Jeudi dernier, Jean-Louis Borloo annonce dans son plan pour les banlieues, un investissement nécessaire de 48 milliards d’euros. Avec un tel montant, une feuille de route globale, claire et pertinente et surtout avec le “père” de la rénovation urbaine à la barre, le package pour “sauver les banlieues” a de quoi plaire sur le papier. Mais derrière ce plan se pose une question fondamentale que beaucoup ont déjà posé certes, mais que nous aimerions tenter de traiter à notre façon : Est ce que le plan Borloo est un plan dont les banlieues ont véritablement besoin depuis 40 ans ou est-ce un plan qui, une fois de plus, ne donnera pas assez de résultats significatifs ?

Avant de répondre à cette question, intéressons nous d’abord à l’usage des mots. Et l’on sait ô combien ils sont importants en politique, plus encore lorsqu’il s’agit de créer des effets d’annonce ! “Plan Marshall”, “apartheid urbain”, “casser le ghetto”… Les politiques savent bien s’y prendre, c’est certain.

Alors lorsqu’on parle d’un plan qui répondrait aux besoins des banlieues, qu’entend-on donc par “besoin” ? Dans la définition du Larousse, il est noté ceci : “Besoin : Chose considérée comme nécessaire à l’existence.” Jusque là pas de soucis, Jean-Louis Borloo et ses équipes ont fait le job. Et loin de moi l’idée de critiquer négativement le travail de l’ancien ministre, car je ne doute pas de la sincérité réelle de ses engagements, de ses compétences ainsi que de la vision qu’il a pu déployer dans le cadre de la rénovation urbaine. En bon connaisseur du terrain et dans un travail conséquent de collaboration avec les maires et les différents acteurs des territoires, Jean Louis Borloo a élaboré un nouveau rapport audacieux, ambitieux et à la mesure des besoins théoriques de ces quartiers et de ses habitants afin de redonner des “moyens à des territoires qui en ont le plus besoin.”

Mais si l’on revient à cette notion de besoin, Larousse propose une autre définition qui nous intéresse un peu plus : “Exigence née d’un sentiment de manque, de privation de quelque chose qui est nécessaire à la vie organique.” ou encore “Sentiment de privation qui porte à désirer ce dont on croit manquer”. Et ici, par les termes d’”exigence” et de “sentiment”, l’on découvre que la notion de besoin est non seulement quelque chose d’objectif, mais comporte aussi un caractère subjectif. Et de ce côté là, parmi les acteurs qui en ont pris part, un grand absent manque dans le plan Borloo : les habitants eux-mêmes.

Alors en soi, ce n’est pas un problème. Pas encore. Car c’est bien la mise en œuvre concrète et territorialisée de ce plan qui devra inclure les habitants, notamment dans la réflexion qui sera portée sur la réintroduction de services publics, sur la lutte contre les discriminations, sur l’égalité homme-femme, sur la revitalisation économique, sur l’emploi, l’éducation et l’accès généralisé à la culture. Dans deux ans les élections municipales auront lieu. Et même si le taux de participation est particulièrement bas dans les quartiers liés à la politique de la ville, les habitants ont des choses à dire !

“Vivre ensemble, vivre en grand, pour une réconciliation nationale.” Les mots choisis sont forts et explicites. On ne peut donc qu’en conclure que l’ambition est grande pour Jean-Louis Borloo comme pour le gouvernement. Mais une réconciliation ne se fait pas seul ! Ce n’est pas en offrant un cadeau à la personne avec qui l’on est en froid que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. C’est au contraire en reconstruisant une relation solide, nourrie d’échanges constructifs et de conversations sincères sur ce que chacun attend de l’autre, que la rancœur s’efface. Les habitants de ces quartiers ne sont pas des enfants, on ne peut plus, une fois de plus, définir à leur place quels seront leurs besoins, sans construire avec eux ce dont leur ville et eux-mêmes nécessitent réellement. Il s’agit d’agir concrètement avec les habitants, dans la définition des besoins mais aussi et surtout dans la mise en œuvre d’actions fortes pour réintroduire de nouveaux élans de citoyenneté et faire à nouveau république. La rénovation urbaine ne servira à rien si l’on ne réintroduit pas concrètement de l’humain dans ces politiques et cela passe notamment par une très forte intégration des habitants aux grandes manœuvres qui auront lieu. Pour cela, nous devons changer de paradigme : la participation habitante ne doit plus seulement être une norme légale derrière laquelle on peut se réfugier en l’appliquant, mais un critère en soi qui jugera de la qualité du du projet urbain, au même titre que la rénovation du bâti et la revitalisation économique.

Par ailleurs, notre réflexion face à cet énième plan Banlieue ne peut se passer d’une réflexion plus politique. Et à ce titre, il semble évident de s’interroger sur la conciliation entre les préconisations émises par Jean-Louis Borloo et la politique actuelle mise en place par le gouvernement. Les deux sont-ils bien en phase ? A première vue, la réduction globale des services publics mise en œuvre par le gouvernement semble plutôt aller dans le sens contraire. Mais une fois de plus, nous nous rangeons derrière la sincérité de celui qui déclare avoir constitué ce rapport en relation étroite avec les ministères concernés. On ne demande donc qu’à voir. Car, si l’on rentre dans le fond, même si nous ne sommes pas d’accord avec tout (et notamment sur la création d’un ENA des Banlieues), il y a de nombreuses bonnes choses dans ce rapport, à condition que le gouvernement y consacre un lourd investissement pour “remettre plus d’état en banlieue”.

Jean Louis Borloo met ainsi le gouvernement au pied du mur, il interpelle l’Etat sur le devoir d’agir. En 2012, on parlait de 5 milliards d’investissement. En novembre 2017, il était question de 10 milliards. Entre temps, alors que les choses s’étaient “bloquées” depuis deux ans, aujourd’hui, l’ancien ministre annonce la nécessité d’investir 48 milliards. Et chiffres à l’appui, Jean-Louis Borloo prouve qu’il n’y a pas eu “trop d’argent dépensé pour les banlieues”. Ces chiffres prouvent que l’ambition est grande et tant mieux ! Mais il manque tout de même dans ce rapport, une approche concrète de l’action publique dans les territoires. On est actuellement dans une logique verticale, alors qu’on devrait concevoir des diagnostics pour chaque ville, préalables à la mise en place d’autant de plans. Jean-Louis Borloo l’avoue lui-même : “On est dans une société de l’annonce, maintenant il faut être dans une société de l’égalité réelle et du suivi”. Et pour reconnecter les habitants de ces quartiers avec l’ensemble de la société française, il s’agit justement de dépasser l’annonce en favorisant la concertation et la co-conception.

Il revient donc maintenant au gouvernement d’acter sur cette mise en œuvre. La qualité du plan Borloo se confirmera seulement si les ambitions de son application sont aussi grandes que celles émises par cette feuille de route et uniquement si sa mise en œuvre est pensée avec les habitants ! Car ils ont des besoins, il s’agit alors de les écouter et des les intégrer. Les urbanistes, les sociologues, les associations, les acteurs de prévention sont là pour les comprendre et faire de ce plan une réalité, pour la mise en œuvre de l’égalité réelle. Et demain, j’ose espérer que les étudiants en urbanisme comme je l’ai été, se serviront des différentes mises en œuvre de ce plan, comme des cas d’école pour co-construire la ville avec les habitants. En résumé, des exemples concrets qui auront réussi à relier l’urbain et l’humain.