Existe-t-il une identité musicale des villes ?
La musique a ce quelque chose de magique depuis la nuit des temps et à travers le monde. Cet art, un peu comme la danse, a souvent été une source de rassemblement pour les peuples. Moyen d’expression ou outil de revendication, la musique enchante les villes qui les inspire ou les influence.
Ainsi, chaque ville a une ambiance, mais aussi un rythme musical marque leur identité sonore. En se promenant dans les espaces publics des villes, il se dégage une ambiance aux sonorités particulières qui se forment au gré des bruits urbains. Parmi eux, on peut mentionner le son du métro, des conversations dans la rue, de vélos qui fusent, ou encore des sons plus discrets comme le son de la porte d’une boutique qui s’ouvre et le bruit des pas des passants la nuit tombée.
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La ville se composent également de sons plus organiques comme le marché du village, l’animation d’un boulevard ou d’une rue commerçante, le son des manifestations des places publiques, les cris d’enfants dans les écoles ou dans les parcs. Tous ces sons sont ponctuels et dépendants du moment de la journée, mais ils s’adaptent également à la ville dans laquelle ils s’implantent, en fonction des populations qui y vivent et des aménagements qui incitent à telle ou telle pratique de l’espace urbain.
Tant de sonorités qui participent à offrir une ambiance sonore aux villes. Il existe même des observatoires de l’ambiance sonore de ville comme l’observatoire de l’ambiance sonore lyonnais, à la fois outil de mesure et de contrôle de l’espace sonore de la ville mais aussi outil de promotion pour des ambiances sonores associées à des quartiers. Ainsi, chaque ville peut émettre son propre univers musical.
La ville se construit aussi une identité musicale à travers les styles musicaux ou même des artistes qui y émergent. Ainsi, Londres est fortement associé à l’histoire des Beatles, Toulouse à celle de Nougaro ou Bigflo & Oli, et nous ne citerons qu’eux, car la liste peut être bien longue. A cela s’ajoute les courants de musiques régionaux, qui s’associent à certaines villes, comme les sonorités de The Dubliners qui évoquent instantanément Dublin et son Temple Bar, ou un air de Samba nous transporte instantanément à Rio de Janeiro. Mais alors, avec son architecture, ses ambiances, sa structure urbaine, la ville influence-t-elle la musique ?
Quand la structure urbaine influence les genres musicaux
L’architecture inspire-t-elle l’émergence de certaines formes musicales ou est-ce l’apparition de styles musicaux qui localement influe sur le paysage et la structure urbaine ? Une étude sortie en février 2016 s’est penchée sur le sujet. Intitulée “Comment la structure des villes a influencé l’émergence de nouveaux styles musicaux”, à l’origine, l’enquête avait été réalisée par un journaliste du Washington Post, David Maraniss. Reprise par The Guardian, puis par Trax, l’étude avait fait parler d’elle. L’analyse part d’un postulat unique : l’esthétique urbaine est source d’inspiration universelle pour les artistes. Cette avancée ne semble pas si difficile à démontrer. En effet, il semble naturel qu’un artiste soit inspiré par son environnement.
Pourtant, des facteurs structurels des formes urbaines et architecturales ont conditionné l’émergence des styles. Pour ce qui est du son du Motown, il arrive dans le Détroit des années 50. Pourquoi le piano est au cœur de ce style ? Le journaliste explique cela par des données architecturales et urbaines. En effet, le Motown a été initié par les classes moyennes de la banlieue de la Motor City. S’il observe que le prix du piano à cette époque favorise son acquisition, il note également que ces jeunes créateurs vivent dans des logements à au moins deux étages, disposant d’un grand salon. L’architecture de leurs logement permet d’accueillir des pianos et donc de constituer un style à partir de celui-ci.
