A mon été,
Tu sais, pour beaucoup de non parisiens, l’automne est la plus belle saison pour visiter Paris. Les arbres se parent de couleurs dorées, de rouges et d’orangés, les Tuileries semblent tout droit sorties d’un roman de Balzac. Pour eux et moi, la reprise douce du train train quotidien qui s’attarde encore dans les méandres ensoleillées des vacances. Il reste du sable au fond des sacs, des traces de bronzage dans les décolletés, les épaules se découvrent encore. Le stress citadin n’a pas encore pris l’avion du retour. Et puis on se leurre, on croit naïvement que l’on aura droit un été indien jusqu’en décembre, que les températures ne chuteront pas en dessous de 20°. On repousse l’hiver, mais la nuit mord le jour petit à petit.
Parfois cependant, l’automne se provoque seul. Il débarque sans prévenir, il n’appelle pas, ne frappe pas à la porte avant d’entrer. Les bourrasques glacées s’engouffrent chez vous, en vous, et font disparaître l’insouciance estivale sans avis d’expulsion. Dans la ville, les volets se ferment au blizzard, le goudron se pare de miroirs liquides et les habitants se calfeutrent.
Vous vous réveillez un matin et il pleut dehors. Vous ouvrez les yeux et l’automne est là. Vous n’y aviez même pas pensé. Vous espérez vous lever, rire, et vous dire ce n’était qu’un mauvais rêve. Je vais sortir de chez moi et la pluie s’arrêtera de battre contre les carreaux, les immeubles retrouveront leurs couleurs, une main de maître coloriera à nouveau la ville au feutre indélébile. Mais la chaleur s’évapore et le froid vous entoure de ses bras. Les citadins sentent le cuir mouillé et le tabac froid.
Quelques irréductibles fument leurs cigarettes en se trémoussant sur le pas de la porte du bar en pestant « Quel temps de chien ». Et reprennent une pinte, pour avoir le courage d’affronter les rafales de vent du retour. La nuit vient d’un coup d’un seul, attrape le coeur et l’esprit. Le gris envahit la ville, envahit vos pas sous la pluie, prend toute la place, et laisse derrière lui un vide glacé.
Avec l’automne viennent les regrets. Les regrets de cet été révolu. Et malgré tout, le tourbillon pressé des citadins ne s’arrête pas et continue de tourner, en pensant encore à la moiteur estivale, aux embruns marins et aux soirées sans fin passées sur les quais de la capitale.
Merci, chers parisiens, de conserver en vous cette idée, cette pensée fugace d’été. Conservez là, ne l’oubliez jamais, plantez la dans un bon terreau et ne laissez-la vous échapper pour rien au monde. Faites proliférer votre été intérieur: peuplez-le de rires, habitez le de doux souvenirs, bâtissez-y des tours d’espoir. Construisez ponts et viaducs, faites-y couler une deuxième Seine !
Si vous saviez, à la terrasse de ce café, comme je vous observe. Je vois en certains d’entre vous un rapide, indicible rayon estivale. Alors que l’été s’est arrêté aux premières feuilles mortes, volant sous les roues d’une voiture, vous le faites durer un peu plus longtemps.
Alors, moi aussi, j’ai décidé de garder un petit bout de toi dans mon coeur. Je conserve un morceau de soleil à chérir lorsque les temps sont froids, que vos orteils et vos doigts sont gelés, que vous rentrez chez vous et que la nuit est tombée. Je tente de conserver, aussi longtemps que possible, le souvenir d’un court mais si bel été. J’emmagasine le souvenir d’un sourire, l’odeur d’une nuque réchauffée par les rayons du soleil. J’aurai encore le réflexe de te chercher du regard, sans doute. Je tendrai l’oreille. Je chercherai dans les bras nus d’un inconnu un bronzage révélateur. Avant de le voir se retourner et enfiler une parka.
Alors, je me souviendrai que tu n’es plus là, et je respirerai une grande bouffée d’automne. Un bol d’air humide et froid, qui pique la gorge et les yeux.
Parfois, cher été, tu oublies de dire au revoir en partant et laisse ma ville bien terne.
A Quentin. Que de là où tu es, tu profites d’un été sans fin.