Entre insalubrité et pénurie, l’incertitude plane sur l’avenir du logement en France



Plusieurs phénomènes actuels prennent de l’ampleur en France et explique une situation complexe pour l’accès au logement. D’abord, entre 2016 et 2017, la population a augmenté de +0,4% en France d’après l’INSEE. Par ailleurs, le World Economic Forum indique aussi que la taille des ménages vivants dans un même logement a diminué de 3,1 personnes en 1968 à 2,3 en 2011 révélant ainsi un fort besoin d’appartements de plus petite taille. Une demande qui augmente donc mais aussi qui change de forme avec davantage de ménages célibataires ou de familles monoparentales.



D’autre part, le Secours Catholique compte 3,5 millions de personnes mal-logées en France. Un fléau toujours plus présent qu’on nomme mal logement. Il peut faire référence à l’absence de domicile personnel, des mauvaises conditions d’habitat, des difficultés pour accéder à un logement, de s’y maintenir, ou même les différents blocages de la mobilité résidentielle. L’actualité récente des trois immeubles effondrés dans un quartier de Marseille met en lumière l’état des parcs de logement dégradé de certaines villes. En effet, d’après un article des Echos, 40 000 logements présentent un risque pour la santé ou la sécurité des habitants. Un fait inquiétant puisque comme le fait remarquer un rapport du “Housing Charity Shelter” à Londres, les conditions de logement insalubre entraînent un risque élevé de problèmes de santé tels que les méningites ou l’asthme, tout comme un risque accru d’invalidité et une réduction des chances d’accès à un bon emploi. Ces dangers sont plus significatifs chez les enfants qui grandissent, entraînant le cercle vicieux de la pauvreté.



Et à ce triste constat s’ajoute une évolution à la hausse du nombre de sans domicile fixe avec une augmentation de près de 50% en 11 ans en France. Bien qu’aucune statistique sur l’évolution du nombre de SDF n’a été mise à jour par l’INSEE depuis 2012, cette problématique ne semble pas se résoudre dans nos villes.



Alors quel bilan ? De la hausse de la demande de logements à l’augmentation du nombre de sans domicile fixe, en passant par tout un parc immobilier d’appartements insalubres et la diminution des constructions d’habitations, l’état des lieux français n’est guère réjouissant. Toutefois, le logement change et n’est plus une simple construction physique permettant d’abriter des foyers. Vue comme un véritable lieu de vie, il se pourrait que les habitants dictent désormais les nouvelles tendances. Alors, quels espoirs en France et dans le monde pour les nouvelles formes d’habiter ?



De nouvelles formes d’habitats comme réponse à la crise du logement ?



Pour répondre à ce besoin qui touche tout urbain, les acteurs de la ville ne cessent d’innover et de proposer de nouvelles réponses. Parmi elles, des solutions pour densifier les villes. Ainsi, des appartements-ruches atteignant tout juste les 3m² ont été imaginés récemment par une start-up à Barcelone pour faire face à la spéculation immobilière et à la gentrification. En comparaison des 1000 euros mensuel dans le parc locatif actuel, ces alvéoles à seulement 150 euros rendent la ville bien plus accessible pour les étudiants ou les travailleurs précaires. Pourtant, derrière son nom marketing et ses photos cosy, cette nouvelle offre s’apparente aux fameux “couffins” ou “maisons-cages” de Hong-Kong, maintes fois critiqués pour l’insalubrité et l’indignité de leurs espaces. Une tendance qui se reflète autrement aux Etats-Unis, où les tiny house ont la cote auprès des millenials, poussés par l’envie de rester près des centres urbains denses.



Appartements-ruche à Barcelone © Ouest France



Pour garder une certaine qualité de vie et bénéficier d’un grand logement, certains préfèrent opter pour le modèle de la colocation. Des offres diverses s’amplifient comme le modèle traditionnel de la colocation qui se perpétue souvent chez les adultes. Il existe aussi de nouvelles plateformes qui proposent de louer une chambre dans un espace communautaire comme c’est le cas du PureHouse Lab. À la manière du co-working, ces espaces font la promotion de la vie de groupe et du partage des espaces communs (“co-living”) dans une société de plus en plus individualisée. En France, le HackerHouse propose une colocation pour les entrepreneurs qui a l’avantage d’optimiser et rentabiliser lieu de travail et lieu de vie, empêchant aussi à des locaux d’entreprises de se vider la nuit.



Photo d’une chambre chez Hacker House, Aubervilliers © Hacker House



La tendance est donc à un rétrécissement de l’espace privé et à une vie collective renforcée permettant une ville plus dense et plus abordable. Mais, s’agit-il d’un rapprochement des uns avec les autres ou de la perte d’un refuge et de l’intimité de l’individu ? Ces nouvelles formes pour se loger sont-elles l’avenir du logement ?



