Au cours des dernières décennies, les politiques de mobilités des grandes villes européennes ont largement favorisé l’émergence de la voiture. Aujourd’hui, notre besoin de penser notre développement de manière durable, nous pousse à repenser notre rapport à la mobilité en ville. La marche et le piéton se retrouvent ainsi à nouveau au cœur des réflexions. Quelle est la place du piéton dans la ville durable ? Comment ce nouveau rapport entre les différentes mobilités doit-il se penser ? Jean Jacques Terrin répond à nos questions. 

Selon vous, quelle plus-value le piéton apporte à la ville?

Je ne pense pas qu’il faille poser la question de cette manière. La ville, c’est le piéton. Le piéton n’apporte pas une plus-value à la ville. La ville appartient aux piétons. La vraie question est “en quoi la ville peut apporter une plus-value aux piétons ?”

Pendant très longtemps, la ville a naturellement été habitée par le piéton. Cela devrait encore être le cas. Mais petit à petit, l’espace du piéton a été rogné au profit des autres modes de circulation. Aujourd’hui, seul 10% de l’espace public est mis à sa disposition. Il faudrait inverser ce rapport.

Nous tentons alors de le faire en disant “on va redonner la place au piéton en ville”. Mais ce n’est pas ça ! Il ne s’agit pas de redonner un peu de place au piéton. Il faut leur rendre la ville et rééquilibrer la place des autres modes en fonction de lui, c’est-à-dire par rapport à une ville piétonnière universellement accessible au piéton.

 

Comment s’établit cet équilibre entre le piéton et les autres modes de déplacement ?

 

Au sein de cet ensemble complexe, le piéton est le dénominateur commun : il marche, il conduit, il pédale, il prend les transports en commun… C’est le maître du jeu ! En tous cas, il devrait l’être. Les autres modes devraient être calculés par rapport au confort du piéton et non l’inverse.

 

Les vélos sont arrivés sur les trottoirs, donc au détriment des piétons, en réduisant toujours plus l’espace qui leur est dédié !

 

Prenons l’exemple du vélo. Dans cet élan de durabilité, l’engouement pour le vélo a explosé. On a donc voulu mettre des vélos partout ! Mais aujourd’hui, ce même vélo devient une nuisance pour le piéton. Le vélo est devenu roi dans certaines villes. Loin de ce que nous pourrions imaginer, la percée de l’usage du vélo ne s’est pas faite uniquement au détriment de la voiture. Non, les vélos sont aussi arrivés sur les trottoirs ! Cela s’est donc fait au détriment des piétons, en réduisant toujours plus l’espace qui leur est dédié.

Penser un meilleur équilibre commencerait par considérer que l’espace de la ville est composé de deux éléments. Il y a d’un côté un espace de la vitesse et de l’autre un espace de la lenteur.

 

La ville a besoin de la rapidité. On ne peut pas tout faire à la vitesse du piéton. Il faut que les gens circulent vite pour aller d’un lieu à un autre, d’un quartier à un autre. Cela signifie qu’il doit y avoir des bus, des tramways et même des vélos ! A Amsterdam, par exemple, les gens vont de plus en plus au travail en vélo. Ils veulent aller vite. Comme cela est devenu une nuisance pour les piétons, des autoroutes pour ces vélos ont été créées.

Mais en parallèle de ces espaces de vitesse, des espaces de lenteur doivent être accordés. Dans ceux-ci, le piéton doit être privilégié à 100%. Cela ne signifie pas qu’il soit le seul usager. Cela signifie que les autres usages vont emprunter son espace en respectant la priorité et la primauté du piéton.

 

Je ne pense pas qu’il y ait de règle absolue pour trouver cet équilibre. Pourtant, les villes qui travaillent le mieux la question sont celles qui identifient les espaces dans lequel le piéton est définitivement et irrémédiablement le roi. Il y a des espaces de polarité dans la ville, dans les centres comme en périphérie, dans lesquelles les piétons jouissent d’une priorité absolue. Ce qui ne veut pas dire que les autres ne peuvent pas circuler. Mais le piéton est prioritaire en tous points. Il est non seulement prioritaire dans sa circulation, mais aussi prioritaire dans son confort et dans les services qui lui sont offerts. Les gares sont un bon exemple. Autour des gares de Rotterdam ou d’Amsterdam par exemple, il y a toutes sortes de circulation. Il y a des vélos. Il y a des voitures. Il y a des tramways. Mais le piéton est roi prioritaire. Ca ne se discute même pas et tout le monde fait attention au piéton et il y trouve sa place. A Rotterdam on y parle de City Lounge.

C’est une tendance générale que suivent des villes comme Barcelone, Vancouver ou Turin. Mais d’après ce que je comprends, ce n’est pas celle de Paris !

Où Paris en est à ce sujet ?

 

Je vais dire un peu de mal de Paris. Il faut finalement considérer que je ne suis qu’un observateur de Paris, mais je pense que Paris subit le fonctionnement par à-coups de sa gouvernance.

Dans certaines villes, on a des plans sur trente ans. Reprenons l’exemple de Rotterdam. Que vous alliez voir un acteur du climat, un acteur des espaces verts ou un acteur de n’importe quel secteur, il vous tiendra le même discours. Il vous dira “Voilà le plan sur 30 ans! Nous, dans notre domaine, voilà comment nous agirons.” Les choses sont claires. A Paris, on ne fait rien de tout ça. Les idées sont lancées par à-coup et non dans un ensemble.

Il y a peu, les berges ont été fermées à la circulation. Quand on voit la façon dont elles sont appropriées par les piétons le week-end, c’est une démonstration extraordinaire de la justesse du choix. On ne peut pas critiquer la fermeture de ces berges. Je dis simplement qu’il n’y a pas de vision d’ensemble sur ces projets.

 

Une fois les berges fermées, un projet de tramway-bus sur les quais hauts de la Seine a été annoncé. Que va-t-il se passer quand on aura un chantier de tramway sur le quai haut, alors que les berges ont été fermées à la circulation ? C’est une aberration totale, ça manque de clairvoyance. Pourquoi ne pas avoir pensé le projet dans un ensemble pragmatique ? On agit par à-coups, le projet de tram n’était pas prêt mais il fallait faire un coup alors on a fermé les berges dans l’empressement. Encore une fois je suis pour la fermeture de ces berges mais le coup va faire flop d’ici un an. C’est du marketing urbain politique.