Tout d’abord, il faut dire que le projet témoigne d’une vraie connaissance du vélo, ce qui est nouveau, agréable et encourageant.
Des ambitions utiles sur de nombreux sujets
− Le stationnement sécurisé, premier levier pour l’usage du vélo et pour la possession de vélos de qualité, sujet abordé dès 2001 puis discrètement abandonné. La Ville se propose d’installer dans les rues des boxes d’une dizaine de places et d’ « accompagner » la création (ou résurrection!) de locaux à vélos dans les résidences publiques ou privées, ainsi que dans les parkings publics. Deux gares « pourraient » être dotées de « vélo-stations », et certaines stations de tramway ou de métro de boxes assez grands, comme ceux de certaines gares de province. Tout cela correspond aux besoins, tant en « résidentiel » qu’en intermodalité, mais ce qui pourra être fait en 5 ans ne suffira pas.
− Les ateliers vélo et les vélos écoles, qui sont de vrais moyens de familiarisation avec le vélo, et de précieux lieux de socialisation. Ils ont besoin avant tout de locaux (ateliers, stockage) et d’espaces d’évolution. Lors du même premier mandat, bien qu’on ait annoncé la création d’une maison du vélo par arrondissement, une seule avait vu le jour, à proximité de la place de la Bastille. Il n’échappe à personne que la question des espaces dans Paris est une vraie question…
− Le passage de 3 véloroutes européennes est une vraie ambition, qui devra être traitée à une échelle géographique plus large que Paris, puisque les difficultés perdurent jusqu’aux limites de l’Ile-de-France. Réaliser ces véloroutes n’implique pas forcément du site propre, mais suppose que leur tracé soit facile à identifier et sans sections difficiles à négocier. Pour l’heure un embryon a été réalisé via les rues piétonnes du centre, ce qui est impraticable, puis le long des canaux appartenant à la Ville de Paris, ou le long de la Seine en direction de la Marne. L’enjeu est important car ce sont aussi des supports à trajets quotidiens, à promenade, à apprentissage, à jeux… Les compromis avec les communes ou départements traversés rendent l’affaire souvent difficile.
− La révision du jalonnement est aussi une bonne nouvelle, l’actuel ne valant pas grand’chose. Il fait passer par des aménagements moins pratiques que l’axe direct, il en ignore d’autres, indique des destinations incongrues (la Monnaie de Paris…), et finalement a une pertinence très peu perçue. Les panneaux eux-mêmes pivotent, sont parfois mal placés, induisent en erreur. C’est donc à une refonte complète qu’il faudra se livrer, après s’être interrogé sur les besoins.
− La révision d’aménagements réalisés antérieurement, comme le boulevard de Magenta ou les boulevards des Maréchaux, est aussi une bonne et courageuse ambition. Ces pistes cyclables relèvent de l’idéologie (croire que les piétons vont rester sur des trottoirs visiblement bondés, rêver à l’entente universelle entre modes « doux », ignorer la propension des automobilistes à se garer partout …) ou d’un bricolage indigne (faire sortir la piste à angle droit, multiplier les feux au point que le cycliste en a plus que les automobilistes, faire jouer aux montagnes russes et aux zig-zags, considérer la piste avec si peu de sérieux qu’on peut l’annuler à hauteur des arrêts de tram et lors de chaque marché…) comme si cet aménagement était facultatif et inutile. Dans la liste des révisions ne figurent pas des aménagements très récents et très mal conçus, comme les franchissements de plusieurs têtes de pont en rive gauche de Seine, mais, surtout, ces révisions, qui ne peuvent raisonnablement pas être des reconstructions intégrales, nécessiteront un travail fin, demandant une disponibilité dont les services sont manifestement démunis.
− On parle aussi d’itinéraires de promenade, sans qu’on en sache plus. Peut-être sur les berges de la Seine, puisque tout laisse à penser que leur démotorisation ne s’accompagnera pas d’une offre pertinente pour les véhicules non-motorisés… Cela ne sera sans doute pas non plus sur la Petite-ceinture, puisque la maire et son adjoint n’y voient que verdure, bio-diversité, jardins partagés ou cafés.
Concernant le nouveau réseau proprement dit, il serait constitué :
− d’un réseau principal (est-ouest, nord-sud et rocades) dont l’énoncé a quelque chose de déjà entendu, d’un réseau secondaire sur des axes maintenus à 50 à l’heure, et d’un réseau complémentaire obtenu grâce à la création de zones 30 dont toutes les rues sont à double sens pour les cyclistes. Tout cela n’est pas mal, à condition que la qualité soit plus présente qu’aujourd’hui et la densité suffisante, ce qui est peu probable.