En réponse à un système dépassé par l’évolution des modes de vie, l’habitat modulable



Une contradiction fait s’affronter d’une part le développement d’une offre de logements collectifs, et d’autre part, la diminution de la sphère privée avec l’épanouissement personnel et l’individualisation des modes de vie. D’après la psychologue et sociologue Monique Eleb, spécialiste sur les questions de l’habitat, la forme des logements doit-être adaptée aux populations et aux modes de vie. L’une des raisons de cette demande pour de nouvelles formes d’habitat est d’abord démographique : l’espérance de vie de la population augmente et le temps de la retraite aussi, ce qui contribue à une occupation plus longue dans le temps des logements et à un lent renouvellement de l’offre du parc immobilier. De même, la longévité de la vie entraîne une diversification des étapes de vie diversifiant ainsi la demande. Par exemple, entre l’enfance et l’âge adulte, la jeunesse peinent parfois à se loger en raison de difficultés financières et l’instabilité de leurs relations et de leur travail.



Les formes de cohabitation se diversifient sous l’effet de l’importance accordée à l’épanouissement personnel (famille monoparentale ou recomposée, célibat, cohabitation avec ses pairs) et ne se concentrent plus sur le modèle traditionnel familial. Toutefois, depuis la seconde guerre mondiale, c’est ce modèle traditionnel qui a été pris en compte dans la construction de logements. Aujourd’hui, celle-ci doit donc appréhender une forte progression en demandes nouvelles que les logements existants ne peuvent pas encore offrir.



Une réponse pourrait être l’habitat modulable qui grandit ou diminue en fonction de la demande ou des évènements de la vie qui bouscule un ménage. C’est ce que propose Owwi, un projet de logements ajustable. Grâce à leurs cloisons, le logement peut s’adapter à une famille qui s’agrandit ou se réduit. Le concept s’adresse plutôt à des ménages ayant des moyens. Toutefois, c’est une idée dont s’inspire de plus en plus de promoteurs immobiliers ou bailleurs sociaux pour mettre à jour l’agencement de leurs logements et actualiser leur offre.



Photo d’une pièce de 32m² séparée en deux par owwi © owwi



Les financements, le remède à la production suffisante de logements de qualité, diversifiés, et bon marché ?



“L’argent, le nerf de la guerre”, dit-on. Les finlandais le voit plutôt comme un investissement à long terme. Ainsi, le seul pays à connaître une diminution du nombre de ses sans-abris depuis 11 ans est la Finlande. De 2008 à 2016, le pays scandinave est passé de plus de 3 500 SDF à environ 2000 SDF. À Helsinki, la tendance est à la stagnation, un des meilleures scores, si on compare à la France ou à l’Allemagne dont le nombre a considérablement augmenté. Alors, comment les finlandais font-ils pour obtenir de tels résultats ?



Contrairement à ses voisins, le système de réinsertion finlandais commence par le logement tout en proposant des services adaptés à l’individu. Avant cela, le logement venait en bout de course, ce qui constituait un vrai parcours du combattant, imposant aux sans abris de régler d’abord leurs problèmes (alcoolisme, addiction, problèmes psychiques). C’est tout un schéma national avec des financements adaptés qui a été mis en place. Pour cela, le pays s’est servi dans son parc de logements sociaux mais a également acheté des habitations dans le marché privé et en a construit de nouveaux. Aujourd’hui, le système rapporte près de 9 600 euros d’économies par an par personne comparé à une personne sans-abris. Un investissement sur le long terme qui porte donc ses fruits et qui met en exergue l’incohérence du maintien des personnes dans des situations de mal logement avec, notamment, l’entretien des infrastructures d’urgence (foyers, hôtels temporaires) pour les sans-abris.



En ce qui concerne le traitement de l’habitat insalubre, des mesures plus globales sont mises en place, mais mériteraient d’être renforcées. Parmi elles, le recours aux procédures de déclaration d’utilité publique (DUP) qui permet à la ville un suivi de l’état de ses bâtiments et de rénover son bâti, en forçant les propriétaires à rénover leurs habitations. Dans le cas de refus, les municipalités peuvent ainsi user de leur droit d’expropriation lorsque cela leur semble nécessaire.




Malgré la diversité et la complexité des enjeux du logement, de nombreuses solutions se limitent à proposer des propositions quantitatives en réponse au manque d’habitations abordables. Le rétrécissement de l’habitat et de la sphère privée répondent ainsi à la spéculation immobilière qui tend le marché du logement des très grandes villes. Mais dans un contexte de démographie qui continue de s’accroître, ces solutions restent limitées dans le temps. Sans oublier l’habitat indigne, insalubre et précaire. Il faut donc revoir les défis du logement dans leur globalité.
Pour cela, certains outils d’urbanisme et l’investissement dans des programmes territoriaux plus larges permettent de donner une meilleure direction aux mesures à prendre dans le cadre d’une offre de logement suffisante et de qualité. Cependant, les moyens d’actions restent limités, souvent faute de financements. Alors que la loi ELAN recherche à réguler quelques dysfonctionnement en limitant les plateformes tel que Airbnb, ne serait-il pas intéressant aussi de donner un rôle au marché privé dans la mutation de son parc de logements, pour notamment ne pas asphyxier les comptes publics ? Une solution à envisager tout en préservant ces quartiers d’un phénomène de gentrification qui pourrait augmenter les loyers et avoir ainsi un effet tout aussi néfaste.



Photo de couverture: Barcelone, Espagne, via unsplash