dépend du comportement culturel attaché au lieu.

 

 

2. Il est parfois dit que les objectifs du développement durable – et notamment la certification HQE – sont une contrainte pour l’architecture. Il y a-t-il un risque de normalisation de la création et un appauvrissement de l’architecture (forme et sens) ?

 

La certification HQE normalise effectivement l’architecture. Si on ne remet pas la captation du confort par les sens de l’individu, on tombe dans des recettes imbuvables qui font du bâtiment un simple thermos. On parle donc de performances thermiques alors qu’il faut réfléchir en termes de confort d’usage : on ne peut pas contraindre les gens à vivre dans une boîte fermée car le cahier des charges impose une maçonnerie faiblement percée. Il faut pouvoir vivre normalement, ouvrir les fenêtres, n’avoir ni trop chaud, ni trop froid.

 

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Campus Quicksilver Na Pali, Saint Jean de Luz

 

La sophistication de la norme sclérose donc la recherche architecturale. Aujourd’hui, les logements sont un produit vendu avant d’être pensé : c’est une manière de construire avec un prix donné, qui suit le règlement et ne se préoccupe pas de la pertinence de l’architecture vis-à-vis du territoire. Or l’architecture doit rester en éveil sur l’innovation et l’expérimentation, travailler sur les relations et savoir sortir de son univers culturel pour offrir du sens et un confort d’usage. L’architecte doit s’affirmer, ne pas s’abandonner au produit mais interpréter le contexte.

 

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Campus Quicksilver Na Pali, Saint Jean de Luz

 

À Paris ou dans les territoires plus continentaux, les bâtiments sont percés le moins possible pour garder les calories : la maçonnerie est certes utile en ce qu’elle apporte de l’inertie thermique, qu’elle stabilise la température mais elle n’est pas une membrane d’interface entre l’architecture et le climat et ne règle pas non plus l’aspiration des gens de vivre au grand air. Nous traitons, à l’agence, la façade comme une interface avec l’environnement : c’est là que se joue la prolongation de la vie intérieure à l’extérieure, qu’on laisse entrer ou qu’on filtre le soleil, qu’on ventile… La façade est une peau : nous investissons beaucoup ce champ-là, qui est celui où la recherche offre de nombreux progrès allant dans le sens d’une plus grande liberté architecturale.

 

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Patrick Arotcharen, Office 64 de l’habitat, Bayonne

 

C’est, d’autre part, une démarche dans laquelle nous mettons l’individu en position de responsabilité et ce, quels que soient le programme et la typologie. Il faut que l’homme soit acteur dans le bâtiment. La tendance actuelle de la domotique cherche à tout automatiser pour correspondre aux calculs (ventilation du co2 /ouverture des volets), mettant de côté le ressenti de l’individu : s’il fait chaud, on doit pouvoir le laisser ouvrir les baies ! Ce sont des hypothèses sur le fonctionnement du bâti toutes fenêtres fermées qui ne correspondent pas à la réalité. Il est important de croiser les champs de la technique avec celui des sciences sociales, avec les us et coutumes.

 

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Détail de l’élévation sud du collège de Saint Geours de Maremne

 

Aujourd’hui, on ne sait donc pas prendre en compte la ventilation naturelle qui ne fait pas partie des hypothèses normatives. On met une ventilation contrôlée dont on maîtrise le débit alors que l’on aurait grand intérêt à mettre en œuvre une ventilation naturelle pour faire de considérables économies d’énergies. Et le meilleur moyen d’activer cette ventilation, c’est l’intervention humaine…

 

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Détails de l’élévation sud de l’Office 64

 

Les choses évoluent dans les programmes de logement qui proposent maintenant une double voire une triple orientation afin de faire circuler l’air dans l’espace domestique. De même, dans les bureaux, on évite de standardiser le niveau d’éclairage partout pour l’adapter à l’individu : on distingue l’éclairage de base utile aux circulations de l’éclairage ajustable pour l’espace de travail.

 

Dans les pays du nord il y a le réflexe d’éteindre la lumière quand on quitte son bureau. Il faut donc être sur des notions d’adaptabilité à la personne et cela suppose de responsabiliser les gens à l’usage, ainsi, de ne pas donner dans la surenchère technique ou domotique. Mieux vaut agir sur l’éducation et l’information plutôt que sur la technique pure.

 

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Patrick Arotcharen, collège Fall, Biarritz

 

 

3. L’architecture verte est-elle plus onéreuse à concevoir et mettre en œuvre ?

 

Le moins cher, c’est aujourd’hui le monolithe à petites fenêtres, sans espace extérieur contigu, qui va à l’encontre de l’aspiration des occupants. Donc statistiquement, l’architecture verte est effectivement plus chère à moins d’avoir recours à la préfabrication. Ainsi, construire des espaces extérieurs en bois ou une façade technique, épaisse et vitrée ne coûte pas plus cher si l’on préfabrique en atelier. Ça peut même être l’inverse : une charpente assemblée en atelier coûtera trois fois moins cher.

 

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Logements du Séqué

 

La préfabrication permet de mieux gérer le chantier et l’architecture en ce qu’elle contourne les aléas de la construction. Toute adaptation sur le chantier étant en effet chronophage en plus d’être coûteuse, ce procédé optimise le projet. La volonté de limiter ou contrôler le temps d’intervention sur le chantier conduit ainsi à développer les recherches sur la « méthode » constructive (comme la préfabrication). C’est mettre l’accent sur l’intelligence de la conception en amont plutôt que sur le savoir-faire durant le chantier.

 

Mais il y a aujourd’hui en France deux écoles : celle en faveur de la préfabrication et celle qui privilégie encore la transformation des matériaux sur le chantier. Avec un coût de main d’œuvre élevée, cette dernière peut en venir, sur le chantier, à rogner sur la prestation ou à trouver une main d’œuvre moins qualifiée et donc moins chère. Ce sont donc deux mondes qui se confrontent et vont continuer de coexister…

 

 

4. L’architecture peut-elle, seule, compenser les méfaits de l’urbanisation galopante ?

 

Non, elle ne le peut pas. Tous les champs se croisent aujourd’hui et les transports sont primordiaux. Cependant, il ne faut pas tomber dans les dogmes mais savoir adapter les transports à la géographie d’un territoire, à la densité, à la topographie et à l’intensité des déplacements. Par exemple, si le tram est parfaitement adapté à la ville de Bordeaux, il ne pourrait être mis en service à Bayonne. L’interprétation des sites est de règle : si on est inventif en architecture, il faut l’être pour les transports en commun grâce à cette capacité d’interprétation, l’enjeu principal étant de transformer l’automobiliste en piéton.

 

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Campus Quicksilver Na Pali, Saint Jean de Luz

 

Notre ambition à l’agence est, pour cela, de rendre la ville plus agréable, plus confortable. L’usager doit avoir la sensation qu’on s’est occupé de lui. On saisit ainsi l’occasion des tracés des transports en commun pour humaniser la ville qui a été martyrisée par les flux automobiles. La réintroduction des arbres et des végétaux fournit de l’ombre aux stations d’arrêt et le long des voies piétonnes et cyclables car l’objectif est que l’usager se sente en sécurité dans la balade urbaine. Le transport propre est ainsi un formidable outil de reconquête de la ville en ce qu’il est source de plaisir et favorise la contemplation. La ville est alors plus apaisée.

 

 

Propos recueillis et mis en forme par J. G.