L’art n’est jamais figé, il naît, il vit, il grandit aussi !

Parmi les pensées de l’auteur de La Gloire de l’Empire (grand prix du roman de l’Académie française en 1971), celles concernant les rapports à l’esthétisme et à la beauté dans la ville retiendront ici notre attention. Dans le numéro du 31 Janvier 1977 du Figaro, dont Jean d’Ormesson était par ailleurs le directeur général dans les années 70, il y écrit un éloge pour le moins improbable en faveur du musée Georges Pompidou de Paris, alors tout juste inauguré.

Ce dernier essuie une critique particulièrement vive au sein de la population parisienne, habituée à une élégance presque réglementaire véhiculée par Versailles, par la Place Vendôme, par les œuvres de David, de Michel-Ange, bref par un art devenu quasi officiel. En effet, comment pouvoir accepter en plein centre de Paris l’érection inopinée d’un bâtiment culturel et artistique qui se dévoile « les tripes à l’air » ? Mais ce bourgeonnement acnéique n’est selon Jean d’Ormesson que ce que l’on pourrait considérer comme la maturation (ou l’adolescence, pour continuer la métaphore humaine) de notre vision de l’art au sein même de nos espaces quotidiens, au sein même de nos villes.

Quand l’art devient parure de nos villes

« L’art est une rupture. Il est certains que l’artiste, le poète, le philosophe, ne sont pas chez eux dans la société, il n’y sont pas à l’aise. Mais faut-il tendre vers une réconciliation entre art et société ? Je pense qu’une société où l’art serait à l’aise, mon Dieu, ça serait peut-être pire ! » disait le philosophe en 1970. En ce sens il estime que l’apparition publique d’un bâtiment repoussant ne devrait pas être répudiée, dans la mesure où il ne s’agit en réalité que du reflet de notre conscience artistique. « Paquebot de l’avenir », comme il disait, le centre Pompidou doit plutôt être une aventure vers notre amour de l’époque qui se profile et vers l’avenir de la société. Aimer le passé, aimer l’art banalisé sans accepter la rupture Art / Société (qui est par ailleurs la nature de l’Art) signifierait de rester bloqué dans un monde où le domaine artistique y est cloisonné dans des parois institutionnalisées.

D’ailleurs, Jean d’Ormesson fustige cette idée de muséification de la ville. Il tempère pourtant, en appréciant les témoignages historiques dont elle est l’hôte et qui en reflètent la poésie, le charme, les délices de ce qui la rend inimitable. « Ce qu’on voit à Rome, ce sont des restes de plusieurs siècles et on sent une solidarité avec eux, on se sent contemporain des gens de la Renaissance, de l’Antiquité. » Il paraîtrait que seule Paris est digne de Rome (et vice-versa). Le penseur immortel porte pourtant sur elle un regard bien plus passionnel : « Rome, c’est comme une femme avec laquelle on fait l’amour. Avec Rome on ne flirte pas seulement, avec elle c’est un amour qui fonctionne. »

Selon Jean d’Ormesson, il est donc important d’accepter ce bourgeonnement juvénile pour le moment peu glamour mais qui n’est que le début d’une floraison aux multiples fragrances. Si la culture et l’art doivent donc être respectés en tant que rupture et en tant que fenêtre sur notre société, il ne faudrait donc semble-t-il pas non plus négliger la force de ses évolutions passées. Véritable atout charme d’une ville au passé sulfureux, la maturation aujourd’hui du fruit artistique et culturel encore mal digéré n’en sera à l’avenir que plus enivrante.

Les villes tendent à ouvrir les consciences sur ce beau présage. L’apparition urbaine d’œuvres parfois ardemment critiquées et/ou polémiques, ne seraient-elles pas en fin de compte que l’étincelle de notre rapport à l’art, premier brasier d’un amour futur et d’une réconciliation entre l’artiste, le philosophe et la société urbaine ? Au delà, de ses nombreux ouvrages, nous retiendrons de Jean D’Ormesson que l’art est vivifiant, que son inscription dans la ville ne peut qu’être renouvelé et qu’au delà des “Paris sera toujours Paris”, et autres “Rome éternelle”, il y a le souffle de la vie, et celui de l’art en constant renouveau est d’un esthétisme nécessaire pour nos sociétés.