Organisés tous les quatre ans, les Jeux olympiques d’été sont certainement la compétition sportive la plus populaire du monde. Et à chaque olympiade, c’est vers une nouvelle ville hôte que se tournent les yeux du monde entier pour quelques semaines. Cependant, si l’organisation des Jeux est un honneur à même de faire la réputation internationale d’une ville, la fabrique des emblématiques installations olympiques constitue bien souvent un processus heurté. Alors entre construction et héritage, quels sont les impacts de l’urbanisme olympique sur nos villes ?
Genèse des Jeux : la promotion du sport dans la ville
Fondés en Grèce antique il y a plus de 2 800 ans, les premiers Jeux olympiques (JO) célébraient les dieux mythologiques par la pratique du sport et des arts. Interdits en 393 après J-C par l’Empereur romain Théodose pour des motifs religieux, les jeux sont rétablis à l’initiative du français Pierre de Coubertin, fervent défenseur de l’éducation physique et sportive républicaine, qui parvient à réunir à Paris en 1894 un congrès de 78 représentants importants du sport en France et à l’international. À l’issue de ce congrès, les JO sont rénovés et le Comité International Olympique (CIO), l’autorité organisatrice des JO modernes, est fondé sur la base de la Charte olympique.
Les principes majeurs qui guident l’organisation des Jeux sont encore aujourd’hui la promotion du sport, l’éducation des jeunes et la diffusion à l’international des valeurs de paix et de partage. Au fur et à mesure des olympiades, les valeurs des JO se sont néanmoins étoffées. La progressive reconnaissance de la place des personnes racisées et des femmes dans les compétitions, puis la création en 1960 des premiers Jeux Paralympiques, s’est notamment accompagnée d’une affirmation croissante des principes d’inclusivité, d’égalité et de lutte contre les discriminations. La pratique sportive est ainsi érigée en enjeu de société.
Et si les Jeux sont organisés dans une ville nouvelle tous les quatre ans, c’est bien dans le but de démocratiser la pratique du sport à l’international et d’encourager les villes hôtes et candidates à développer une offre variée et inclusive sur leur territoire, pour les athlètes nationaux, mais aussi pour tous les habitants. Les jeux tendent ainsi à nourrir les valeurs sportives des villes, mais les villes nourrissent elles aussi les JO. La récente inscription du BMX Freestyle ou le Skateboard, des disciplines éminemment urbaines, à la liste des sports représentés aux JO en témoignent notamment. La candidature d’une ville aux JO s’accompagne donc généralement d’un développement important de l’offre sportive dans la ville.
Candidature, médiatisation, tourisme : des stratégies olympiques territorialisées
Mais plus que le sport, les JO constituent aussi et surtout un faire-valoir des atouts culturels, artistiques, patrimoniaux, paysagers et associatifs des villes hôtes. En effet, les JO, intégrant aujourd’hui 206 Comités Nationaux Olympiques (CNO), soit autant de nations représentées par les athlètes, de médias nationaux et de populations suivant les olympiades, constituent un méga événement à même d’exporter une image de la ville à l’étranger, de forger sa réputation internationale et de développer un attrait touristique durable pour le territoire.
Aussi, félicitées par les organisations mondiales, médiatisées à l’international et inondées par les athlètes et les touristes, les villes hôtes ont tout intérêt à organiser les Jeux autour de la culture locale et ainsi exporter une image séduisante du territoire telle une marque. Pour ce faire, elles mettent généralement en place des stratégies olympiques territorialisées, allant de la concertation habitante, en vue d’apaiser les populations citadines qui subissent les travaux dans les quartiers alentours du village olympique, à l’organisation d’événements culturels symboliques dans les lieux emblématiques de la ville. Les événements de street marketing, la cérémonie d’ouverture et le tournage de reportages urbains sont des moyens généralement privilégiés par les villes hôtes pour concilier les attentes du global, avec en tête, celles du CIO et des sponsors, et celles du local.
Il s’agit donc là d’un exercice de marketing territorial sans pareille mesure, qui peut autant favoriser la reconnaissance internationale d’une ville (depuis 1992, Barcelone est toujours portée en exemple de ville hospitalière et où il fait bon vivre) qu’acter pour quelques années une défiance mondiale (Rio de Janeiro subit depuis 2016 sa mauvaise réputation de ville hôte). Et si le but étant majoritairement de fixer l’attention des médias internationaux sur certains aspects du territoire et moins sur d’autres, le village olympique est certainement l’emblème des JO le plus attendu à l’international chaque année et le plus conflictuel à édifier à l’échelon local.
L’héritage des villages olympiques
En 1924, les JO de Paris sont les premiers à construire un “Village olympique”, une tradition qui sera reprise à chaque édition depuis. Mais si aux débuts les athlètes et leurs équipes étaient ravis de ne plus payer les frais d’hôtel et découvrir des installations spécialement conçues pour eux, toujours plus vite, plus hautes, plus fortes, quelques scandales relatifs à la piètre hospitalité des logements, aux moyens de leur financement ou de leur construction, et à leur héritage, à amener le CIO à réglementer la construction des villages olympiques.
