Aux côtés de Salvador Dalí, de Joan Miró, de Joan Maragall ou d’autres enfants du pays, l’art local recense bon nombre de génies, de la peinture à la littérature, mais également de l’architecture à l’art urbain de manière générale. En ce sens, les villes de Catalogne (Barcelone en tête) ont profité de leur besoin d’extension au XIXè siècle pour mettre en œuvre une série d’innovations architecturales et urbaines qui ont marqué leur époque, et qui continuent aujourd’hui à fasciner les foules.

Promouvoir l’identité catalane par l’extension urbaine

Et si une période historique a été plus influente qu’une autre dans la culture catalane, il ne serait pas aberrant de penser à celle qui suivit l’ère de la révolution industrielle. Déjà, la Catalogne et Barcelone avaient une soif de reconnaissance identitaire à l’échelle européenne. Contrairement à Madrid, Barcelone était la capitale espagnole de l’ouverture sur l’Europe et de l’innovation. Elle était aussi le berceau d’une montée en puissance de la revendication catalaniste, d’abord pour sa langue (qui est encore la seconde langue officielle de la région, après l’occitan), puis pour ses idées apportant un souffle nouveau sur l’art local, et européen.

Depuis les années 1850 et pendant près d’un siècle, l’extension urbaine de Barcelone imaginée et dessinée par Ildefons Cerdà (lui-même catalan et appartenant au mouvement hygiéniste) était une innovation en soi : elle intégrait déjà une démarche de recherche d’une certaine qualité de vie, et d’une certaine qualité d’usage de la ville, à la fois en termes sanitaires et en termes urbains.

En effet, le plan de Cerdà avait vocation à bâtir une ville « intégrale », dans la mesure où chaque élément urbain doit être réfléchi dans un système complet, comme un engrenage dans lequel chaque pièce actionne un mécanisme durable : de la voirie publique aux espaces privés d’habitation, l’ambition est en fin de comptes d’offrir aux citadins le plaisir de vivre une vi(ll)e heureuse et féconde.

Plan de Cerdà proposé en 1860 lors du concours de l’extension urbaine de Barcelone

Etat actuel du quartier de l’Eixample, qui intégrait le plan de Cerdà

Si la construction très géométrique de la ville vue par Cerdà est donc le support d’une architecture tournée vers l’avenir, il s’agit surtout d’un laboratoire à ciel ouvert pour mettre à l’épreuve la créativité des architectes et des urbanistes, une bonne raison pour révéler aux yeux de l’Europe (du monde ?) le caractère ambitieux d’un peuple alors à la recherche d’une reconnaissance artistique et culturelle, premier pas vers aujourd’hui une éventuelle autonomie complète.

Et l’Exposition universelle de 1888 à Barcelone tombe à pic pour aborder une nouvelle ère culturelle pour l’essor d’un art à la sauce catalane…

L’architecture moderniste comme reflet de l’art catalan (et vice-versa)

À la fin du XIXè siècle, plus précisément dans la continuité de la « Renaixença » (courant culturel d’émancipation de la langue catalane notamment), le courant moderniste est le symbole d’une pensée bourgeoise et urbaine, fier représentant de la richesse culturelle de la Catalogne. On entrevoit dans ce mouvement un désir non seulement d’innovation, mais surtout de transgression des normes qui régissaient alors le monde artistique.

En ce qui concerne l’architecture, l’un des principaux représentants du mouvement est Antoni Gaudí, qui a durablement marqué les rues barcelonaises par ses œuvres audacieuses, dont 7 sont désormais inscrites au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. La principale caractéristique de l’architecture de Gaudí est la recherche de formes nouvelles, plus proches de la nature et plus « intuitives » de manière à véhiculer un regard plus sain et plus humain sur la cité ainsi qu’une idée de modernité à l’échelle européenne. C’est d’ailleurs par cette approche novatrice que le modernisme catalan se différencie des courants européens qui lui sont contemporains. La qualité et l’audace architecturales permettent donc largement de distinguer le modernisme catalan comme étant un courant autonome, symbole du bouillonnement spirituel d’un peuple qui ne cesse de revendiquer sa singularité.

La Casa Batlló, oeuvre de Gaudí

Mais l’identité culturelle de la Catalogne ne s’arrête pas à l’apparition d’une architecture innovante et localisée. Cette force de caractère est en effet appuyée par l’apparition d’artistes mondialement reconnus, dont l’excentrique Salvador Dalí. « Excentrique », voilà justement un terme qui peut qualifier l’architecture moderniste, soutenue par le peintre à la célèbre moustache. On retrouve d’ailleurs dans les toiles surréalistes de Dalí les volumes surprenants d’un espace-temps extravagant, et dont l’ampleur et l’impact dans le monde artistique sont encore source d’admiration.

La Persistance de la Mémoire, Dali

La richesse décorative et colorimétrique des volumes architecturaux du courant moderniste est également retrouvée dans les œuvres picturales de Joan Miró, notamment dans l’importance accordée aux détails, la finesse des textures, et les jeux de couleurs qui illustrent un caractère chaleureux et ambitieux… Il serait inopportun de citer ici tous les artistes dont les œuvres appuient le courant catalan de l’époque. Chacun d’eux, à sa manière, renforce dans son domaine d’activité le ressenti (et certainement la présence) d’un noyau fort, qui unit le peuple catalan autour d’une culture qui lui est propre, et qui est souvent un argument des indépendantistes catalans..

Parc Güell à Barcelone, par Gaudí

Le Carnaval d’Arlequin, Miró

Si le courant moderniste s’est essoufflé petit à petit jusque dans les années 1920, il reste aujourd’hui le symbole d’une culture émancipée et audacieuse, et ainsi le vecteur d’une certaine attractivité du territoire catalan. Reste à savoir si la région parviendra à porter encore sa singularité certaine au-delà des arts et au-delà du temps…