Le confinement que nous avons connu pendant 55 jours en raison de la crise du Covid n’a pas permis une déambulation et une utilisation normale des espaces publics. La liberté retrouvée a permis de prendre conscience de l’importance de ce phénomène. Les aménagements des espaces publics devront dès leur conception faire l’objet d’une réflexion approfondie. Elle générera une évolution et une remise en question de la pratique quotidienne des concepteurs de la ville pour que les espaces publics post covid19 répondent mieux encore aux aspirations attendues par la population à l’issue de cette crise sanitaire.
La découverte d’espaces publics inadaptés en période de crise:
L’utilisation de la voiture était bannie sauf rares exceptions. Les conditions restrictives de circulation imposées par cette crise sanitaire limitaient les déplacements dans un rayon d’un kilomètre autour de chez soi. Beaucoup de personnes ont profité des vertus de l’utilisation du vélo et de la marche à pied pour faire leurs courses dans des commerces de proximité ou pour s’aérer.
Certains ont ainsi découvert leur ville de façon différente car quelle mobilité douce autre que la marche peut nous faire découvrir la ville ? Quelle mobilité douce autre que la marche nous permet de constater tout ce que fait le charme du paysage urbain ? Ainsi, la Ville a paru (re)trouver un temps à échelle humaine, une forme de lenteur à exploiter, propice à la qualité de vie de tous (cf. Pierre Sansot, « du bon usage de la lenteur »).
Avec le déconfinement, et la nécessité du respect des gestes barrières, le vélo et la marche sont dans le même temps devenus les moyens de se déplacer pour éviter la promiscuité des transports en commun. Cette prise de conscience des habitants est aussi un bon moyen pour eux de faire du sport tout en exerçant ses activités personnelles quotidiennes, pour faire ses courses ou se rendre à son bureau.
L’occasion, aussi, de se rendre compte pour ceux qui n’en n’étaient pas convaincus que les espaces publics des villes sont toujours conçus, avant tout, pour la voiture et non, pour et avec ses habitants, en corrélation avec leurs modes de vie, leurs aspirations.
Les siècles passés nous ont appris que les épidémies avaient un caractère cyclique. Les aménagements d’espace public devront désormais anticiper et répondre à deux défis majeurs : anticiper de nouvelles épidémies et prémunir la population des pics de chaleur liés au réchauffement climatique.
L’émergence d’un urbanisme tactique pour une ville adaptable :
Tout d’abord on le sait, l’espace public s’adapte aux contraintes des évolutions de la vie urbaine, tout en jouant pleinement son rôle multifonctionnel.
Une nouvelle fois, on en a l’exemple avec les dispositifs mis en place pour faciliter la distanciation sociale. Ainsi en est-il de l’urbanisme tactique qui consiste à mettre en place « des aménagements temporaires qui utilisent du mobilier facile à installer (et à désinstaller) pour démontrer les changements possibles à l’aménagement d’une rue, d’une intersection ou d’un espace public. On peut ainsi montrer comment l’aménagement peut influencer le comportement des usagers ». (3)
Sa mise en œuvre pour répondre à un besoin spécifique permet de tester l’utilité d’un aménagement et de son appropriation ou pas par les habitants.
La sortie du confinement montre que la voiture ne revêt plus une utilisation principale en ville. La marche et le vélo se sont imposés naturellement comme des mobilités douces et actives le mieux à même pour permettre aux gens de s’aérer.
Les ventes de cycles se sont envolées et dans de nombreuses villes fleurissent des pistes cyclables temporaires pour renforcer la place de la ville des courtes distances et faciliter les mobilités.
L’utilisation des espaces publics post Covid sera différente car la population urbaine en a découvert une autre utilisation plus propice à favoriser les aménités de la ville.
Le cas des trottoirs qui sont trop étroits, parfois trop exigus pour accueillir deux piétons qui se croisent, est symptomatique.