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Le grunge est ensuite évoqué. L’émergence de ce style a lui aussi été favorisé par la configuration urbaine et architecturale. Si le nord ouest américain ne disposait pas de garages chauffés, vides et isolés, ces artistes n’auraient certes pas laissé leur imagination se développer de la même ampleur. C’est dans le dédale des HLM de la banlieue Est de Londres que le grunge voit le jour début 2000. Avant de rencontrer le succès en 2004, le style est ignoré par l’industrie musicale car trop underground et pas assez vendeur. Celle-ci naît dans les cages d’escaliers insalubres de la capitale. Ces ensembles d’immeubles d’inspiration communistes favorisent la création et la diffusion de radios pirates, à l’origine de la transmission du genre musical. Un ensemble de facteurs que les journalistes du Guardian expliquent et qui mérite de plus amples réflexions.
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Que ce soit pour le R&B des community centers de New-York ou pour la techno des hangars désaffectés de Berlin, l’analyse est transposable. Celle-ci, si elle mérite d’être encore approfondie notamment avec l’intégration de facteurs socio-économiques plus forts, démontre une fois de plus l’influence de l’architecture et de notre milieu urbain sur nos comportements et modes d’expression. Événements politiques, modes de communication via les radios pirates par exemple, rencontre des cultures, survie économique de certains, la ville induit des mélanges savants dont elle est le meilleur théâtre. Une fois retranscrits, la cohabitation de ces paramètres nous offre de véritables œuvres d’art sonores !
Tous ensemble pour la musique
La musique a un super pouvoir : celle de rassembler ! Quel exemple plus évocateur que la Fête de la musique. Elle est imaginée en 1976 par le musicien Joel Cohen. Le choix du 21 Juin n’est pas anodin puisqu’il correspond au premier jour de l’été. D’abord mise en place dans l’Ouest parisien et à Toulouse, elle est étendu à l’ensemble de la France en 1982 par Jack Lang, alors ministre de la culture et Maurice Fleuret, directeur de la musique et de la danse du ministère. Aujourd’hui, elle est célébrée dans une centaine de pays, devenant une fête populaire internationale. Elle se concrétise bien souvent par des concerts ouverts à tous dans l’espace public, ce qui rassemble l’ensemble des citoyens des villes autour des sonorités de styles différents et du monde entier.
Le carnaval est aussi un mouvement populaire qui célèbre la musique. Les sonorités de la Batucada ou toutes autres sortes de genre musicaux, viennent rythmer les pas des danseurs. On peut aussi évoqué des événements comme la Techno Parade, ou de festivals régionaux, tels que les Interceltiques de Lorient, qui viennent animer la ville chaque année dans un rassemblement festif. La musique fédère et elle créée un temps fort où chacun peut venir apprécier la musique en ville. La rue devient le lieu de l’expression musicale et l’espace d’un rassemblement social inclusif autour des sonorités.
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Au delà de cela, la musique peut unir en devenant un moyen de revendication, notamment en rapport avec les enjeux urbains du territoire. Elle est le parfait médium pour dénoncer les dysfonctionnements de la société, mais aussi des villes. Un moyen de dialogue entre les personnes, avec par exemple le Rap qui a permis de faire découvrir au grand public la réalité de certains quartiers, notamment en banlieue.
Dans cette idée, la ville d’Aubervilliers a créé en 1997 un festival « Auber’ville des Musiques du Monde », dans le but de valoriser sa richesse culturelle à travers la musique. En 2000, il est rejoint par la Ville de La Courneuve, puis par d’autres villes, pour devenir « Villes des Musiques du Monde« . Ainsi, l’événement étend sa portée et s’insère dans des lieux divers. Il vise aujourd’hui à valoriser la richesse culturelle et musicale du département de la Seine-saint-Denis et donner à voir la diversité des cultures qui y coexistent comme un véritable atout. Par le partage et la diffusion, permis par la musique, le but est de réunir tout le monde (habitants issus des quartiers populaires, tout le public, les créateurs).
Et si la musique était vectrice de vivre ensemble ? Et si pour des villes plus inclusives, nous avions besoin d’elle ? Alors amenons de la musique dans nos vies, mais aussi dans nos villes, pour plus de bonheur partagé.