Le portrait que j’écris aujourd’hui est celui d’un jeune homme multiculturel qui a choisi la rue pour s’exprimer et essayer de nous interpeler. Peut-être avez-vous déjà croisé l’un de ses guerriers Bantous. Cet artiste s’appelle Kouka.
Pour réaliser ce portrait, j’ai rencontré Kouka à la galerie Taglialatella, à l’occasion de son expo « Ecce Homo ». Il a eu la gentillesse de me consacrer un peu de son temps. Temps de plus en plus précieux, maintenant qu’il est devenu papa et qu’il doit trouver de nouveaux repères. J’ai découvert un garçon adorable. Il parle avec calme mais passion de son travail et de son engagement. Je suis vraiment ravie de vous parler de lui.
Kouka, « écoute qui tu es »
Kouka est un jeune homme d’origine franco-congolaise. Si je le précise c’est que cette mixité a son importance (je vous explique tout ça un peu plus loin). Son nom d’artiste est tout simplement son deuxième prénom. En devenant artiste, il a choisi de garder son prénom congolais parce qu’il vivait en France . Une façon pour lui de marquer sa « part » africaine. Peut-être aurait-il garder son prénom français s’il avait vécu au Congo ?…
Et puis ce prénom a une belle signification : « Ecoute qui tu es ». Un appel à l’introspection pour comprendre qui l’on est, particulièrement quand on a une double culture. Comme il me l’a confié, en France on le renvoie à ses origines africaines et en Afrique on lui rappelle qu’il est français… Difficile parfois de poser précisément ses racines et son identité…
Son métissage est aujourd’hui devenu une force. En puisant dans ce mélange culturel, il essaie de mêler les cultures mais aussi le graffiti à l’art contemporain.
De la bombe aux pinceaux
Kouka est né dans un milieu où l’Art a toujours été présent. Sa mère est française et dramaturge, son père congolais danseur et musicien et son grand-père peintre. C’est donc, pour ainsi dire, « naturellement » qu’il a suivi des études d’art à l’Ecole des Beaux Arts d’Avignon.
Comme il le dit, c’est le street art qui est venu à lui lorsqu’il commence à faire du graffiti en 1996. Mais c’est 1999, alors qu’il entre en école d’art, qu’il rencontre des graffeurs et intègre le crew PM à Marseille. Il a un vrai coup de cœur pour le graffiti dans le sud de la France (Toulouse, Marseille). Alors qu’il apprend la peinture « classique » aux Beaux Arts, il peint activement à la bombe sur les murs.
En 2006, Kouka revient à Paris. Il est très vite découragé car il y a trop de graffiti en région parisienne. Tous les murs sont recouverts et il n’arrive pas à trouver sa place dans cet univers foisonnant. Ce développement du graffiti se fait au moment où apparaît le terme « Street art ». Selon lui, c’est le même phénomène que l’apparition du slam dans la musique. Le street art rend le graffiti acceptable tout comme le slam rend le rap acceptable. Ainsi, les gens oublient que c’est illégal.
Malgré son découragement, il n’abandonne pas l’art de rue pour autant. Il cherche simplement son style. Il va le trouver grâce à sa formation artistique : il abandonne la bombe pour peindre aux pinceaux sur les murs !
Retour en Afrique : les guerriers Bantous
Ses premières expos en galerie datent d’une époque où de nouveaux artistes arrivent avec des codes qui ne sont plus tout à fait les mêmes. C’est aussi, pour lui, l’époque de son retour en Afrique après 18 ans d’absence.
Ce voyage va être pour lui très important car il découvre que le rapport à l’espace public n’est pas du tout le même. En France l’espace public n’appartient à personne alors qu’en Afrique il appartient à tout le monde. Il se pose alors la question du pourquoi il peint. Il a envie de délivrer un message et de faire quelque chose qui lui ressemble. Il veut développer une image qui soit universelle.
Lors de son voyage en Afrique, il découvre le CICIBA (Centre international des civilisations Bantou). Ce centre a été créé en 1983 à l’initiative d’Omar Bongo. Il couvre 11 pays : l’Angola, le Cameroun, la Centrafrique, les Comores, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Rwanda, Sao-Tomé et Principe, la RD Congo et la Zambie. Il devait être un «carrefour culturel» de près de 150 millions de personnes partageant des racines linguistiques communes ainsi que certains rites et croyances.