Cet « urbanisme d’aération » est le bienvenu. La suppression de places de stationnement pour élargir ces trottoirs, qui deviennent des salles d’attente extérieures, permet aux personnes de respecter la distanciation physique. Il en est de même pour augmenter la surface des terrasses des cafés et restaurants qui voient leur périmètre s’élargir pour le confort de tous.
Adapter la ville pour un nouvel usage du cadre urbain :
Les espaces publics ne sont pas seulement dévolus à la mobilité vélos et piétons ou au travail.
Ce sont aussi des espaces de sociabilité urbaine, de création de lien social et de loisirs qui participent largement aux bien vivre en ville.
La crise sanitaire que nous venons de vivre ne doit pas seulement nous amener à repenser les espaces publics dès leur conception. Elle doit aussi nous interroger sur une utilisation chronotopique [1] des lieux pour mieux adapter nos villes aux enjeux environnementaux, sociétaux et sociaux.
En effet les espaces publics servent sur des temps assez courts mais répétés, avec des usages différents. Cette réflexion ne doit pas seulement être menée sur les grands espaces publics. Elle doit se faire aussi et surtout sur la multiplication des petits espaces publics de proximité.
La généralisation du télétravail générera une réflexion sur l’hybridation des espaces publics qui pourraient avoir une fonction de tiers lieu.
Cela se fera au travers d’un principe de « ville distanciée ». Il devra être mis en œuvre pour permettre aux gens de respecter, certes la distanciation physique, mais aussi d’accéder « aux principes défendus par les hygiénistes (…) l’air, la lumière, le soleil pour tous » tant dans sur l’espace public que dans le logements [2]
Les aménagements testés par l’urbanisme tactique devront faire l’objet d’une évaluation. Afin d’être efficace, il serait nécessaire de mettre en place un véritable suivi pour analyser ces opérations grandeur nature et comprendre leur utilisation par les usagers, leurs motivations, et évaluer leur durabilité dans le temps.
Une des priorités est la recherche d’espaces interactionnels et intergénérationnels, depuis la réouverture des bars et des restaurants, quoi de plus agréable que de profiter d’une consommation en terrasse sans être serrés les uns contre les autres. Profiter des aménités de la ville, c’est aussi cela.
La crise du Covid interroge les praticiens de la ville sur l’aménagement des espaces publics:
Les double enjeux sanitaires et écologiques auront donc un impact notoire tant sur la conception des espaces publics que sur la façon dont ils seront traités.
Depuis quelques années, les espaces publics sont traités de façon très minéralisés.
Les résultats des élections municipales montrent une prise en compte par la population de la dimension environnementale de l’aménagement des villes.
La bétonisation des tissus urbains, le besoin de nature en ville, l’imperméabilisation des sols, avec une minéralisation des espaces publics dans certains centre-ville, sont des sujets récurrents entendus au cours de cette campagne électorale.
La présence du végétal dans les aménagements urbains devra être davantage affirmée. Tant pour le confort des habitants que pour répondre aux exigences liées au réchauffement climatique en créant des îlots de fraîcheurs qui apporteront du bien être aux habitants lors
des épisodes de canicules.
Les matériaux utilisés dans les aménagements des espaces publics devront limiter l’artificialisation excessives de sols. Cette imperméabilisation du sol contribue à une augmentation des températures tandis que la mise en place de matériaux perméables facilite l’évapotranspiration qui rafraîchit l’atmosphère notamment la nuit.
Dans la période charnière que nous connaissons et pour que le monde d’après des villes soit différent, les urbanistes et tous les praticiens de la ville devront impérativement s’interroger et remettre en cause leur pratique de la conception de l’espace urbain pour que cette crise du COVID 19 entraîne un nouvel art du vivre ensemble dans l’espace public.
Version du 1er septembre 2020.
- Le temps de HLM 1945-1975. La saga des trente glorieuses. Editions Autrement par Thibault Tellier page 41.
[1] http://www.ville-amenagement-durable.org/Chronotopie-temps-et-lieu-au-service-de-l-amenagement