Ce compte permet de mettre en avant les personnes sans-abris par le partage de photo. Il établit leur portrait et conte leurs histoires. Comment en sont-ils arrivés là ? Quelles sont leurs identités ? Comment essayent-ils de s’en sortir ?
On a également l’occasion de connaître l’histoire de personnes qui s’en sont sortis et qui sont maintenant « ancien sans-abris ».
C’est une manière de porter de l’intérêt à ces personnes en difficulté dans la ville de Toulouse.
Mon nom est Toni.
Il y a un petit moment je travaillais, en tant que saisonnier pour la culture des abricots, mais j’ai eu un accident en août et j’ai dû arrêter. Je me suis retrouvé à la rue, mais ça n’est pas la première fois.
Je suis dans le maraîchage, et l’agriculture en général. Cet été j’étais en Ariège, mais comme c’est dans la campagne, que je n’avais personne et que c’était compliqué de trouver de l’aide et un logement là bas, je suis venu à Toulouse.
Normalement en hiver c’est la période creuse, je peux seulement travailler dans l’ostréiculture. Mais « avec les jambes en moins c’est difficile ».
En ce moment je cherche surtout à me remettre des blessures de mon accident. J’ai en fait été percuté par une voiture et comme le mec s’est sauvé et que « je n’ai pas de CMU, j’ai dû payer 350 balles de frais ». C’est presque tout ce que j’avais, et il me reste encore des radios ou d’autres examens à faire.
J’ai beaucoup voyagé, en restant en France. Je ne suis allé dans d’autres pays que quand j’étais jeune, avec mes parents. J’ai fait 3 ans de woofing, à travailler chez des gens qui me logeaient.
J’ai aussi déjà fait des voyages en camions avec des potes, et j’y emmène toujours ma chienne. Elle s’appelle Tonk et elle est très sociable car elle a l’habitude des gens et des autres animaux. Ce sont de « bons compagnons, et heureusement qu’ils sont là, et qu’ils nous tiennent chaud ».
« Ça n’est pas facile tous les jours ». Heureusement, il y a les maraudes et les aides sociales, comme Intermède.
« On n’est pas méchants, on ne mord pas. » Des fois, on subit des réflexions vraiment pas sympas. « Je m’en fous qu’on ne me donne rien, mais certains regards font vraiment très mal. » Un jour, un mec m’a même proposé de me pisser dessus. « Et ça va encore car je suis un garçon. Pour les filles c’est vraiment dur. »
Mon nom est Benji.
J’ai 24 ans, et j’ai fini mes études il y a peu. Adopté par des français, j’ai eu un bac S mention « bien » au lycée St Sernin, puis j’ai passé un DUT finance tout en étant à la rue.
La transition s’est faite de fil en aiguille: après avoir voyagé un peu partout (Amérique du Sud, Océanie, Thaïlande…), je me suis pris la tête avec mes potes, puis séparé de ma copine. À cause de mon amour propre, j’avais trop de fierté pour demander de l’aide à mes amis.
On vit ici, tous ensemble, avec des potes. L’ambiance est bon-enfant, on est pas « des mecs de la streeet ». Il y a toutes sortes de personnes: des gens un peu énervés car ils sont ici depuis longtemps, des voyageurs, d’autres qui veulent rebondir…
En ce moment, je suis pizzaiolo. Chaque année je cherche un boulot pour me faire des thunes, et je pars en césure tous les hivers.
« C’est la vie », pour le moment je ne veux pas de contraintes et je veux rester ici: « Toulouse c’est ma City tu vois ».
Mon nom est Sally.
J’ai 18 ans et je vis dans la rue depuis 1 an car mon bac pro s’est terminé et je n’ai pas trouvé de travail.