Village olympique Paris, 1924
En 2003, la notion d’héritage fait son apparition dans la Charte olympique. Ce nouveau précepte concrétise une réflexion amorcée dès les années 1990 avec les Jeux de Barcelone en 1992 portée d’exemple. Il devient impératif de concevoir les JO, non plus uniquement comme événement sportif à la visibilité ponctuelle, mais aussi comme un moyen de réaménagement urbain. Les villages olympiques plus particulièrement doivent désormais être construits avec l’ambition d’impacter positivement le territoire dans lequel ils prennent place.
Aussi le CIO, dans sa sélection des candidatures, apprécie désormais les projets olympiques dans une perspective temporelle longue et autant en termes de démocratisation sportive et culturelle que de développement urbanistique, écologique, économique et social. Les performances environnementales tout particulièrement sont de plus en plus mises à l’honneur dans les JO.
Et pour Paris 2024 ?
C’est dans cette démarche que tend à s’inscrire le projet du village olympique et paralympique de Paris 2024, actuellement en cours de construction. En effet, au-delà de son ambition d’accueillir les athlètes le temps d’un été, le village de 51 hectares à cheval sur trois communes, Saint-Ouen, Saint-Denis et l’Île-Saint-Denis, tend à évoluer à la rentrée 2024 pour finalement devenir un véritable morceau de ville, pleinement intégré et agréable à vivre aux habitants de Seine-Saint-Denis.
S’il a donc été pensé avec les athlètes, dans le cadre d’une concertation internationale, le village olympique tend à avoir deux vies. Dans la première, il accueillera 14 250 athlètes olympiques et leur staff, puis 9 000 athlètes paralympiques et leur staff durant l’été 2024. En novembre 2024, une fois les Jeux terminés, les aménageurs lanceront le réaménagement des bâtiments qui devrait durer 4 à 6 mois. Le quartier sera à terme constitué de 2 200 logements familiaux, 9 000 logements individuels, 120 000 m2 de bureaux, 3 200 m2 de commerces, un parc aménagé de 3 hectares, 7 hectares d’espaces verts et un gymnase réhabilité.
Les denses lots d’immeubles allant jusqu’à 10 étages ont été conçus pour être rapidement remaniés à l’issue des Jeux. Dans les logements des athlètes, les cloisons sont démontables et un circuit de récupération dans le cadre du Grand Paris, dans lequel le village est intégré, a déjà été mis en place, notamment pour le matériel d’ascenseur, car le village olympique nécessite bien plus d’ascenseurs que des habitations et bureaux classiques.
Maquette du village olympique Paris 2024. Crédit maquettesarchimade.fr
L’émergence d’un urbanisme olympique en France
En France, la reconnaissance du concept d’héritage et les impératifs temporels et budgétaires, dès la candidature de la ville de Paris, se sont traduits par la mise en place de ce que les promoteurs, juristes et urbanistes, appellent maintenant “l’urbanisme olympique”. Régi par des règles urbanistiques et environnementales classiques mais aussi dérogatoires, il émerge comme un nouveau modèle d’urbanisme à double vitesse. C’est la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solidéo), établissement public créé en 2017, qui a la charge de veiller à la construction du village olympique durable tandis que les ouvrages temporaires tout comme l’événementiel relève de la responsabilité du Comité des Jeux olympiques et paralympiques (COJO).
Parmi les nombreuses spécificités de l’urbanisme olympique, on note notamment le raccourcissement des procédures pour tenir les délais, la création d’un permis dit “à double état” qui doit permettre à l’administration d’analyser le projet du village olympique et le projet post-JO, et des processus participatifs allégés. Si ces règles dérogatoires au droit commun permettent la construction de projets urbains importants en des temps records, elles favorisent cependant une fabrique technocratique et potentiellement traumatique de la ville. La mobilisation en avril contre la destruction des jardins ouvriers d’Aubervilliers, site du futur centre aquatique était venue étoffer la critique d’un urbanisme encore “tape à l’œil”, “à contre sens de l’histoire” et qui risquerait de devenir applicable à d’autres événements.
Conclusions
Finalement, au-delà du temps cours des olympiades, les enjeux globaux et locaux des JO tendent à impacter durablement la ville hôte. La promotion du sport et des valeurs associées s’accompagne généralement d’un développement de l’offre sportive sur le territoire. En outre, si les stratégies territoriales engagées par la ville hôte réussissent, les JO représentent un tremplin important pour le développement touristique, économique et urbain de la ville dans les années suivantes. Le village olympique, emblème urbain des Jeux, participe grandement à la construction de la réputation internationale de la ville hôte. Dans ces conditions, des moyens exceptionnels sont mis à la disposition des aménageurs, pour créer des morceaux de ville dans des temps records, mais aussi garantir leur intégration durable au-delà des JO.
Cependant, si la fabrique des villages olympiques est aujourd’hui renouvelée par les enjeux d’héritage et d’écologie, elle reste encore pour les habitants un processus de transformation rapide de leur environnement urbain, potentiellement traumatique. À ce titre, on peut questionner pour les prochaines années le ressenti des habitants de Saint-Ouen, Saint-Denis et Ile-Saint-Denis à qui on promet des infrastructures neuves : dans quelle mesure en disposent-ils vraiment ? Sachant qu’on sait déjà que les retombées réputationnelles des Jeux iront à Paris, ville, et certainement pas à ceux qu’on appelle trop souvent parisiens sans qu’ils bénéficient localement des aménités de la capitale.
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