Citoyens du Monde Beau jour !
Je voudrais m’entretenir beaujourd’hui avec vous voisin, voisine sur les deux sens de l’expression faire le Beau et pour plagier Loysel : « Qui a beau voisin a beau matin ».
Premier sens, ou plutôt premier non sens.
L’image du chien chien dressé sur ses deux pattes arrières, la gueule tendue pour attraper un sucre.
Il est grand temps de protéger nos amis les bêtes, en bouleversant le Code Civil qui les traite comme des meubles. Saluons les engagements de Brigitte Bardot et de Michel Onfray pour la défense de cette belle cause.
La tâche est difficile car le danger est qu’on traite comme des hommes leurs fidèles compagnons !
Faire le Beau, certes ce n’est pas le privilège de l’architecte, mais pour accéder à la commande, dans des temps où il n’y a pas plus de sucre que de projets, combien sont-ils à faire le Beau ?
« Je choisis mes architectes comme mes bretelles en fonction de leur souplesse !! » confiait avec affectation en 1965 un promoteur.
Souplesse, souplesse, pas si souple que cela puisque d’autres promoteurs, ou les mêmes, reprochent aux architectes de ne pas être assez souples, de ne pas suffisamment prendre en considération les contraintes des entreprises, d’obliger à casser ou recasser un béton qui n’était pas assez beau.
L’ancien directeur général de l’entreprise Léon Grosse ne s’est pas remis de l’intransigeance d’Henri Ciriani qui lui a fait reprendre jusqu’à ce qu’il soit parfait, ce si beau musée de Péronne dédié à nos héros de la guerre de 1914.
Second sens, un contre-sens ?
« Police et esthétique de la rue » : titre choc d’un article de Paul Duez, doyen de la faculté de Lille, en 1927.
Comme tout bon libéral, après avoir craché sur l’Etat qui ne fait rien pour la Culture et le patrimoine architectural, il l’appelle au secours en demandant des mesures de police et des sanctions pénales pour retirer de la rue tout « ce qui porte atteinte au Viel art français ».
Arrachez-moi les bancs, il s’y passe des choses que les bonnes mœurs réprouvent (Georges au secours), faites moi disparaître les réclames qui portent atteintes à l’harmonie de la rue et détruisez moi ces pompes à essence du cœur de la ville.
Actualisation : l’année prochaine mon bon pompiste et sa belle dame seront chassés du Boulevard Exelmans. Même expulsion Boulevard Raspail, de peur que ça saute !
Protéger un bâtiment, une ville contre la modernité ce n’est pas pour autant légitimer la modernité pour effacer la mémoire de ce bâtiment ou de cette ville.
La loi du 31 décembre 1913 sur la protection des monuments historiques mais aussi « de tous les biens qui présentent un intérêt du point de vue de l’histoire, de l’art, de la technique ou de l’archéologie » se porte bien et porte beau la défense de notre patrimoine.
Nous avons été bien heureux de la brandir pour sauver l’Hôtel Lambert et de la citer pour éviter la démolition dénuée de bon sens des 82 logements sociaux de Paul Chemetov à Courcouronnes pourtant rénovés quatre ans plus tôt.
Mais peut-être existe-t-il un troisième sens qui n’est pas interdit : que les architectes s’emparent du Beau. Oui je sais, ça fait trop Beaux-arts, mais n’ayez pas peur de faire le « Beau Beau ». Juste comme Pierre Riboulet qui loin de l’être, légitime la forme avant d’apporter un peu plus de « Beaunheur ».
Toute la génération Mitterrand a voulu s’insurger contre l’Académisme de l’Ecole des Beaux-arts en rejetant la notion d’Esthétique qui lui semblait prôner au cœur des projets d’architecture de l’Ecole.
La sensibilisation au contexte, l’engagement politique pour « la cause du peuple » tendait à chasser l’image de l’Artiste qui collait à la peau des architectes.
En jetant l’eau qui coulait du Beau, les architectes sont inaudibles à prétendre qu’ils ne sont plus responsables du laid de nos entrées de ville, de nos grands ensembles ou de nos lotissements.
N’est-il pas grand temps, comme le font les nouvelles générations d’architectes, pourtant déjà âgés, (même s’ils ne sont pas tous beaux comme Patrick Bouchain), de s’engouffrer dans les failles juridiques du système pour tenter de le casser de l’intérieur ou comme Nicolas Soulier, qui repart à « la reconquête de la rue » en observant qu’il ne manque presque rien aux rénovations urbaines, sinon l’essentiel. Qu’il est beau de porter nos regards sur quelques courées et de voir embellie la journée d’un voisin.
Ainsi s’éclairent, ne serait-ce qu’un instant, les lumières qui éblouissent « Belle Ville » et aspirent le juriste emporté, comme Gabin avec Bourville dans la Traversée du Grand Paris, grommelant « salaud de pauvre » dans le monde, même pas beau, du ventre du mal, sans lequel finalement la Ville ne peut être belle.
PS : Pour le prochain numéro : Faire mal.
Docteur en presque rien mais avocat de l’essentiel : l’architecture