Cette année, j’aimerais essayer de passer un bac pro paysagiste, de trouver un patron, d’acheter un camion. J’ai plein d’idées de projets! Avec une amie par exemple, on voudrait se mettre à fabriquer des petits bijoux ou tricoter pour pouvoir revendre des petites créations, comme des porte-monnaies, ou d’autres choses. « On verra avec le temps ce que ça donne, ce qui se présente. »
En tant que femme, c’est vrai que c’est assez compliqué d’être dans la rue, « c’est plus bourbier ». Il y a souvent des personnes très insistantes quand on fait la manche, qui nous proposent de nous faire de l’argent autrement…
En revanche, les associations nous fournissent plus d’aide. L’association Intermède par exemple, ouvre ses portes aux femmes exclusivement tous les vendredis. La dernière fois j’ai pu y aller et ils m’ont proposé un masque à l’argile.
« Pour les femmes c’est plus dur, mais il y a plus d’aménagements. »
Mon nom est Pierre.
J’ai 18 ans et je vis dans la rue depuis 3 ans. J’avais un poste en apprentissage dans un bar à tatouages à Cannes, qui était sensé m’engager à la fin de mes études. Mais le patron a brutalement décidé de fermer l’entreprise et a renvoyé tout le monde. Je n’ai pas réussi à retrouver un emploi après ça, et je me suis fait virer de chez moi par ma mère, chez qui je n’ai pas voulu revenir.
« C’est bizarre, car dans la rue tu te complais, tu y trouves une certaine facilité car tout le monde te donne tout, et ce n’est pas toujours une solution. » J’ai vraiment envie de m’en sortir, mais c’est très difficile, sachant que pour travailler il faut un justificatif de domicile, et que pour avoir un domicile il faut un justificatif de travail. C’est un cercle vicieux, et pour s’en sortir, il faut pouvoir passer par des associations. De plus, il faut pouvoir se laver, toujours être propre, et payer des machines à 10€50 si nos vêtements sont tâchés. « Ce n’est pas vivre à la rue qui est dur. C’est s’en sortir. »
« Ça n’est pas une vie. » J’aimerais devenir souffleur de verre, alors je pense remonter à Paris pour trouver du boulot et faire des formations. J’ai aussi pensé à monter une petite entreprise avec un ami. Lui s’y connaît en informatique et moi je sais coudre.
J’ai déjà voyagé dans plein de villes: à Nice, Montpellier, Paris, Strasbourg, Lyon, Limoges… généralement je vais dans le Sud l’hiver, mais chacune est différente. À Nice par exemple, c’est horrible. On subit constamment des contrôles d’identité pour rien. À Montpellier, quand une personne importante arrivait en ville, on se faisait réveiller par des contrôles et on nous demandait de bouger. Maintenant ça s’est calmé.
Certes le regard des gens n’est pas agréable, mais il vaut mieux ne pas faire attention et éviter de s’énerver. « C’est ce qu’ils veulent de toute façon. »
Mon nom est Alexandra.
J’ai 19 ans et je vis dehors depuis que j’en ai 16. Je cherche des petits boulots pour me faire de l’argent, des petits trucs simples, du ménage… Je fais aussi la manche, je me promène dans les parcs et je m’occupe de mes animaux (deux chiens et un rat). J’ai un peu voyagé et vu une dizaine de villes, et maintenant je reste ici.
Par dessus tout, j’aimerais devenir éducatrice pour chiens. J’ai déjà tenté une école dans ce domaine, mais ça ne m’avait pas plu.
Au fil des années, j’ai dû apprendre à ne plus faire attention au regard des gens. « Au début ça m’énervait », les remarques et les insultes constantes, maintenant je ne les écoute plus.
Certes je ne paie pas d’impôts, mais ce que je vis est dangereux. Notamment la nuit, où il y a beaucoup de vols, de violences… On doit se débrouiller, et « en tant que femme il faut avoir beaucoup de caractère » pour tenir.
Ce que les gens ne savent pas, c’est que cela peut arriver à n’importe qui, « même aux gens riches », du jour au lendemain, et que c’est pour cela qu' »ils ne devrait pas se permettre de nous juger ».
Mon nom est Julien.
J’ai 33 ans et ça fait 15 ans que je suis à la rue. Je galère à faire mes papiers pour le RSA depuis 11 mois, il manque toujours un papier, un numéro…
Ce qui m’a fait arriver ici c’est la drogue, j’étais trop dedans. J’ai eu un appartement dans des HLM pendant 2 ans et demi mais j’ai dû le quitter à cause de disputes très violentes avec un voisin. Finalement, j’ai préféré rembourser mon dealer que payer un nouveau loyer, alors je reste ici.
