Plus prĂ©cisĂ©ment, les rĂ©sultats qui y ont Ă©tĂ© publiĂ©s dĂ©montrent une grand tendance de la part des français Ă croire en au moins une thĂ©orie du complot. 79 % de la population interrogĂ©e est en effet prĂȘte Ă soutenir une des thĂ©ories prĂ©sentĂ©es dans le sondage. Terre plate, virus du SIDA crĂ©Ă© par lâindustrie pharmaceutique, inexistence du rĂ©chauffement climatique⊠la crĂ©dulitĂ© Ă ces exemples ou Ă certaines lĂ©gendes urbaines est Ă©difiante. En compagnie de Rudy Reichstadt, rĂ©dacteur en chef de Conspiracy Watch, essayons de comprendre de quelles maniĂšres le monde urbain peut influer sur notre crĂ©dulitĂ© face Ă lâessor du complotisme.
Le complotisme qui isole le monde rural du monde urbain
Les thĂ©ories complotistes alimentent depuis plusieurs siĂšcles les fantasmes de nombreux adhĂ©rents, qui voient en elles toutes les rĂ©ponses aux questions parfois mystĂ©rieuses quâil se posent, sur la vie, sur les gouvernements, sur les intentions rĂ©elles des personnes qui nous entourent⊠RĂ©guliĂšrement, de nouvelles idĂ©es surgissent dans les esprits et font lâobjet dâune attention mĂ©diatique notable.
En 2001 par exemple, le lit du fleuve Somme connaĂźt une crue particuliĂšrement virulente. Ă tel point que la commune dâAbbeville, situĂ©e dans le dĂ©partement de la Somme en Hauts-de-France, subit Ă ce moment une forte inondation de ses rues. Dans lâincomprĂ©hension dâune telle montĂ©e des eaux, certains habitants ont rapidement Ă©voquĂ© lâidĂ©e dâun complot qui visait Ă sacrifier la ville au profit de Paris, situĂ©e en amont. « Certains dĂ©nonçaient lâexistence dâun genre de robinet qui permettait de prĂ©server la capitale en dĂ©versant toute lâeau excĂ©dentaire sur Abbeville », se souvient Rudy Reichstadt. « DâaprĂšs la thĂ©orie, câest la visite du ComitĂ© International Olympique Ă Paris dans le cadre de sa candidature aux Jeux Olympiques qui aurait poussĂ© les pouvoirs publics Ă sacrifier les villes de province. Bien entendu, il sâest finalement avĂ©rĂ© que la rumeur dâAbbeville Ă©tait totalement fausse ».
12 ans plus tard, en 2013, une autre rumeur a fait preuve dâune grande notoriĂ©tĂ© mĂ©diatique. La « rumeur du 93 », principalement dĂ©veloppĂ©e juste avant les Ă©lections municipales de 2014 est un nouvel exemple dâun rapport particulier entre le complotisme et le monde urbain. Le rĂ©dacteur en chef se souvient : « Selon la rumeur, le dĂ©partement de Seine-Saint-Denis (93) avait passĂ© des accords secrets avec des communes ou des dĂ©partements qui Ă©taient davantage ruraux, comme Ă Niort, Ă Limoges etc. LâidĂ©e vĂ©hiculĂ©e concernait des autobus entiers de populations immigrĂ©e et qui Ă©taient envoyĂ©es dans ces communes la nuit ». Les habitants locaux avaient lancĂ© cette thĂ©orie absurde suite Ă lâaugmentation dans leurs villes de populations dâorigine africaine, nord-africaine, rom… « à cette Ă©poque rythmĂ©e par les Ă©lections, le Front National avait jouĂ© sur cette thĂ©orie pour renforcer sa vision de la politique auprĂšs des habitants. Dâailleurs, les villes concernĂ©es ont connu Ă ce moment une lĂ©gĂšre montĂ©e des votes en faveur du parti dâextrĂȘme droite… »
Ces deux exemples dĂ©montrent de maniĂšre sous-jacente quâil existe un clivage entre la mĂ©tropole de Paris ultra-urbanisĂ©e, et le reste de la France mĂ©tropolitaine. Sans mĂȘme Ă©voquer le monde rural, les villes provinciales de taille moyenne sont Ă©galement le terreau de thĂ©ories complotistes qui nâincriminent pas spĂ©cialement une idĂ©e urbaine, mais qui en tout cas renforcent lâidĂ©e selon laquelle une entitĂ© urbaine importante, comme celle de Paris, pourrait ĂȘtre un acteur dans les complots qui visent les villes plus modestes. « Ă Abbeville comme dans les villes concernĂ©es par la rumeur du 93, surgit un sentiment dâabandon Ă©manant de la population locale. Câest ce sentiment-lĂ , ce sentiment de « Paris face Ă la province », qui semblerait en effet ĂȘtre lâorigine de la montĂ©e du complotisme en France », nous confie Rudy Reichstadt.
