Vis-le.
Il y’a de ces lieux que l’on voit mais que l’on ne regarde plus. Ces endroits que vous entendez, mais dont les voix se sont tues.
Les plaintes se sont éteintes, entre les hauts murs de bétons, après avoir ricoché cent et cent fois entre les carreaux gris plomb.
Les dalles s’enfilent, monotones, asymétriques,
Et le crépis jaunis, sous l’effet de la rouille, dégouline des barreaux en rougeoyants lambeaux.
Les Grands Ensembles disparaissent, happés par les surplus stigmatisant des médias, qui font de la Cité, le monde des Enfers et de la petite couronne, le Styx.
Je pourrais acclamer Paris durant des heures entières.
Respirer l’odeur de la pluie sur les pavés propres durant des jours. Et parler, encore et toujours, de la poésie qui parcours,
La ville de l’amour.
Mais par delà le périph’, le poète se doit d’être plus réfléchi.
Autour de la place se hissent par dizaines de minuscules vasistas.
De maigres arbustes font pâle figure et essayent temps bien que mal de combler le vide qui emplit le rez-de-chaussé des tours.
Les éclairages publics pleurent misères, et les halls d’immeubles sont envahis par un noir mat et poisseux que la minuterie défectueuse n’éclaire plus depuis des mois.
Il n’y a plus d’ascenseur non plus. Et les 24 étages à parcourir, dans l’escalier en colimaçon d’un mètre trente de large sont à la limite du supportable.
Mais finalement, on n’a pas le choix…
Alors mine de rien, timidement, des linges se déploient aux fenêtres.
Des odeurs de cuisine s’échappent des fenêtres du premier étage, et, venant d’en face, on entend un rire.
C’est un monde qui n’attire les regards que pour être pointé du doigt et conforter le citadin, devant son écran plasma, que, décidément, chacun devrait retourner chez soi.
Comment voulez-vous espérer ? Comment voulez-vous rêver ? Quand chaque parcelle de votre environnement quotidien vous rappelle que vous n’êtes ici qu’à l’essai.
Parlez donc de paix, d’amour et de fraternité, quand depuis les premiers jours, ils ont compris qu’ils ne seraient jamais sur un pied d’égalité. Dissertez sur Voltaire, Rousseau, et l’idée de « société », quand la seule que vous connaissez, c’est celle de la cité. Tentez même, d’ouvrir votre horizon, pour voir devant vos yeux, tomber un rideau de plomb.
A ces politiciens, qui, de loin, ont cru pouvoir contenir des millions d’esprits au bout du RER B.
A ces urbanistes, sûrement pleins de pensées idéalistes, sans doute portés par un humanisme utopique, qui ont décidé de faire concorder logement et classe sociale, sans en entrevoir, les conséquences sociétales.
A ces architectes, persuadés qu’un homme, pourra s’échapper aussi, grâce à deux fenêtres, et d’une vue sur l’A86.
A vous, qui vivez intra-muros, et pour qui cette réalité semble fatidique.
Et puis à toi, qui oscille entre la banlieue Nord et Opéra, pour offrir à tes enfants, une vie meilleure, que celle de tes parents.
Vis-le.