Il y a 2 ans, j’ai perdu toutes mes affaires à Rennes chez un pote. Je cherche encore à en racheter, comme des rollers ou des bâtons de jonglage.
Je cherche un travail en tant que paysagiste, élagueur ou bûcheron. « C’est mieux la nature, on ne m’enfermera pas dans un bureau ou une maison ». Je cherche aussi à travailler dans l’animation car je suis jongleur et cracheur de feu. On est beaucoup à chercher des CDI, mais « comment bosser en vivant sur le trottoir »?
À la base je viens du Val d’Oise mais je n’aime pas la mentalité parisienne. J’ai voyagé un peu partout et j’ai préféré la Bretagne à tout le reste: « j’ai adopté la Bretagne et la Bretagne m’a adopté ».
J’y retourne cet été pour un pote qui est mort d’une overdose. Il est enterré dans les jardins de l’espoir, c’est un endroit non religieux où on met les cendres et où on plante un arbre, et ça permet de communiquer avec la personne à travers l’arbre.
J’irai aussi faire un p’tit tour à la mer, « le meilleur anti-puce pour chien ».
« En ce moment la générosité c’est pas ça ». Heureusement qu’il y a les maraudes, presque tous les jours. La police nous embête constamment pour nos affaires, pour l’alcool, pour qu’on bouge tous les quarts d’heure, pour les chiens en laisse… et les chiens risquent la fourrière. Ça serait trop dur de perdre ma chienne, elle compte beaucoup pour moi. L’autre jour j’ai tourné la tête quelques minutes et elle avait disparu. J’ai cherché partout, fait le tour des rues, des magasins, les larmes aux yeux, avant d’enfin la retrouver. Son nom c’est Mala. Ça veut dire ange gardien en tahitien et mauvais en espagnol. Alors je dis que c’est mon « mauvais ange gardien ».
Mon nom est Axel Darius.
J’ai 21 et ans et je suis un ancien sans-abris. J’ai quitté la maison à 17 ans, à cause de l’alcoolisme de mon père et j’ai connu 2,3 ans de rue. Le premier hiver dans la rue à été très dur, mais les maraudes apportent du réconfort. J’ai pu trouver un travail dans l’animation, et depuis c’est 1 an de bonheur.
Même si on n’a pas eu le choix d’aller dans la rue, je pense qu’avec de la détermination on peut s’en sortir. Tout le monde en est capable.
Si vous voulez que je vous parle du regard des gens: « ils ne nous regardent pas ». En fait, ce n’est pas que tu es assis sur le trottoir: « tu es le trottoir ».
Maintenant, les gens sont surpris quand ils connaissent mon histoire. Mais « si moi j’y arrive, pourquoi pas toi? Si moi j’y arrive pourquoi pas toi… ».
Mon nom est Chapellier.
Je suis né à Courbevoie, puis j’ai vécu en Bretagne pendant 4 ans, dans une famille d’accueil. À 16 ans, j’ai passé le BAFA pour devenir animateur. Je fais du surf, du kite… Je vis dans la rue mais j’ai aussi déjà eu un appartement et une copine. En général, je travaille 6 mois par an, et les 6 autres mois je voyage.
Il y a 3-4 ans j’ai pris une année sabbatique, j’ai voyagé en Italie, en Espagne, dans d’autres pays et à Toulouse, et j’ai rencontré Pollux.
Ce qui est bien dans la rue, c’est qu’on a « toujours ce qu’on veut quand on veut ». On fait du diabolo, du jonglage, de la guitare, on fait rire les gens. « On est vivants ». On peut parfois se faire des bons p’tits déjs, ou trouver un livre. Ce midi on a même réussi à se payer des tacos.
Bientôt je repars, je vais voir Bordeaux, Evreux, Chalon-sur-Saône, et aller chercher des papiers pour refaire une saison d’animateur.
