Il est vrai que l’organisation des villes modernes s’est principalement appuyée ces dernières décennies, sur les principes de l’étalement urbain, de la faible densité et du zonage, trois facteurs qui ont contribué à isoler des millions de français et ont accru leur dépendance automobile. A cela s’ajoutent les zones commerciales de périphérie qui ont, non seulement défiguré nos entrées de villes et paysages français, mais qui ont par ailleurs réduit à quasi néant la vitalité de bien des centres villes. Alors aujourd’hui, le constat est clair, nous sommes face à une crise du modèle urbain français.
Alors plus que de revoir nos règles d’urbanisme, c’est un paradigme entier qu’il faut changer pour réinventer la fabrique urbaine.
Réinventer les services publics de proximité
Une ville doit tout d’abord offrir un minimum de “services” pour tous afin de recréer une proximité qui s’est peu à peu effacée au fil des années. Pour permettre le maintien d’un noyau essentiel de services publics, il s’agit d’innover dans leur fonctionnement, en inventant de nouveaux modèles économiques. L’hybridation des services est une solution, tout comme l’implication d’acteurs privés et associatifs désirant être les relais de l’intérêt collectif. S’appuyer sur les dispositifs mis en place par l’économie sociale et solidaire peut aussi être une solution efficace pour que l’innovation sociale soit injectée au cœur du service public. Par ailleurs, penser à des services publics nomades permettrait d’interagir avec les populations les plus reculées et peu mobiles : les petites mairies pourraient par exemple régulièrement abriter des services sur des temps courts.
Remettre l’usage au cœur de la conception
En ce qui concerne la création de nouveaux lieux et de bâtiments, il s’agit d’en finir avec la monofonctionnalité, inadaptée et impersonnelle. Pour cela, nous devons mettre l’usage et les liens au coeur de la conception. En réfléchissant à des lieux plurifonctionnels et aux temporalités variées, nous pourrons favoriser la création de liens sociaux souvent oubliés dans les projets urbains. A titre d’exemple, les EHPAD pourraient dans chaque commune, intégrer dans leur programmation des équipements absents du territoire. Utiles à tous les habitants, ces services intégrés, permettraient aux populations de se croiser et donc de lutter contre l’isolement des seniors. Par ailleurs, la création de lieux à forte identité en accord avec leur environnement, portant une vision commune et partagée par les habitants, permettront de fédérer les populations dans des contextes urbains souvent excluants. Et plus encore, pourquoi ne pas créer à l’instar du 1% artistique mis en place en 1951, un dispositif de 1% humain qui intégrerait dans le bilan d’aménagement, une somme dédiée pour financer la co-conception et créer des écosystèmes d’acteurs locaux ?
Recréer des espaces publics vecteurs de relations sociales
Le lien social et la participation active à la société favorisent le bien être des habitants. Pour rendre à la ville cette fonction, il s’agit de redéfinir les espaces publics pour les rendre vivants et attractifs. Pour cela, tous les habitants doivent pouvoir les investir. Cette appropriation passe par une mobilité et une accessibilité facilitées grâce à des cheminements piétons et cyclables, mais aussi par un cadre de vie plus agréable avec une attention au mobilier et aux ambiances urbaines comme la verdure, le bruit, la sécurité, afin d’assurer le confort de chaque utilisateur, à commencer par les enfants, véritable archétype du piéton.
Enfin, l’aménagement des espaces publics dépend des besoins des utilisateurs. Si l’appropriation des espaces publics ne suffit pas, l’éducation populaire sur les questions urbaines et des modèles de financement plus participatifs comme le crowdfunding pourraient inciter les citoyens à plus s’impliquer dans le processus de conception de leur cadre de vie.
Recréer des écosystèmes d’acteurs
Partout sur le territoire, nous devrons faire renaître et créer des systèmes collaboratifs en profitant de chaque projet urbain, pour activer des synergies entre les acteurs locaux. Alors que les appels à projets urbains innovants se multiplient, chaque nouveau projet doit être considéré comme une chance, profitant d’un afflux d’investissement pour les territoires. Cet afflux se fait aujourd’hui par de l’investissement privé et se fait notamment grâce à la création de logements. Seulement aujourd’hui, pour en profiter pleinement, il s’agit d’aller plus loin que l’immobilier et plus loin que l’architecture. Il faut avant tout œuvrer pour le cadre de vie, pour l’urbanité et pour que les villes soient réellement vivantes.
Ainsi, face à l’émergence de plus en plus fréquente de mouvements anti-systèmes, il faut recréer des systèmes territoriaux plus justes, plus égalitaires, où chacun peut y jouer un rôle, non seulement économique mais un rôle qui le lie à son voisin. Pour cela il s’agit de renouer avec la manière dont est organisée la nature, comme un écosystème où chacun joue un rôle bien précis, dans le but de maintenir un équilibre propice à chaque vie épanouie.
Redonner du temps à la ville
Au delà des systèmes d’acteurs, il s’agit aussi d’influer sur les temps de conception des villes. L’urbanisme transitoire et tactique, peuvent, si l’on institue ces pratiques, impulser de nouvelles synergies locales, laisser libre court à l’émergence de nouveaux usages en puissance et refaire la ville sur elle-même. Au delà, la période dédiée à la réponse aux appels à projets urbains classiques ou innovants, émanant des villes ou des aménageurs, doit être plus longue. La raison est simple, il s’agit de mettre le plus d’acteurs possible autour de la table, publics, privés, associatifs, habitants, afin de concevoir des modèles partagés, où chacun puisse y trouver son compte, où chacun pourrait avoir un rôle à jouer pour la bonne marche du système.
Renforcer des métiers émergents
Enfin, nous devrons renforcer et valoriser ces nouveaux métiers émergents, agissant à la couture de toutes les expertises urbaines classiques. Car les villes véritablement vivantes ne réclament plus seulement l’expertise d’aménageurs, de paysagistes, d’architectes, de promoteurs ou d’urbanistes mais de celles de scénaristes urbains. Il s’agit de voir plus loin que l’urbanisme, plus loin que l’architecture, plus loin que l’immobilier. Il faut lier le tout avec les habitants, et croiser les besoins locaux avec les tendances sociétales tout en gardant un regard prospectif et durable. Il s’agit alors de scénariser pour imaginer la vie que l’on entend recréer.
Et au delà de la scénarisation, il y’a la réalisation. Il s’agit donc de faire jouer les acteurs entre eux, de permettre des relations nouvelles et de mettre en œuvre au quotidien la ville circulaire et collaborative. Et cela passe par l’action de connecteurs urbains qui à l’image d’un réalisateur pourrait mettre en scène l’histoire urbaine qui se raconte au travers du jeu d’acteur. L’émergence de conciergeries de quartier joue peu à peu ce rôle, mais nous devons aller plus loin pour connecter non seulement les habitants, mais tout un écosystème local au service de la ville vivante.
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