Pouvez-vous vous présenter, revenir sur votre parcours et nous parler de Copenhagenize ?
Je suis Clotilde Imbert, directrice de Copenhagenize. Je suis urbaniste de formation. J’ai travaillé en maîtrise d’ouvrage sur des projets urbains, en France en début de carrière, puis j’ai déménagé à Copenhague où j’ai découvert une façon différente de concevoir les villes, et surtout une nouvelle façon de penser les espaces publics. J’ai intégré la société Copenhagenize et quelques années après, j’ai créé le bureau francophone. Dorénavant, je dirige l’ensemble des activités de la société en France et à l’étranger depuis nos bureaux à Paris. Copenhagenize est une société de conseil en urbanisme cyclable. Nous conseillons essentiellement des collectivités locales, parfois régionales et il nous arrive aussi de réaliser des projets d’envergure nationale. Nous aidons les collectivités à créer des villes cyclables car, pour nous, à Copenhagenize, le vélo est beaucoup plus qu’un élément de mobilité. Nous l’intégrons pleinement dans le développement des territoires. Enfin, notre credo est de considérer les besoins des usagers avant tout, et de concevoir des espaces publics, la mobilité cyclable, selon leurs besoins spécifiques.
Pouvez-vous discuter des différences culturelles concernant la pratique du vélo entre la France et le Danemark ? En quoi ces différences pourraient-elles expliquer la popularité accrue du vélo au Danemark ?
Je n’aime pas forcément répondre qu’il y a une différence culturelle entre la France et le Danemark sur l’usage du vélo. Il s’agit davantage de choix de société et de choix politiques qui ont été faits de manière assumée concernant le développement de la ville. Au Danemark dans les années 70, le choc pétrolier a énormément impacté le pays ; les populations se sont aussi mobilisées afin de pouvoir pratiquer le vélo dans de bonnes conditions, notamment en termes de sécurité. Par conséquent, les pouvoirs publics ont séparé les vélos des voitures sur la route et investi dans les infrastructures cyclables. Il faut aussi souligner que la ville de Copenhague, à cette période, ne disposait pas des finances pour mettre en place les grands plans de développement des autoroutes et boulevards urbains pour la voiture. A partir des années 80, il y a donc eu un nouveau développement des infrastructures cyclables. Dans les années 2000, un investissement dans la construction de ponts cyclables va être organisé. Il sera assez coûteux mais très impactant. Les Danois, qui réalisent énormément d’évaluations de leurs projets, ont pu constater à quel point la création de ces ouvrages a bénéficié à la mobilité cyclable, car ces ponts créent, en ville, des raccourcis pour les vélos et des détours pour les automobilistes. Aujourd’hui, il y a 24 ponts cyclables à Copenhague.
Dans les années 70, en France, les transports en commun et la voiture ont plus été développés que la mobilité cyclable. A cette époque, le pays va même perdre de l’expertise en termes d’infrastructures cyclables, ce qui contribuera à entraîner des décennies de manque d’investissement dans ce domaine. Aujourd’hui, il est question de rattrapage.
Les pays nordiques sont souvent cités en exemple pour leur pratique du vélo et leurs aménagements cyclables. Pensez-vous qu’ils ont encore des leçons à enseigner à d’autres pays comme la France, en ce qui concerne la mobilité cyclable ?
Si nous avons une leçon à apprendre de Copenhague, elle porte sur la création d’un réseau cyclable continu, intuitif et cohérent. Un des éléments constitutifs de cette cohérence et de cette intuitivité c’est d’avoir créé des pistes cyclables unidirectionnelles sur les grands boulevards, à l’échelle de toute la ville. Aujourd’hui en France, les réseaux tendent aussi à être de plus en plus continus, ce qui est une grande avancée. En revanche, nous avons encore une trop grande diversité dans la conception des infrastructures cyclables. Parfois, sur un même itinéraire cyclable, l’usager va rencontrer un changement fréquent de typologie d’infrastructures conduisant à une perte de cohérence de celui-ci. En effet, cette diversité apporte une complexité de lecture de l’espace à la fois pour les usagers du vélo mais aussi pour les autres usagers de la voirie. Et quand il y a un manque de compréhension, de lisibilité, il y a un manque de respect de l’infrastructure !
Pourriez-vous définir le micro-design dans le contexte de l’aménagement cyclable, et expliquer son importance dans la facilitation et la promotion de la pratique du vélo ?