« Fin août on se range », je pense reprendre mon poste de directeur de centre de vacances.
Je voyage beaucoup avec CDL, je vous conseille d’aller voir la page : https://www.facebook.com/clochard2luxe/
Mon nom est Pollux.
Je fais des spectacles de rue, et aujourd’hui, je jongle avec des quilles. J’ai mal à l’épaule car l’autre jour je me suis fait tabasser par des fachos qui me sont tombés dessus. Ça arrive parfois.
Ça fait 4 ans que je suis dans cette situation: je voyage avec des amis et ma chienne, on va en Italie, en Espagne, on participe à des festivals de rue, on bouge beaucoup. Si ça vous intéresse, on publie ce que l’on fait sur notre page Facebook : CDL (Clochards de Luxe).
Je peux vous raconter une histoire qui m’a beaucoup marqué dans ma vie, elle s’appelle le Bon ou le Mauvais:
« C’est un paysan qui a un fils, et qui négocie avec un marchand pour acheter une bécane à son fils. Alors le voisin vient voir le paysan et lui dit: 《Ton fils a beaucoup de chance d’avoir une moto, il va pouvoir se promener, aller dans la forêt, s’amuser..》. Et le paysan répond: 《Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose.》
Puis, le fils tombe en moto et se casse la jambe, alors le voisin retourne voir le paysan et lui dit: 《Ton fils n’a pas de chance de s’être cassé la jambe, il ne va pas pouvoir marcher avant un moment..》. Et le paysan répond: 《Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose.》
Alors, la guerre éclate dans le pays, et le fils n’est pas appelé à y aller à cause de sa jambe cassée. Le voisin va donc voir le paysan et lui dit: 《Quelle chance que ton fils n’aille pas à la guerre grâce à sa jambe, il va pouvoir rester en vie》. Et le paysan répond: 《Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose.》…
CDL : https://www.facebook.com/clochard2luxe/
Nos noms sont Ludo & Tony.
On se connaît depuis seulement une semaine et on s’entend déjà super bien. C’est vraiment important de rencontrer des gens avec qui on se sent bien et en qui on a confiance dans la rue, car c’est vraiment un lieu dangereux.
Ce que peu de personnes savent, c’est que dans la rue il y a beaucoup de racisme, notamment entre les Roms et les Français, et il peut éclater des bagarres, rien que pour des « places de manche ». Les policiers nous demandent plus souvent à nous qu’à eux de bouger, car ils ne parlent pas la langue, et comme ils sont favorisés il y a des petites « guerres de territoires ». En réalité, la loi ne nous autorise pas à rester plus d’un quart d’heure au même endroit. Des fois ces relations sont « compliquées, mais c’est comme ça ».
Une autre idée reçue est que l’on utilise nos chiens pour apitoyer les gens quand on fait la manche. C’est complètement faux. À chaque fois, les chiens sont derrière nous, et ce que les gens ne savent pas, c’est que si un sans-abris doit choisir entre se nourrir ou nourrir son chien, « le chien passera toujours en premier ». Ce sont nos compagnons et pas nos outils.
Pourtant, ne croyez pas que tout est misérable dans la rue. On passe aussi de bons moments qui nous font garder espoir : il est déjà arrivé qu’on économise un peu pour faire une petite soirée, on s’achète quelques bières et des ingrédients, et on mange tous ensemble. La dernière fois par exemple, Tony, qui a déjà eu un job de pizzaiolo, nous à fait une pizza, d’autres fois, on fait des barbecues. Tout ça est organisé par des associations, et chacun amène quelque chose, c’est vraiment sympa et ça nous fait nous sentir bien. Car en dehors de ça, on est toujours considérés comme des « parias, des parasites qui se droguent en se piquant ».
Une vie parfaite dans la rue, ça serait une vie où il y a toujours du soleil et pas de drogue.
Mais ce n’est pas le cas, et ça n’est pas facile de sortir de là. Alors faites attention, car même si vous ne vous en rendez pas compte, à vous comme à nous, « ça peut vous arriver demain ».
Photos par mynameisnothomeless sur Instagram