La construction du siège de Libreville, a coûté environ 10 milliards de francs CFA (15,2 millions d’euros). Une collecte de documents – anciens manuscrits, bandes sonores, etc. – a même été réalisée avant que le projet soit abandonné.
Après avoir servi pendant des années comme centre d’entraînement de l’armée française, les ruines de ce gigantesque chantier sont aujourd’hui squattées par des familles démunies. Kouka découvre cet endroit alors qu’il est encore occupé par l’armée française. En réaction à cette occupation, il se met à peindre sur les murs ses premiers guerriers bantous.
La dualité de l’Humanité
Les Bantous ne sont pas des guerriers. Bantou signifie « humain » en langue Kongo et désigne un ensemble de peuples vivant entre le Cameroun et l’Afrique du sud qui ont des racines linguistiques communes ainsi que certains rites et croyances. A travers eux Kouka traduit en images sa réflexion sur l’identité et l’origine de l’Homme qui prendrait ses sources en Afrique, berceau de l’Humanité.
Il en a fait un guerrier pour interpeller le spectateur. En France personne ne sait ce que sont les bantous. Nous avons une vision très exotique et fantasmée de l’Afrique et de ces guerriers. En faisant irruption sur les murs de nos villes, ils font le lien entre le passé (les origines de l’Homme) et le monde moderne. Mais ce sont des guerriers « pacifistes » qui semblent nous inviter à prendre notre place dans l’espace public, tout comme le fait Kouka lorsqu’il intervient illégalement dans la rue.
Quand on s’apprête à intervenir clandestinement dans la rue, on se prépare à l’action comme des guerriers – Kouka
Avec sa nouvelle exposition « Ecce homo », l’artiste questionne à nouveau cette idée de l’Humanité à travers le personnage du Penseur de Rodin. Pour lui, cette sculpture incarne l’Homme dans son Essence. Dans ses peintures il le représente avec un visage presque effacé en faisant ainsi un humain intemporel mais fragile. Il interroge encore une fois sur la dualité de l’Homme, entre force et fragilité. J’explique ça bien mieux dans mon billet consacré à l’exposition : « Ecce Homo », l’expo solo de Kouka à la galerie Taglialatella
Comme en rappel à son métissage ( moitié noir, moitié blanc), Kouka utilise principalement le noir et le blanc dans ses œuvres. Ces deux couleurs sont l’ombre et la lumière, le ying et le yang, la noirceur de l’Homme et sa bonté.
Grâce à la confrontation de ces deux couleurs, il cherche à sculpter la lumière. Bien souvent, elles ne se mélangent pas mais se confrontent, se séparent et donne ainsi à l’oeuvre un effet très contrasté.
Un art populaire et accessible à tous
Il a choisi de peindre dans la rue avec l’idée d’un Art populaire et accessible à tous. En France l’art est enfermé et élitiste, contrairement à l’Afrique où l’art est partout. Il transpose donc cette vision africaine de l’art en le mettant dans la rue, pour tous.
Dans la rue, la démarche est différente de celle qui consiste à faire la queue et payer un billet pour voir une exposition enfermée dans un musée. Le public vient à l’œuvre tout à fait par hasard, au détour d’une rue. Dans la rue c’est l’Art qui vient au spectateur, et non l’inverse. Plus besoin d’être « initié » pour accéder à l’art.
Lorsqu’il est en train de peindre, les gens viennent le voir et discutent. Ils peuvent donner leur avis immédiatement et dire s’ils aiment ou pas. Ils lui posent des questions sur ce qu’il représente. L’art de rue ouvre aux échanges et au partage. C’est essentiel pour Kouka. Grâce à son travail il crée des rencontres entre les cultures, les générations, les classes sociales.
Son but est de créer de l’émotion, de faire réfléchir les gens. La peinture est une sorte de miroir qui te parle ou pas ! C’est pourquoi la place de l’humain dans son travail est très importante. Il n’utilise pas de pochoir ou de projection. Il veut que tout soit fait à la main, avec toutes les imperfections que ça induit. Il aime les coulures et les déchirures. Ca n’est pas parfait mais c’est « fait main » ! Le message se développe alors en fonction du support : selon le mur ou la rue dans l’espace urbain, selon la toile ou le carton ou encore de vieux magazines en atelier.
Kouka en images
Maintenant assez parlé ! Passons à la découverte visuelle de Kouka et de son travail. Vous pouvez également le suivre sur son site. Ou venir sur le blog Les Billets de Missa Acacia où je vous parle des différents événements évoqués dans les photos.