LâagglomĂ©ration parisienne face aux communes rurales
Si dâaprĂšs le fondateur de Conspiracy Watch, « lâidĂ©e du sondage IFOP nâĂ©tait pas de dĂ©finir concrĂštement ce clivage entre lâagglomĂ©ration parisienne et la province », il nous est possible au vu des donnĂ©es disponibles dâessayer de tisser un lien avec le fait dâhabiter dans une commune rurale ou bien au sein de lâagglomĂ©ration parisienne. En dâautres termes, les habitants des communes rurales ne seraient-ils pas davantage exposĂ©s Ă ĂȘtre partisans des thĂ©ories du complot ?
Les rĂ©sultats disponibles dans le rapport du sondage dĂ©montrent en effet une lĂ©gĂšre tendance Ă davantage croire aux thĂ©ories du complot lorsque lâon habite dans une commune rurale. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les divergences ne semblent pas extrĂȘmes, mais apparaissent avec une grande rĂ©gularitĂ© dans ce sens. Par exemple, 43 % des personnes habitant en commune rurale dĂ©nigrent lâintĂ©gritĂ© des Ă©lections en France contre 31 % dans lâagglomĂ©ration parisienne. 20 % des habitants des communes rurales pensent que les traĂźnĂ©es blanches derriĂšre les avions sont des produits chimiques dĂ©versĂ©s dĂ©libĂ©rĂ©ment, contre 14 % Ă Paris. On pense Ă 40 % dans les zones rurales que le SIDA a Ă©tĂ© inventĂ© par lâindustrie pharmaceutique, contre 28 % dans la capitale.
Photographie pour illustrer le complotisme dirigĂ© contre les trainĂ©es laissĂ©es par les avions – CrĂ©dit photo ©Joel & Jasmin FĂžrestbird via Unsplash
La tendance ne semble donc au maximum diffĂ©renciĂ©e que dâune dizaine de points, mais il apparaĂźt toutefois que lâadhĂ©sion Ă des thĂ©ories complotistes soit davantage acceptĂ©e par les habitants des commune rurales. Mais dâaprĂšs Rudy Reichstadt, la vĂ©ritable diffĂ©rence est principalement liĂ©e Ă la mĂ©thode de sâinformer sur les diffĂ©rents sujets dont il est question dans le sondage. « Par la presse papier, par Internet, par la radio ou par les rĂ©seaux sociaux, on dĂ©couvre selon ces critĂšres de vĂ©ritables diffĂ©rences dâopinions. Je ne suis pas certain que le fait dâhabiter en ville soit en fin de comptes directement liĂ© aux rĂ©sultats ».
Un apprentissage et une information Ă renforcer
Comment dĂ©finir alors la source de cette Ă©mergence complotiste ? Monde urbain, ou mauvaise information ? Les deux critĂšres sont-ils liĂ©s ? Rudy Reichstadt reste mĂ©fiant quant Ă lâĂ©laboration dâhypothĂšses qui nâont pas encore Ă©tĂ© approuvĂ©es dans le cadre de sondages. « Mais il serait en effet intĂ©ressant de se pencher plus profondĂ©ment sur ces questions-là ». En tout cas aujourdâhui, les nombreuses rumeurs semblent largement ancrĂ©es dans un grand nombre de tĂȘtes, quâelles soient urbaines ou non. Lâambition aujourdâhui est donc non seulement dâessayer dâen avoir une approche critique pour dĂ©construire les arguments avancĂ©s, mais surtout de rĂ©flĂ©chir Ă des mĂ©thodes dâenseignement et dâinformation qui permettent Ă chacun de se forger une idĂ©e qui nâest pas forcĂ©ment issue dâun fantasme trĂšs mĂ©diatisĂ©.
« Mon mĂ©dia est consacrĂ© Ă lâapproche critique des opinions complotistes. Nous avons une approche qui est clairement engagĂ©e contre celles-ci et je pense que lâĂ©ducation au sens large a un grand rĂŽle Ă jouer pour freiner les thĂ©ories de complots. Quâil sâagisse des mĂ©dias ou de lâĂ©ducation scolaire, il est prouvĂ© que lorsque lâon maĂźtrise une discipline, il y a davantage de rĂ©sistance face aux thĂ©ories en tout genre. »
Crédit photo ©NASA via Unsplash