Laurent Petit, ingénieur de formation, s’est reconverti au théâtre de rue militant. Il s’attache avec son collectif, l’Agence nationale de psychanalyse urbaine, à psychanalyser les villes. Couchant sur le divan les élus, les responsables associatifs et autres acteurs urbains, il cherche à livrer un diagnostic qui s’inspire de l’inconscient collectif urbain, pour redonner une dose de rêve, de poésie aux transformations urbaines en cours et à venir. Rencontre avec ce psychanalyste de l’urbain.
Comment devient-on psychanalyste urbain ?
J’ai d’abord eu une brève carrière d’ingénieur spécialisé en télécommunications, puis j’ai très vite basculé dans le spectacle, j’étais jongleur, clown de supermarché, puis maître de cérémonie. Puis, je suis tombé sur Eric Heilmann qui faisait des recherches sur les liens entre Mickey, la souris de Disney et Michel-Ange. Un véritable lacanien qui faisait des connexions tarabiscotées entre plein de domaines de savoirs. Sa logique du jeu de mots poussée à l’extrême m’a impressionnée. J’ai alors passé beaucoup de temps avec lui pour mettre au point une conférence sur ce thème et présenter ses recherches. On a alors présenté ses travaux en France comme à l’étranger et bizarrement beaucoup de personnes concernées par les problématiques de patrimoine s’y sont intéressées parce qu’elles voyaient une façon pertinente de filtrer les informations pour les rendre ludique, poétiques, délirantes.
A la suite de cette expérience, j’ai fait beaucoup de visites guidées, de musées, de patrimoine, un peu délirantes comme précédemment, en reprenant et en adaptant cette technique d’interprétation à l’extrême des informations : c’était la base de la psychanalyse urbaine. Jusqu’à une rencontre avec des étudiants en architecture qui souhaitaient passer leur diplôme à cinq : le collectif EXZYT. Pour l’obtention de leur diplôme, ils ont donc réalisé un site d’architecture expérimentale. Je les ai aidés à mettre en scène ce site ainsi qu’à scénariser l’obtention de leur diplôme. Nous avons alors conçu un véritable show, en poussant à l’extrême l’idée de jury, autrement dit en organisant un véritable procès. Les 5 étudiants étaient donc inculpés et accusés de vouloir devenir architecte. Le jury était composé des vrais membres du jury du diplôme et de moi, qui occupais le rôle du procureur. Je les ai condamnés à devenir architecte. Avec cet évènement, les étudiants ont bien sûr réussi leur diplôme et le collectif a acquis une grande notoriété. Par la suite, ils ont été invités à présenter leurs travaux aux rencontres de la Villette et avaient alors besoin d’un porte-parole conférencier. C’est à ce moment là que j’ai enfilé ma blouse et inventé le personnage de psychanalyste urbain.
Comment faites-vous pour psychanalyser une ville ?
On a inventé une méthode assez vite qui consistait à faire parler la ville via ses habitants et ses experts. Cela dépend de la taille de la ville, mais, pour mener à bien le projet, on essaie de mener une flash thérapie dans la ville. Cela signifie qu’on multiplie les rendez-vous avec les experts, le service du patrimoine, de l’urbanisme, on rencontre des associations, des chefs d’entreprises, des artistes, des guérisseurs et toutes sortes de gens bizarres. On traîne dans les cafés, on rencontre les habitants via les opérations divans : on installe des transats en plein air, et on fait parler les habitants. A l’issue de toutes ces séances, on se retrouve avec une masse d’information, d’archives de cartes, d’objets parfois, avec lesquels on construit une théorie. Pour cela, on triture les informations à l’extrême, on essaie de faire ressortir les névroses, pour trouver des sens cachés, des névroses, en résumé des problématiques qu’on présente de manière métaphorique en présentant la ville comme un personnage.
La métaphore va jusqu’à dire que si la ville est née le long d’une rivière alors la rivière correspond à sa mère. On cherche donc des parents historiques, nourriciers, qui peuvent être des personnages, qui ont changé le cours de l’histoire de la ville. En étudiant l’histoire, la géologie, la géographie, la sociologie, l’économie, et d’autres formes de savoirs, on arrive à raconter et à mettre en place une histoire familiale. Après, comme pour tout un chacun, la ville subit des traumatismes, cela peut être des guerres, des crises économiques, des coûts du sort, des séismes. De ces traumatismes, elle s’en remet parfois difficilement et tout cela a une influence sur l’inconscient collectif urbain.
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