D’après une étude de la fondation Pro Juventute, le temps que les enfants passent à l’extérieur a considérablement diminué au fil des décennies. De trois à quatre heures par jour dans les années 1960, on est passé en 2021 à 47 minutes en moyenne, dont 29 minutes de manière autonome. Ces chiffres éloquents illustrent la disparition progressive des enfants de l’espace public, et la diminution des sorties autonomes (sans parent ni nounou), particulièrement remarquables dans les grandes villes. De la même manière, les aires de jeux ont connu un abandon progressif. Depuis les années 90, l’augmentation des normes de sécurité, motivée par la peur des accidents et des poursuites judiciaires, les a transformées en espaces standardisés et monotones pour les plus jeunes. Dans son livre « La Ville récréative », Thierry Paquot, philosophe, soutient que les enfants bénéficieraient davantage de terrains d’aventures tels que les “junk playgrounds” ou les “playscapes” que l’on retrouve ailleurs en Europe, afin de les confronter au risque. Les travaux de la psychologue norvégienne Ellen Sandseter soulignent en effet que l’aversion au risque – pas trop haut, pas trop vite – fait qu’en grandissant, les enfants deviennent phobiques et peu entreprenants. La sécurisation excessive des aires de jeux commence-t-elle à être levée ? À quoi ressemble un terrain de jeu permissif ?
Des terrains de jeux toujours plus sécurisées avec le temps
Le “syndrôme du square aseptisé” comme le baptise un article du Monde est une situation qui touche particulièrement la France, bien que l’Hexagone ne soit pas le seul pays à y avoir succombé. Depuis les années 90, par souci de sécurité, on a retiré les bacs à sable, pas assez hygiéniques, abaissé les toboggans et remplacé le sol en bitume par du caoutchouc. Selon Kirsten Visser, géographe urbaine à l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, la réduction des risques est souvent au cœur de la politique municipale. Les aires de jeux sont entourées d’une clôture, les équipements ne sont pas autorisés à atteindre une trop grande hauteur et les branches les plus basses des arbres situés dans les squares sont coupées pour éviter que les enfants n’y grimpent.
En France, au début des années 90, la conception des aires de jeux a été profondément influencée par l’introduction de deux textes législatifs majeurs. Un premier décret vient énumérer et fixer “les exigences de sécurité relatives aux équipements d’aires collectives de jeux” présents sur le marché après le 1er janvier 1995. Un deuxième décret, s’adressant cette fois aux maîtres d’œuvre et aux gestionnaires, propose des prescriptions spécifiques en matière de prévention des risques : choix du site, aspect paysager, sols, implantation des mobiliers, entretien et maintenance. Cette évolution significative a entraîné la disparition de nombreuses aires de jeux existantes, principalement dans les petites et moyennes communes aux budgets limités, incapables de mettre aux normes des équipements devenus obsolètes. Une autre réponse marquée à ce nouveau cadre réglementaire s’est traduite par une tendance croissante à la standardisation. L’objectif était alors de réduire les risques en s’appuyant sur des produits ayant déjà fait leurs preuves.
Ces dernières années, des chercheurs internationaux ont revalorisé le risque, considérant qu’il était propice au développement cognitif, émotionnel et moteur des enfants. Un enfant qui prend des risques arriverait notamment à mieux évaluer et sentir où se trouvent les limites. Une étude dirigée par David Ball, professeur en gestion des risques à l’Université de Middlesex à Londres, souligne que l’utilisation de revêtements souples n’a pas entraîné une diminution significative des blessures à la tête, et a engendré une augmentation des fractures du bras. Cette tendance pourrait s’expliquer par le fait que les enfants, se sentant moins en danger de chute, sont moins prudents.
Apprivoiser les normes pour créer des espaces de liberté
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