En tant qu’acteur de la fabrique urbaine vous mettez à contribution votre expertise pour participer au mouvement de la révolution verte de nos villes, comment agissez-vous ?
Chez Merci Raymond, nous menons des actions de nature en ville pour tenter de (re)connecter les citadins à cette dernière, la nature. Pour ce faire, notre large expertise nous permet de diversifier nos champs d’action et de développer différents leviers d’application. Nous traitons par exemple le design végétal, c’est-à-dire tout ce qui touche aux espaces verts d’intérieur pour les utiliser à des fins de bien-être. Nous avons évidemment des corps de métiers liés au paysage pour penser l’aménagement des espaces extérieurs et pour réfléchir à la nature et ses valeurs d’usages, notamment avec les îlots de fraîcheur, la biodiversité ou même les paysages comestibles. Puis nous avons des professions rattachées à l’agriculture urbaine.
Aujourd’hui ce terme est galvaudé et souvent utilisé à un sens trop large, alors que chez Merci Raymond nous le comprenons et l’abordons selon deux missions. Une première d’abord à but de transmission et de pédagogie pour se reconnecter à son alimentation et comprendre la culture des fruits et légumes : comment poussent-ils, comment les cultiver, comment fonctionnent les saisons… autant de questions qui peuvent aider à assimiler le fonctionnement général du cycle alimentaire agricole. Enfin, la seconde mission concerne davantage l’exploitation et la production de l’agriculture urbaine avec des réflexions autour de sa mise en application en ville. Il faut notamment réussir à jouer avec les contraintes urbaines, comme le foncier qui se fait rare et les sols pollués, pour réussir à pratiquer cette culture en pleine ville.
Comment peut-on alors réussir à faire émerger de terre une telle structure ?
Il y a un gros travail à faire en amont sur tout ce qui est conception et stratégie urbaine. L’enjeu est donc de réfléchir avec (et pour) le territoire et de connaître le contexte du quartier ou de la ville pour savoir comment insuffler l’agriculture urbaine à l’échelle macro. Par la suite, nos ingénieurs agronomes et maraîchers vont travailler en collaboration avec les conducteurs de travaux et chefs de chantier, sur toute la partie installation et réalisation de la ferme pour l’adapter à son contexte environnemental. Chez Merci Raymond, nous ne réalisons que des fermes urbaines de pleine terre pour contribuer à la déperméabilisation des sols. Nous ne pratiquons donc pas l’aquaponie, l’hydroponie ou encore la bioponie. Ce ne sont pas des modèles très urbains : “pourquoi faire quelque chose en ville que tu peux faire à seulement une heure de là pour un prix de foncier plus réduit ?”. L’enjeu est vraiment de pouvoir “faire” de la nature en ville tout en répondant aux besoins de cette ville. Il faut donc que cela fonctionne en écosystème local : “faire” de la nature en ville pour ses nombreux bienfaits parce qu’on le doit, mais aussi parce que cela fait sens et qu’il est possible de le faire.
L’Antenne Paris et récolte du houblon à Charonne ©Merci Raymond
Lorsque cela est possible, l’agriculture se fait de façon horizontale, c’est-à-dire directement en pleine terre le long du sol, mais lorsque le foncier est de faible emprise, l’agriculture se fait à la verticale. Dans ce cas là, nous cultivons essentiellement des plantes grimpantes, comme le houblon par exemple. Dernièrement dans le cadre de l’appel à projets Parisculteurs “Houblon”, nous avons par exemple créé, en partenariat avec la brasserie Fauve Craft Bière, une bière 100% locale du 11ème arrondissement de Paris : “La Petite Charonne”. Les plantes sont cultivées sur le mur du gymnase et de la piscine Georges Rigal et nous permettent, après récolte, de produire plus de 500 litres de bière par an. C’est là un exemple concret de ce que peut nous offrir la nature, grâce à l’agriculture urbaine.
En plus d’être concepteur et constructeur, vous êtes également exploitant de ces fermes urbaines ? Que se passe-t-il une fois la récolte terminée ?
Nous faisons effectivement à la fois de la conception et de la réalisation, mais aussi de l’exploitation pour faire vivre ces fermes. Pour citer un cas très concret, nous avons lancé cette année une ferme urbaine à Chatenay-Malabry dans le quartier d’Eiffage : “Chez Volterre”. Avec sa grande superficie d’un hectare, nous avons pu nous permettre d’y installer un bâti de 400 m2 pour créer un réel lieu de vie, comme un “tiers-lieu nourricier” puisqu’une ferme urbaine va au-delà de la production de fruits et de légumes, elle est aussi vecteur de liens sociaux. Ici, nous avons choisi de l’exploiter avec un système de permaculture pour nous initier à cette pratique, ce sera une première pour nous ! Ce projet est un vrai challenge, déjà par ce système d’exploitation, mais aussi par son envergure et sa proximité avec la ville (à 20min du centre de Paris) qui demandent une vraie logistique. À l’avenir, si le projet est un succès, nous aimerions le dupliquer et le lancer dans d’autres villes à proximité.
Atelier Green Borne © Merci Raymond
L’exploitation c’est aussi l’occasion de transmettre des connaissances. Avec des animateurs jardiniers nous sensibilisons à la pratique de l’agriculture urbaine, vraiment dans un but de pédagogie. Cela fonctionne sous formes d’ateliers et d’événements participatifs qui sont à destination d’un large public : enfants, personnes âgées, écoles, salariés, habitants d’un quartier… Nous travaillons beaucoup dans les “cités”, comme dans le quartier de la Grande Borne à Grigny, dans un but surtout social pour (re)créer du mieux vivre à travers l’agriculture urbaine.
Une fois la récolte terminée, les produits sont vendus et transformés sur place : de la graine à l’assiette. En fait, en ville, vendre les produits au kilo n’est pas aussi rentable que de les vendre transformés, il vaut donc mieux les valoriser. Tout comme ce qui se fait à New York dans la ferme de Brooklyn Grange où il est possible de manger “la tomate de Brooklyn”, nous créons une expérience autour de l’exploitation agricole en vendant directement les produits locaux. C’est là encore, un des nombreux bénéfices de l’agriculture urbaine, nous renforçons l’identité locale du territoire grâce à sa production.
Finalement, comment l’agriculture urbaine contribue-t-elle à lutter contre le dérèglement climatique ?
Premièrement, cela permet de lutter contre l’artificialisation des sols : en exploitant en pleine terre nous préservons la qualité des sols pour l’exploiter de façon responsable. Avec les végétaux et des sols perméables, mais aussi avec possiblement des réserves d’eau, l’agriculture urbaine crée des îlots de fraîcheur permettant de lutter contre la chaleur de plus en plus insoutenable en ville. La biodiversité est également étendue et élargie ce qui contribue à la stabilité et à l’adaptabilité de l’écosystème à faire face aux modifications des conditions environnementales.
Dans un même temps, grâce à la pédagogie, les citadins et citadines sont de plus en plus sensibles aux questions environnementales et savent quels gestes et pratiques adopter pour agir, à leur échelle, contre les problèmes environnementaux actuels. Par exemple, en ayant intériorisé les cycles saisonniers de certains fruits et légumes, les citadins pourront se limiter à n’acheter que des produits de saison et ainsi participer, d’une certaine manière, à réduire les importations.
Photo de couverture : ©Merci Raymond