C’est un lieu dont on peut connaître le nom, mais sans s’y rendre : on l’évite, on la contourne, bien qu’elle se trouve en pleine ville. Mais depuis quelques années, les choses bougent et se transforment. Le projet de la Presqu’île, investi par les équipes de l’agence néerlandaise MVRDV, prend petit à petit forme, par secteur, en commençant par la partie la plus proche du centre-ville. L’architecture d’aujourd’hui fait face à l’architecture de la reconstruction, ou de celle qui a survécu aux bombardements. Puisant sa force de renaissance par les bâtiments culturels qui y ont fleuri, la Presqu’île redore son blason, année après année. Entre son passé industriel, dont les grues rouillées en sont encore un témoignage poétique, et reconquête urbaine, la Presqu’île semble aujourd’hui être l’opportunité d’apporter en plein cœur de Caen, une véritable vitrine sur la ville qui se construit.
La Presqu’île « théâtre », autrefois rythmé par le départ des grands bateaux
Ancienne zone marécageuse, la Presqu’île de Caen est située entre deux cours d’eau qui filent jusqu’à la mer, 15 kilomètres plus loin. En parallèle du fleuve l’Orne, le canal de Caen guide les nombreux cyclotouristes qui souhaitent retrouver la mer en à peine une heure de pédalage. Creusé dès le début du XIXè siècle, il assure également une hauteur d’eau suffisante afin de permettre aux plus gros bateaux de circuler sur cette voie aquatique.
Fortement industrialisée depuis le début du XXè siècle avec l’apparition de la Société Métallurgique de Normandie, la Presqu’île de Caen a pendant près d’un siècle été le théâtre d’un bouillonnement portuaire, entre le déchargement des matières premières, la vapeur dégagée par les grands bateaux et le cris des dockers sous les grues infatigables.
Les habitants de l’époque, en se promenant sur l’autre rive du canal, pouvaient rester de longs moments à contempler l’énergie qui animait alors le canal. À côté d’eux, une ligne de chemin de fer permettait même de rejoindre la côte, lorsque l’Orne, le canal et la mer se rencontrent à trois dans une chorégraphie rythmée par les marées quotidiennes.
Une Presqu’île en déprise, comme « un décor de film d’horreur »
25 années après la fermeture de la SMN et par conséquent de l’activité qui l’accompagnait sur le port, les grues sont toujours présentes. Rouillées, inactives, elles semblent patiemment attendre que l’activité reprenne à proximité des monts de charbons parfois visibles après le passage de certains gros porteurs. Parce que si la forte activité de la SMN ne peut plus animer le secteur, le port industriel de Caen accueille encore certains navires, plus rarement. La fougue du siècle passé n’est en tout cas plus aussi présente aujourd’hui, et depuis l’autre rive du canal, la Presqu’île est devenue cet espace morne et énigmatique.
En traversant le canal ou le fleuve sur le peu de franchissements disponibles, il est possible aux piétons d’accéder sur le territoire-même de la Presqu’île. En s’enfonçant dans le cœur de cette longue langue de terre, les marques de l’histoire du lieu sont encore largement perceptibles. Entre les vieux bâtiments industriels exploités par les petites entreprises ou bien abandonnés, entre les friches qui masquent des bâtiments en ruines, la déprise de la Presqu’île de Caen se ressent profondément dans une ambiance entre le glauque, l’horreur et la nostalgie. « On dirait un décor de film d’horreur, comme dans Walking Dead ! C’est toujours dans des endroits comme ceux-là qu’il se passe des choses », nous confie une étudiante avant que son camarade ne surenchérisse : « Ou bien le décor du film Billy Elliot », disait-il en évoquant le paysage des quartiers défavorisés après la fermetures des mines du Nord de l’Angleterre.
Aujourd’hui encore, la Presqu’île est le lieu de tous les vices. Il n’est pas rare de tomber sur des seringues ou des préservatifs usagés, ainsi qu’une quantité inimaginable de déchets en tous genres. Longtemps, la Presqu’île était également le lieu de passe des prostituées, reconnaissables à leurs camionnettes éclairées de bougies rouges. De nombreux migrants ont également trouvé refuge dans cet espace isolé du monde urbain, pourtant situé juste à proximité.
Une perception négative, un territoire contourné
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