Parc à t'aime-1Le chapelet des mauvaises paroles que nous venons d’échanger s’allonge tandis qu’elle s’éloigne et disparait. Un sillage dans lequel je me noie, perdu. Ou plus précisément largué, puisque c’est cela qu’elle voulait m’annoncer… Machinalement, je marche et finis par rejoindre la foule dominicale du parc Montsouris.

 

À cette heure – c’est le début de l’après-midi – elle bourdonne à plein régime, surtout de ce côté, entre le lac et la rue Gazan.
 

La voix toute proche d’un enfant couvre le brouhaha des conversations. « Maman, je vais remplir le lac ». Le jeune garçon qui apostrophe sa mère fait d’incessants aller-retour entre un robinet de service et le plan d’eau. Le seau qu’il porte de ses petits bras mouillés se vide à mesure qu’il bringuebale. Son optimisme m’arrache un sourire, vu l’incident qui a vu le lac se vider entièrement quelques jours après l’ouverture du parc, en 1876, du fait d’un affaissement de terrain. Les sous-sols du 14e arrondissement … un vrai gruyère. Je repense à elle, à son absence qui m’excave le torse d’une carrière à fiel ouvert.
 

Il faut absolument que je me reprenne.
 

Je remonte l’allée principale, unique voie carrossable du parc, puis prends de la hauteur le long de la principale aire de jeux, qu’une guirlande de marronniers et de platanes sépare de la rue Gazan. Derrière, quelques immeubles de plus de dix étages semblent regarder par dessus la cime des arbres, s’intéressant au spectacle paradoxal de pères -seuls- et de mères -en groupes. Qui ont l’air de vouloir -dans le même temps- oublier la charge de leur progéniture, tout en surveillant que leurs incartades ne les condamnent à passer pour de mauvais parents. Encore une histoire d’amours contrariées. L’essaim de mioches vibrionne autour de jeux dont les couleurs criardes sonnent comme un appel au secours. Je continue mon ascension, emprunte une petite allée aux garde-corps de ciment armé, qui imitent le dessin de branches d’arbres. Un artifice de nature, bien dans la veine des jardins à l’anglaise du service des promenades d’Haussmann.
 

Je m’arrête et me retourne. Au loin, l’avenue René Coty se donne à voir dans la même perspective que celle pensée par Alphan, son concepteur, il y a plus de 140 ans. À mes pieds, le chahut de la foule se conjugue au feulement étouffé du trafic alentour.
 

Il y a de tout en ce dimanche après midi. Du familial. Du solitaire. Des groupes de postscolaires, grappes colorées  diffusant alentour la fureur acidulée de leurs cris adolescents. Quelques retraités aussi, ombres entravées, silhouettes momifiées par de lourdes écharpes. Et tout ça se croise et se mêle, ballet non synchronisé de corps, pâte humaine faite de bandes d’amis, de groupes familiaux. Particules élémentaires aux réactions qui enchaînent toute la gamme des occupations humaines.
 

Et ça piaille, ça s’étreint, ça s’engueule ou ça dort. Ça remplit l’air de musique et de ballons. Parfois même ca s’embrasse à pleine bouche.
 

Un tapis de femmes et d’hommes qui recouvre le jardin dans une répartition totalement indifférente au soigneux dessin de ses sols – allées, parterres, massifs floraux. Comme un irrespect des conventions, une allégorie de la vie, qui déborde d’énergie foutraque, d’élan fécond et immature.
 

Comme un pied de nez à l’histoire du parc, cet instrument d’une assimilation, celle de la populace ouvrière que le Second Empire s’est évertué a dissoudre par l’annexion des faubourgs en 1860. Outil du Paris moderne et bourgeois de Napoléon III, qui a purgé le quartier du petit Montrouge de sa fièvre ouvrière en voulant lui inculquant le beau et les bonnes manières par l’entremise d’un artifice de jardin et de son règlement. « …ne pas toucher aux fleurs …, arborer une tenue vestimentaire et un comportement décent, … »
 

Je regarde encore un moment la foule piétiner parterres et conventions. En cet instant précis, je lui en veux un peu, … toute cette insouciance, toute cette joie. Je remonte jusqu’à la sortie du boulevard Jourdan. En face, les clôtures de la cité universitaire délivrent quelques étudiants qui sortent par paquet sur les maréchaux. Au loin, une rame du tramway prévient d’un carillon qu’elle arrive sous peu.