Ce refus d’accueillir de nouveau un événement pourtant très attractif, mais dont les produits artisanaux ne sont pas à la hauteur du prestige des Champs ne serait-il pas un indice supplémentaire de la gentrification progressive de Paris ? Le phénomène, déjà décrit de manière plus locale dans certains arrondissements de la capitale, ne serait-il pas aujourd’hui en train de s’étendre de manière plus importante à l’échelle de la ville entière ? Comment cela pourrait-il se traduire dans l’usage des espaces urbains, et quelles en seraient les conséquences ?

Mais au fait, c’est quoi la gentrification ?

La gentrification est un phénomène qui se caractérise par une évolution sociale des habitants des quartiers populaires. Le prix de l’immobilier peu élevé attire une classe sociale principalement composée de jeunes, artistes pour certains, et qui sont particulièrement attirés par l’aspect populaire, voire underground du quartier qu’ils investissent. À New-York City par exemple, le borough de Brooklyn est un bel exemple de gentrification. Alors qu’il était principalement occupé par des populations pour la plupart issues de l’immigration et/ou peu qualifiées, il a rapidement été pris d’assaut dès les années 90 par de jeunes artistes, ni extrêmement riches ni totalement pauvres, mais empreints d’une véritable soif d’« expériences culturelles ».

Caricaturalement, ces jeunes créatifs sont aujourd’hui ce que l’on appelle les « hipsters ». Ces barbus à bonnet qui se déplacent en skate, pour forcer le trait, se sont réapproprié un territoire jusqu’alors majoritairement occupé par certaines minorités. Devenu hype et branché, le prix de l’immobilier se met à flamber, et les rues passantes s’emplissent progressivement de commerces dont l’objectif est de satisfaire cette « expérience culturelle » tant recherchée. Par exemple, un simple café deviendra un nouveau lieu de découvertes torréfiées, misant sur la qualité des produits ainsi que sur leur éthique de production, mais aussi de préparation « à la main ».

Quand la « brooklynisation » se répercute à Paris

En ce qui concerne la capitale française, cette « brooklynisation » a déjà été observée et décrite depuis plusieurs décennies, et notamment depuis les années 60 et 70 mais de manières différentes. Depuis les quartiers originellement bourgeois de Paris, situés à l’Ouest, une certaine évolution sociale a en effet été repérée en direction du centre-ville dans un premier temps, et en passant par la rive Sud, c’est-à-dire par le 15è arrondissement, le 5è… Ce constat a pu être élaboré par différents chercheurs qui se sont appuyés sur l’étude statistique de l’évolution de la répartition des classes sociales au sein de chaque quartier, comme dans le Marais, où le nombre de Airbnb est devenu plus important que le nombre de chambres d’hôtels. Cette « élévation » de classe sociale à travers les arrondissements serait le reflet de la gentrification qui s’opère à Paris, comme l’illustre la BD Revoir Paris de Schuiten et Peeters.

Aujourd’hui, l’étude de ces classes sociales démontre une véritable expansion de la gentrification vers le quart Nord-Est de Paris. Si le processus ne se trouve pas encore dans une situation de stagnation, quelques poches de résistance sont encore observables, par exemple à la Goutte d’Or, au nord de la Gare du Nord. Toutefois, ces données sont à prendre avec des pincettes dans la mesure où l’on peut déjà y constater des indices précurseurs de gentrification, comme l’élévation du prix de l’immobilier…

Peut-on pour autant parler de gentrification ?

Si l’ensemble de ces constatations effectuées depuis plusieurs décennies tend à prouver qu’il existe bel et bien un processus assimilable à de la gentrification au sein de la capitale, peut-on simplement s’appuyer sur des dynamiques de catégories sociales pour affirmer que la tendance générale est bien un phénomène de gentrification, telle qu’elle a été observée à Brooklyn notamment ? Quels sont les indices qui permettent de définir la manière dont l’utilisation des espaces urbains évolue au cœur de Paris ?

À la recherche d’une meilleure « qualité » de l’espace public

En ce qui concerne la suppression du marché de Noël tenu par les forains sur les Champs Élysées, il est difficile d’assimiler cela à de la gentrification au sens propre du terme. À l’échelle de l’Avenue en tout cas. Car par définition celle-ci n’a uniquement lieu dans des quartiers initialement populaires, progressivement devenus « à la mode ». Pourtant, et de manière plus générale, plusieurs éléments nous poussent à penser que la capitale se pare petit à petit d’un environnement plutôt favorable à la sur-représentation progressive des profils gentrifieurs.

Parmi ces éléments, et parmi les plus médiatiques, un indice emblématique pourrait être celui de la piétonnisation récente des berges de la Seine en plein cœur de ville. Si celle-ci est certes louable en matière de respect de l’environnement et de qualité du cadre de vie, elle implique en outre une mutation des modes de mobilité et d’usages des espaces publics. En effet, la prévision de la suppression progressive de la voiture personnelle en centre-ville (couplée par ailleurs à la faible accessibilité des transports parisiens) pourrait engendrer un usage de la ville davantage favorisé pour ses propres habitants, dont les catégories sociales s’orientent de plus en plus vers des catégories supérieures, ou de professions créatives… Ce que l’on appelle en somme, les « hypsters », responsables de la gentrification.

Quel avenir pour Paris ?

Le constat alors établi selon lequel Paris deviendrait le berceau d’une population gentrificatrice semble donc bien marqué par des indices forts. En plus de l’apparition exponentielle de petits commerces branchés, du lourd prix d’un logement en AirBnB (ou du logement tout court), la recherche d’une meilleure qualité de vie, « digne » de la séduction de Paris, y est le reflet de l’installation durable d’une population de moins en moins populaire. Les quelques endroits qui subsistent à cette emprise peuvent-ils durablement être exemptés de ce phénomène ? Si l’intérêt des gentrifieurs est d’investir les quartiers populaires pour créer de la mixité sociale, les locataires les plus défavorisés sont pourtant amenés à devoir s’exiler vers l’extérieur de la ville à cause de l’augmentation du loyer. Dans ce cas, quelles seront les dynamiques sociales parisiennes lorsque les anciens quartiers populaires ne seront plus que simples souvenirs ?

Historiquement, la gentrification passe donc par l’installation de classes plus aisées aux dépens des moins favorisées. Suite à la suppression du Marché de Noël des Champs-Elysées et de son offre commerçante plus abordable que les magasins installés sur l’Avenue, la gentrification passera t-elle désormais par l’élimination des petits commerces en faveur des plus importants ? La gentrification de Paris passera t-elle désormais par un tourisme uniquement destiné aux personnes plus favorisées ?