La semaine dernière se tenait la « Journée mondiale de l’eau ». Depuis 1992, l’Assemblée générale des Nations Unies a fixé le 22 mars en date « électro-choc » pour sensibiliser les consciences à la situation de l’alimentation en eau à travers le monde. L’eau, ressource indispensable à la vie, peut provoquer, par sa rareté ou sa trop grande abondance, des catastrophes sanitaires et économiques. Dans les pays sub-sahariens, la pénurie d’eau devient une préoccupation majeure. Pour soulager une population parcourant parfois plusieurs kilomètres avant d’atteindre un puit et revivifier une agriculture exsangue , certains chasseurs de gouttes se mettent à manipuler le climat.


 
En Ethiopie, un architecte italien, Arturo Vittori, a mis au point des pièges à eau capables de condenser la précieuse molécule contenue dans l’air ambiant. Ces « Warka Water Tower », équipées de filets, captent l’humidité de l’air, la rosée ou les gouttes de pluie qui ruissellent le long du cordage pour être récoltées dans une cuve à la base de la structure. En théorie, ce procédé permettrait de recueillir cinquante à cent litres d’eau par jour dans un pays où seuls 55 % des foyers ont accès à une eau de qualité. Plus incroyable encore, des techniques d’ensemencement des nuages ont été mises au point afin de provoquer des averses. Des aérosols de sels d’iodure d’argent ou de sodium fécondent le ciel des contrées asséchées et favorisent la condensation de la vapeur d’eau en liquide. A l’inverse, Venise, New York et Rotterdam – le point le plus bas de Hollande, dont le territoire est déjà sous le niveau de la mer – mènent un combat acharné contre l’invasion maritime en s’emmurant derrière des « brise-lame » défensifs. Vivre en bonne intelligence avec l’eau, voici le défi de notre siècle !
 
La relation qui se tisse entre la ville et l’eau est multiple. L’eau peut incarner à la fois un imaginaire collectif et onirique, focaliser la peur d’un élément insaisissable, ou offrir un paysage fluide propice aux plaisirs bucoliques et oisifs.
 
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Les Warka Water Tower de Arturo Vittori en Ethiopie

 

L’eau et les rêves


 
Nous sommes tous « bachelardiens ». « C’est près de l’eau que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur », voici comment commence l’essai philosophique L’eau et les rêves de Gaston Bachelard. Selon lui, tout univers onirique est avivé par cet élément fondamental, qui éveille nos rêveries matérielles avant nos émotions esthétiques. Les images de l’eau ont un miroitement, une instabilité et une fraîcheur que n’ont pas celles de la terre ou du feu. L’eau est une « substance mère », sa poétique change constamment de forme. Brumeuse, liquide, verglacée, pluie bruineuse, averse torrentielle, eau stagnante, eau vive, eau profonde, eau de surface… Ses états varient comme ses humeurs, mais quand elle dort, elle immobilise l’image du ciel, la renverse et transforme les étoiles en îles. L’eau, c’est indéniable, est céleste, insaisissable.
 
Le miroir d’eau du paysagiste Michel Corajoud à Bordeaux reflète cette fascination des êtres devant le spectacle des gouttelettes volatiles. Enveloppés dans un édredon de nuages, imperceptibles silhouettes tâtonnantes, ils font l’expérience du toucher, de la peau et du pied. Ils poussent l’air de leur corps, incapables d’évaluer leur distance aux choses, déstabilisés par cette auréole humide. L’aveuglement provoqué par la bruine réveille tous les autres sens des corps qui sculptent l’espace de leurs mouvements.
 
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Le miroir d’eau sur les quais de Bordeaux
© Jasmine Léonardon

 
Pas étonnant que cette œuvre, conçue en 2005, ait eu un succès retentissant et ait inspiré de nombreux autres projets de réaménagement de places publiques. Savoir révéler la poétique de l’eau, c’est amener la théurgie1 en ville et transformer chaque citadin en Gene Kelly dans « Chantons sous la pluie ».
 

L’eau ludique


 
Si l’eau a le pouvoir de nous plonger dans la songerie, en charriant avec elle les mythes et les fantasmagories populaires, elle nous offre également un cadre de vie étroitement lié à l’imaginaire de la villégiature. Introduire l’eau en ville revient ainsi à chasser l’image de la cité, inculte, hermétique et planifiée. Si l’air de la ville rend libre, la présence de l’eau rend euphorique…
 
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