Une réparation urbaine en forme de punition :
Née dans la violence verbale, dans l’invective et le dénigrement du Ministre d’intérieur de l’époque qui devint Président, la décennie du « Plan Borloo » fut marquée par l’exaspération urbaine, la dérive des territoires, l’entre-soi aux deux extrémités de la chaîne sociale, les french riots sur CNN, la révolte de la racaille pour reprendre le vocable ministériel d’alors.
Née sous de tels auspices, nommée ainsi, la politique publique de rénovation urbaine ne pouvait être que ce qu’elle fut : une violente reconduction du ghetto social sur lui-même. Puissante et punitive, elle contint en son texte fondateur (article 6 de la loi du 1er aout 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine) un sinistre objectif, celui de la démolition programmée de 250 000 logements pour la plupart sociaux, c’est-à-dire environ 750 000 personnes à déplacer, soit l’équivalent de la population de Toulouse ou de Bordeaux. L’éradication de la différence et de la grande pauvreté avait trouvé les moyens de sa politique inavouée ainsi que son bras armé.
Dix ans plus tard, le programme heureusement infléchi dans sa folie destructrice, peine à s’achever à la défaveur de la crise ainsi que de la rareté des argents publics et privés. En outre, toutes les études a posteriori tendent à montrer que le cynisme fut total et qu’il conduisit à l’horizontalisation de la grande pauvreté, vaporisée sans doute, mais stockée à nouveau au même endroit. En effet, chacun s’accorde à reconnaître l’inefficacité sociétale du PNRU, ainsi que les effets pervers du renforcement de l’enfermement des grands ensembles sur eux-mêmes.
On aime ni nos pauvres, ni leur maison. C’est ainsi qu’à ce jeu de passe-passe de la localisation sociale fut ajoutée une supercherie culturelle. En un demi-siècle la forme de l’habitat fit un rapide allé retour complet : pavillon-grand ensemble-pavillon. La stigmatisation atteint alors son paroxysme selon le paradigme encore à l’œuvre, dans une grande confusion médiatique et politique : pauvres=étrangers=banlieues=barres et tours=béton ; aux lieux communs sociaux furent accolés des poncifs architecturaux et des solutions démagogiques. Le pauvre, étranger, serait-il plus digeste à la société, isolé dans une caricaturale maisonnette façon play-mobil ?
Un projet pour une ville solidaire et durable :
L’air de la ville rend libre, reprenait Max Weber. Malgré ce viatique, force est de constater qu’en deux ans de gouvernement la gauche a oublié la ville, les banlieues, leurs habitants. Tous le lui ont bien rendu si l’on en croit les résultats des élections municipales et locales de la dernière période. Triste paradoxe, alors même que la question de la ville a toujours été au cœur de la pensée de la gauche et de ses actions, notamment via le socialisme municipal.
Dans un entretien complice avec le candidat Hollande dans les pages du Monde du 4 avril 2012, Edgar Morin revenait sur sa vision de Politique de Civilisation. Puisqu’elle, la civilisation, est résolument urbaine, la Ville sera nécessairement au centre de cette Politique.
C’est ainsi qu’à la différence du plan Borloo – punitif et ségrégatif- avec la volonté d’harmonie du corps social qu’a manifesté François Hollande pendant sa campagne électorale, après le projet industriel de la France en 2025, après le choc de simplification administrative et à quelques mois de la conférence de Paris sur le climat, nous attendons une vision politique offensive en faveur des territoires et de leurs populations. Le Nouveau Programme de Rénovation Urbaine devra donc directement s’inscrire dans une vision globale et non plus segmentée des territoires et de leurs populations.
La solidarité par la recapitalisation.
Remplaçons la misérabiliste Réparation par l’ambitieux Projet. C’est ainsi que les sites de grands ensembles de plus de 10 000 habitants devenus friches, qui ont perdu toute valeur et ne représentent plus que des coûts, souvent installés dans des sites magnifiques aux abords de la forêt ou en surplomb de la vallée, doivent impérativement être inscrits dans le plan de mutation industrielle et économique de l’agglomération. Cette dernière étant elle-même dévastée par la destruction historique de la mono-industrie. A titre d’exemple, serait incompréhensible la sectorisation autiste du développement d’un Grand Paris qui ignorerait les Programmes de Rénovation Urbaine et traitant d’une part le noble Grand Paris de la croissance et d’une autre part l’infâme, celui de la grande pauvreté.
Le pilotage du nouveau PNR devra donc se coordonner à la stratégie de ré-industrialisation du territoire, affinée au niveau régional. Les politiques publiques activeront leur synergie aux fins de recapitalisation des territoires aujourd’hui en friches urbaines et sociales.
Mixité, métissage et cohésion sociale.
Le NPNRU devrait favoriser la vie quotidienne du quart des huit millions d’habitants de l’archipel que constitue le chapelet des grands ensembles, ces ilots de grande pauvreté. De même que la pluralité des filières industrielles et économiques préservent les territoires de leur effondrement à l’occasion de violentes crises, la mixité sociale et le métissage enrichissent et confortent la structure sociale des agglomérations, y compris en périodes de turbulences.
L’investissement public participe à articuler et conforter les capitaux privés qui doivent prendre leur part à l’intensification des échanges dans ses quartiers qui flottent dans leurs espaces trop lâches, trop chers à l’entretien car trop dilués. Chacun se trouve enfin dans son rôle et ses prérogatives : la collectivité trace l’espace public et l’aménagement des territoires, organise et sécurise les services publics, garants du partage de la citoyenneté.
Le renouvellement urbain, une stratégie durable.
« …le développement parallèle des énergies renouvelables, la rénovation de l’habitat, toutes ces initiatives doivent nous permettre de bâtir une société de la sobriété et de l’efficacité énergétiques. C’est une nécessité environnementale, mais aussi une chance sociale et industrielle… » François Hollande dans son entretien avec Edgar Morin op. cit.
Les grands ensembles appartiennent aux territoires issus de la folle et sectorisée industrialisation du XXè siècle, qui n’en finissent pas de se déliter jusqu’à la friche, fossilisés et pollués, engoncés dans leur formalisation rigide et univoque, formidables et monstrueux fruits de la pensée moderniste et productiviste.
Résiliente, la politique de renouvellement urbain, contrairement à la démolition massive de la décennie passée, pourrait être un des moteurs de l’édification de la société dé-carbonée, à la fois frugale et productrice d’énergies renouvelables et douces.
L’archipel de la friche urbaine et sociale va donc se trouver au cœur de la mutation de nos modes de production et de consommation et tout y sera repensé d’une manière complexe et métissée: transports en commun et déplacements doux, recyclage et reconversion des bâtiments, production énergétique et mutualisation, intensification et densification, gestion de l’eau et des déchets, paysages et agriculture urbaine.
C’est ainsi que le recyclage des territoires tellement défaits par les crises post-industrielles devrait nécessairement les installer dans le rôle inattendu du fer de lance de la socio-écologie naissante, faite de métissage, de résilience et d’éthique de la responsabilité.
Voilà, par exemple, ce qui pourrait-être engagé avec 5 milliards.