Le micro-design – en tout cas dans ce qu’on voit à Copenhague – se traduit par des éléments de détails de conception qui permettent à l’usager de trouver davantage de sécurité mais aussi de confort durant son trajet. Cela prend, par exemple, la forme de repose-pieds qui sont installés aux intersections à feux et qui permettent aux cyclistes de ne pas descendre de leur vélo quand ils doivent s’arrêter et de se propulser au démarrage. Ce micro-design est basé sur la connaissance des cyclistes, qui utilisent justement le maximum de leur énergie au moment de démarrer. Du coup, cet élément urbain leur donne un petit coup de pouce et est en adéquation avec leur comportement. Par ailleurs, pour éviter les ressauts dans l’espace public, qui sont désagréables à vélo, on a vu apparaître à Copenhague des vues à zéro et des petites rampes afin de pouvoir passer un ressaut de quelques centimètres. On pourrait se dire que c’est juste du confort mais ce dispositif permet de transporter plus facilement un enfant dans un siège à l’arrière, faire du vélo plus longtemps lorsque l’on est enceinte, transporter des personnes âgées à vélo cargo, etc. Cela multiplie les formes de déplacement possibles à vélo.
Vous proposez aussi des services de communication pour des projets liés à la mobilité cyclable, de quoi s’agit-il ? Qu’apporte la communication dans ce domaine ?
Quand on parle de communication autour de la mobilité cyclable, il y a deux sujets à traiter. D’une part, il faut traiter la modification de l’image du vélo. En France, pour différentes raisons, pendant des décennies le vélo a été associé au sport, aux balades, aux loisirs mais pas à la mobilité du quotidien. Pour réussir à faire évoluer les comportements, il faut aussi agir sur l’image que l’on se fait de ce moyen de déplacement. Le deuxième élément très important en termes de communication c’est d’accompagner les changements de voirie et d’usage de la rue. On vit un moment où on invente de nouveaux concepts de voirie, je pense notamment aux vélorues, qui sont particulièrement intéressantes. Nous techniciens, nous y travaillons et connaissons ses intérêts, mais quelqu’un qui tout à coup voit un panneau “vélorue”, ne sait pas forcément en quoi cela consiste et comment se comporter. Par conséquent, il y a un enjeu très important d’accompagnement de ces changements de l’espace public par de la communication. Dans ce cas, il faut être pédagogue, positif et pas anxiogène.
Dans quelle mesure considérez-vous que le vélo contribue à promouvoir un urbanisme favorable à la santé ? Quelles sont les externalités positives de la mobilité cyclable ?
Il est clair que les externalités positives du vélo sont très fortes et que c’est un vrai axe de communication pour sa promotion. Il permet d’agir sur l’environnement, la pollution de l’air, la pollution sonore, la santé des gens en général. Sur la santé, les gains sont évidemment très importants. Aujourd’hui, notre société a un réel problème de sédentarité qui dégrade fortement notre santé. Nous devons donc retrouver un mode de vie plus actif, notamment grâce à une mobilité quotidienne active : à pied ou à vélo. Cela permet de réaliser ce que les médecins conseillent : 30 minutes d’activité modérée par jour. Le mot “modérée” est important ; il ne s’agit pas de réaliser une course contre la montre entre chez soi et son lieu de travail. On n’est pas sur du vélo sportif mais sur du vélo du quotidien, en considérant une vitesse qui convient à tout le monde, peu importe l’âge et les conditions physiques.
Quel est le baromètre de la mobilité cyclable en France depuis la pandémie ? A quels enjeux les villes et les territoires sont-ils confrontés aujourd’hui ?
Durant le covid, des pistes cyclables temporaires ont été construites de manière très rapide. Elles ont été faites afin de sécuriser des espaces, en prenant de la place à la voiture pour l’allouer aux usagers du vélo. Après le déconfinement, de nombreuses pistes cyclables ont été pérennisées. C’est exceptionnel d’avoir eu un moment d’accélération si fort de développement des réseaux cyclables. Ce fut le cas à Paris notamment. Depuis le covid, la France reste sur une dynamique tout à fait positive, avec des chiffres d’usage du vélo en milieu urbain qui continuent de croître. Il y a aussi eu une augmentation en milieu rural. Cependant, actuellement, il semblerait que nous soyons plutôt sur une stagnation.
Aujourd’hui, les enjeux du développement de la mobilité active se portent de plus en plus sur le milieu rural. A la campagne, beaucoup de gens sont dépendants de la voiture parce qu’ils n’ont pas d’alternative. Lire la suite ici.