Avec plus de 53 000 pubs recensés en Angleterre en 2018, contre 35 000 bistrots (en 2014 d’après l’INSEE) en France, avec pourtant une surface deux fois plus grande, le pub est une véritable institution chez les british. Ancrés sur l’ensemble du territoire, les pubs ont un rôle important dans les sociabilités des anglais depuis plus de 1000 ans. Ce modèle qui perdure nous pose question. Alors que nos modes de vie évoluent, et que le temps alloué à la détente diminue, qu’est-ce qui fait que cette institution soit toujours autant appréciée des anglo-saxons ? Et en France, y-a-t-il des lieux qui fédèrent autant les populations ? Comment pouvons-nous nous inspirer de ce modèle anglais pour réfléchir à des lieux de sociabilité mixtes ?

Le pub, le lieu ancestral de la sociabilité anglaise

L’histoire des pubs est intimement liée à celle de l’Angleterre. Sous l’empire romain, les premiers lieux de consommation d’alcool apparaissent sous le nom de tabernae. Au IXème siècle, alors que les vikings envahissent le territoire, les anglais découvrent leur boisson traditionnelle, la öl une boisson fortifiante à base d’orge. Appréciant le goût, ils se mettent alors à la fabriquer, et ouvrent alors des Ale houses, lieux où l’on déguste les ales (mauvaise traduction de öl et qui désigne de manière générique les bières de fermentation haute). C’est en 1393, sous le règne du roi de Richard II que les Ale houses sont renommées pubs (diminutif de public house), et qu’elles prennent leurs lettres de noblesses.

Avec l’accroissement spectaculaire du nombre de pubs (notamment clandestins) dans les rues du pays, le roi met alors en place une loi les obligeant à installer au dessus de la porte d’entrée un signe distinctif. Accrochés à l’entrée, une pièce de bois, un bâton ou une branche d’arbre, deviennent peu à peu de véritables œuvres car chacun cherche à se distinguer. Aujourd’hui, ces panneaux sont encore visibles à l’entrée des pubs, avec leurs noms inscrits dessus, et en font leur renommée.

Le “Ye Olde Fighting Cocks”, pub réputé comme le plus vieux pub d’Angleterre. (photo libre de droit)

Le “Ye Olde Fighting Cocks”, pub réputé comme le plus vieux pub d’Angleterre. (photo libre de droit)


L’apparition des pubs dans la littérature est également révélatrice de l’importance du pub dans la culture d’outre-manche. La plus ancienne publication remonte au XIème siècle, où le pub Old fighting cocks est cité. Les pubs apparaissent également dans de nombreux ouvrages, comme Les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer, qui représente un échantillon de la société anglaise du XIVème siècle regroupé dans un pub londonien, ou encore dans les oeuvres de William Shakespeare ou même Charles Dickens…

De nos jours, les pubs restent encore fortement appréciés des anglais. Réputés comme “de gros buveurs de bière”, avec 100L consommés en moyenne par année (dont 80 % dans un pub), ils s’y retrouvent pour y déguster de nombreux types de bières et cidres locaux (lager, ale, bitter, stout…). Traditionnellement, on s’y rend après le travail de 17h à 19h pour boire, jouer aux fléchettes et au billard, et bavarder avec tous types de personnes. Même si initialement on y proposait que de l’alcool, les pubs servent désormais une cuisine simple et robuste dans une ambiance chaleureuse et familiale, souvent animée.

Les pubs, comme beaucoup de lieux de consommation d’alcool, sont longtemps restés des lieux où la fréquentation féminine n’était pas désirée. De nombreux tenanciers de pubs refusaient de servir des bières aux femmes, qu’ils jugeaient être des boissons réservées aux hommes, bien que traditionnellement ce soit les femmes qui étaient chargées de leur fabrication. Dans les années 1970, plusieurs actions sont menées dans le but de faire évoluer cette situation En Irlande, les membres de l’Irishwomen United (mouvement féministe irlandais) mettent en place des stratagèmes obligeant les patrons à leur servir des pintes de bières : en arrivant en grand nombre dans les pubs, elles commandent chacune une boisson et refusent de la payer tant que le patron ne veut pas leur servir une pinte de bière. Les pubs les plus sexistes sont également répertoriés et boycottés. Aujourd’hui, grâce au combat de certaines, les femmes ont pleinement leur place au sein de ces institutions.

Un modèle qui tend à se ré-inventer

Pourtant, le pub est en voie de disparition. Depuis une quinzaine d’années, le nombre d’entre eux mettant la clé sous la porte a fortement augmenté. À Londres, en 2016 on  dénombrait 3 615 pubs, alors qu’ils étaient 4 835 dix ans auparavant. Qu’est-ce qui explique donc que les pubs n’arrivent plus à autant attirer les foules ? Les anglais changent tout simplement de façon de vivre. Premièrement, ils boivent moins : en 2003, un adulte consommait en moyenne 218 pintes de bières par an, alors qu’en 2011, il n’en buvait plus que 152, soit un tiers de moins. Cette baisse peut s’expliquer par l’augmentation des préoccupations pour la santé, mais également du vieillissement global de la population. La législation anglaise a également un rôle dans la désertification des pubs : avec d’abord la loi antitabac de 2006 interdisant de fumer dans les lieux publics, mais aussi le renforcement des lois sur la conduite en état d’ébriété qui ont fortement impacté la fréquentation des établissements servant de l’alcool, et enfin l’augmentation des prix des boissons, pour lutter contre une concurrence de plus en plus forte, qui a éloigné les populations les plus précaires de ces lieux.

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