La « cité du bonheur », la « cité de la promesse tenue », « la cité des deux cents colonnes », tels sont les surnoms respectifs des cités Diar-es-Saâda, Diar-el-Mahçoul et Climat de France, construites par l’architecte Fernand Pouillon entre 1953 et 1957.
A la veille de la guerre d’Algérie, au début des années 50, le maire de la capitale algérienne, Jacques Chevallier, va passer commande auprès de l’architecte pour construire de nouveaux logements. Le but étant de pouvoir pallier la pénurie de logements de la ville tout en réaffirmant, par la même occasion, l’autorité de la métropole face à l’ hostilité grandissante du peuple algérien.
Moins connu que Oscar Niemeyer ou Le Corbusier, Fernand Pouillon va tout de même relever le défi en construisant trois ensembles. La première cité Diar-es-Saâda va être livrée en un peu plus d’un an avec une offre de 732 logements modernes et équipés, jugés de “confort normal” et destinés à la population européenne. La seconde, sa jumelle Diar-el-Mahçoul, sera prête en 1955 et proposera 1550 logements partagés en deux ensembles distincts : les logements de “confort normal” spacieux, lumineux avec vue sur la mer pour les européens et les habitations à “confort simple” faisant appel au modèle de la casbah avec des espaces plus escarpés pour la population musulmane. La troisième, Climat de France, finie en 1957, a été imaginée comme ville-monument de 5000 habitations pour pacifier l’Algérie en plein conflit en logeant des militaires et des algériens qui la fuyaient.
Si l’architecte a pu être critiqué pour l’aspect discriminatoire de ses projets, il fut néanmoins l’un des précurseurs d’une architecture et d’un urbanisme contextuels. Il faisait appel à l’artisanat local et pensait aux coutumes des habitants et à l’insertion de ses constructions dans leur paysage urbain, naturel et culturel. Il a notamment intégré dans ces cités, d’innombrables références ottomanes et arabo-andalouses, contribuant largement à l’appropriation des lieux par la population algérienne. On lui louait donc une architecture durable, mais pourtant aujourd’hui les cités sont décriées et largement critiquées pour leur criminalité, discrimination et insécurité. Ces grands ensembles rassembleraient effectivement tous les maux de la société algérienne. A Climat de France, les toits ont été investis par des bidonvilles et la place centrale, conçue comme l’élément le plus monumental, est maintenant surnommée “la Colombie » pour son trafic de drogue.
Héritage de la colonisation française, ces cités sont devenues surpeuplées, et souvent insalubres et délabrées. Pourtant elles constituent une grande partie du patrimoine immobilier et, au-delà de ça, renferment énormément d’histoires, de souvenirs et de mémoires. C’est ce que la photographe et cinéaste Daphné Bengoa nous révèle dans son travail.
Attachée à explorer les nouvelles manières de vivre et de travailler, elle nous partage aujourd’hui une série de photos tirées de sa publication avec Leo Fabrizio Fernand Pouillon et l’Algérie, Bâtir à hauteur d’hommes. On y voit, à travers ces photos, la cohabitation d’ensemble de vie qui laissent des traces et écrivent l’histoire de ces architectures dans le temps. Les habitants, présents pour certains depuis l’ouverture des cités, ont investi les lieux et se les sont appropriés en les aménageant pour en faire des lieux de vie. Ces images proposent de traverser “du dehors au-dedans” ces espaces de vie imprégnés de l’histoire coloniale et post-coloniale de l’Algérie, dévoilant ainsi les formes d’habiter des résidents.
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