− Enfin, on nous annonce des réseaux express vélo. Quatre d’un coup !!! Cela est évidemment excellent car ce sont eux qui permettent les liaisons efficaces au-delà des 2 ou 3 km de la proximité. Mais encore faut-il qu’ils soient effectivement express, c’est-à-dire sans interruption, ou presque, comme le sont autoroutes, voies expresses et boulevards périphériques. Ils seraient larges et à double-sens, le long d’axes difficiles (les meilleurs car directs et plats). Toute la question va être de supprimer, forcément, une voie de circulation auto, et l’on a déjà vu un maire d’arrondissement s’y opposer dès le vote acquis. La gestion des intersections, pour ne pas obliger les cyclistes à s’arrêter tous les 300 mètres, requèrera imagination et sens de la persuasion.
C’est là que nous nous inquiétons de ne pas trouver mention de la petite-ceinture, pourtant support historiquement unique, et rêvé, pour un REV, ni des bords de Seine, alors que l’espace y est disponible.
Sur d’autres points on peut faire la moue sans risque.
− L’extension aux vélos-cargos de la subvention à l’achat de vélos assistés est une bonne idée, correspondant bien aux divers usages du vélo et retirant tout besoin d’un véhicule à moteur. Il est juste dommage de ne pas l’avoir étendu aux artisans, professionnels et associations, ni d’avoir pensé aux vélos pliants, vraie solution au manque de stationnement et au besoin d’intermodalité, mais dont les prix sont eux aussi élevés.
− A la sensibilisation au vélo, annoncée, on peut préférer l’information. Elle doit porter sur les comportements à adopter dans la circulation et sur la signification des nouveaux panneaux ou dispositifs que personne ne comprend, ni motorisés ni actifs. Pour la sensibilisation, il n’y a en pas de meilleure que de donner envie d’essayer et de le permettre dans de bonnes conditions. D’où la petite-ceinture et la Seine…
Des questions sur l’organisation
− Outre le fait que la délibération est truffée de conditionnels ou d’intentions, que les « déclinaisons locales » soient arrivées après les discussions, et que 7 versions de la carte aient circulé, je m’interroge sur les modalités de la rédaction.
− Il est légitime d’interroger les citoyens, mais des questions biaisées par internet peuvent-elles refléter autre chose que des impressions à court terme ?
− Il était indispensable de s’entendre avec les mairies d’arrondissement, dont la sensibilité pour le vélo est certainement inégale. Mais dans le concret, l’Hôtel de Ville va-t-elle passer en force, ou renoncer ?
On peut s’inquiéter de la capacité de la Ville à mener à bien une politique sérieuse du vélo, puisqu’elle ne dispose visiblement pas d’équipes suffisantes et que rien ne nous indique qu’elle se soit donné les moyens de mieux concevoir ses nouveaux aménagements. En revanche la décision de créer des aménagements dédiés, et coûteux, est sans doute plus pragmatique que d’espérer pacifier toute la ville et rendre tout le monde vertueux.
La capitale mondiale du vélo !!!
Adoptée à l’unanimité, personne sans doute ne voulant plus prendre le risque de s’afficher « anti-vélo », soutenue par quelques élues et élus de droite ou du centre avec précision et conviction, cette délibération n’engage finalement pas à grand-chose de concret, mais créée des attentes.
Sa mise en œuvre se heurtera aux habituelles réticences locales, au manque de suivi des chantiers, à la surcharge de travail de la toute petite équipe dédiée au vélo… Elle se heurtera aux ambitions « démocratiques » de l’Hôtel-de-Ville. Christophe Najdovsky a quant à lui déjà reconnu que ces 15% n’étaient qu’une « ambition » pour faire de Paris la « capitale mondiale du vélo ». La même que la « capitale mondiale de l’intelligence », de Jean-Louis Missika, sans doute.
La qualité reposera donc beaucoup sur l’investissement des élus dans les arrondissements, ou, comme cela s’est déjà vu aussi, sur la qualité des techniciens de base. Au moins avons-nous un « plan » sur lesquels pourront s’appuyer ceux qui voudront s’en servir !
Ailleurs il risque de ne pas se passer grand chose, et on pourra toujours accuser les maires récalcitrants. Finalement on se contentera de ce qui aura été fait, qui sera toujours bon à prendre. Le vélo continuera tranquillement à augmenter.
Pour les 15% il aurait fallu un choc autrement plus puissant. Paris ne sera même pas la capitale française du vélo.
Isabelle Lesens est spécialiste du vélo « mode de déplacement et de loisir » depuis 1991. Auparavant elle avait été chargée de mission à la DATAR, en charge de la Lettre mensuelle. Elle aime agir en amont, là où se décident les stratégies propres à faire émerger le vélo. Elle est coutumière des expertises, articles ou conférences et a une longue pratique des schémas directeurs et des études d’aménagements. Elle a aussi été commissaire-enquêteur de 2006 à 2013. Elle intervient désormais surtout en tant que journaliste ou attachée de presse, et a été élue conseillère d’arrondissement (Paris 15°) en mars 2014.
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