Le Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA) a lancé le Grand Débat Archi au travers d’un blog consacré (Grand-débat.archi) afin que l’ensemble de la profession puisse participer en se questionnant et en débattant ensemble pour participer pleinement aux réflexions menées à l’échelle nationale. Aujourd’hui, le CNOA publie 155 propositions et leur synthèse issues de ce Grand débat des Architectes qui a généré près de 1500 contributions. C’est dans ce cadre que nous avons interviewé Denis Dessus, président du Conseil national de l’Ordre des architectes, afin qu’il puisse nous partager son point de vue sur le rôle de l’architecture aujourd’hui et demain.
Quel est, selon vous, le rôle de l’architecture aujourd’hui ?
Il faudrait des livres entiers pour répondre à cette question ! L’architecture façonne notre environnement, nos modes de vie, d’hier, maintenant et de demain. C’est la seule discipline incluant tous les paramètres culturels, sociaux, économiques, environnementaux et techniques pour le bien commun dans un acte de création qui va marquer un site et la façon de vivre des usagers pendant des décennies, voire des générations.
Vous avez appelé les architectes à participer au Grand Débat National via une plateforme dédiée grand-débat.archi. Pourquoi cette démarche ? En quoi est-ce important que les architectes participent aussi au Grand Débat National ?
Convaincu que la colère sociale exprimée à travers le mouvement des « gilets jaunes » est aussi, peut-être même essentiellement, liée à une crise de nos manières d’habiter et d’aménager nos villes et nos territoires, le Conseil national a souhaité que les architectes, les professionnels du cadre de vie, y compris tous les citoyens intéressés par ces questions, prennent part au grand débat national lancé par le gouvernement.
Le Conseil national de l’Ordre a donc ouvert à tous, depuis début février et jusqu’au 15 mars, le blog Grand-débat.archi afin de recueillir leurs propositions. Nous nous sommes engagés à compiler et transmettre les contributions reçues au Gouvernement après cette date.
Pourquoi avoir choisi les quatre thèmes suivants “habiter, financer, aménager et participer” pour structurer le débat ?
La question de l’habitat et des modes de production du cadre de vie est peu présente dans le questionnaire gouvernemental. Aussi, nous voulions donner la possibilité de contributions, de propositions rédigées concernant nos champs de compétence. Cela fonctionne, nous avons une masse unique de réactions, d’architectes de tous exercices implantés sur tout la France, et d’organisations et associations structurées. Une matière qu’il nous faut maintenant synthétiser afin de la remettre au gouvernement et à notre Ministre de tutelle, Franck Riester.
Quelles sont les principales propositions qui ont émergé de votre débat pour l’instant ?
Je ne peux aujourd’hui évoquer les mesures phares concrètes issues de plus de mille contributions. Après le 15 mars, nous avions besoin de quelques jours pour en finaliser l’analyse et réaliser la synthèse que nous publions aujourd’hui. D’ores et déjà les architectes demandent que le logement soit une priorité nationale, en soutenant la qualité de la production, en assurant l’adaptabilité, l’accessibilité et la mixité de l’habitat.
Ils réclament la rénovation massive de l’habitat existant, enjeu social et écologique, en intégrant les exigences de santé, par la réalisation d’un diagnostic global réalisé par un architecte, mais aussi un financement de la rénovation par la densification des zones pavillonnaires. De plus, l’approche écologique et environnementale est forte avec la volonté de développer l’usage des matériaux bio sourcés, en ne prescrivant que les matériaux sans aucune émanation nocive, recyclables, traçables. La préservation des terres naturelles et ses sols destinés à l’agriculture biologique de l’urbanisation est aussi une préoccupation visant à restaurer la biodiversité, avec notamment l’idée de réparer les centres villes et requalifier les zones périphériques.
Autre aspect, les architectes souhaitent une simplification des règles d’urbanisme et un vrai investissement dans l’urbanisme réglementaire, ainsi que le permis déclaratif quand un architecte est l’auteur du projet et l’exemplarité des procédures de marchés publics grâce à des choix qualitatifs et aux concours, tout comme une fiscalité de la construction et des aides simples et pérennes, ou encore la présence d’architectes conseils au sein des collectivités pour davantage de liens avec celles-ci.
D’après-vous, que disent ces propositions des changements à venir et comment les intégrer dans la pratique de l’architecture aujourd’hui ?
Les architectes ont été des moteurs quant à la sensibilisation de la filière bâtiment sur la qualité environnementale et bâtie. Ce sont eux qui l’intègrent dans les projets. Aujourd’hui, ils veulent aller plus loin et intégrer également la biodiversité, augmenter la prise en compte des considérations de santé, ne pas se contenir, comme le font trop les aides financières, les textes et règlements, à la seule dimension énergétique, mais au contraire avoir une vision écologique globale qui intègre les considérations économiques et sociologiques, et les évolutions des modes d’habiter.
Les architectes veulent que la réflexion urbaine et architecturale soit un préalable à l’acte de construire. L’urbanisme et l’architecture durables doivent répondre aux besoins de l’instant et permettre d’anticiper besoins de demain, ce que n’avait pas intégré les constructions massives de logements des années 60, ou le développement anarchique des lotissements, ni même le déploiement compulsif des zones commerciales périurbaines.
Considérant que ce débat puisse provenir d’une volonté de démocratie de plus en plus forte pour les citoyens, à quel niveau les architectes peuvent-ils contribuer eux aussi à donner plus de place aux citoyens dans la réalisation du cadre de vie de tous ?
Pour participer à cela, nous étudions et accompagnons les expériences d’habitats participatifs et de rénovation urbaine exemplaires, nous prônons le concours architectural qui permet la transparence des choix d’aménagement et qui inscrit la production de la ville dans une démarche qualité.
En quoi les architectes participent-ils à la transition écologique ? Par quelles actions deviennent-ils des acteurs clés pour cet enjeu majeur ? Comment ce nouvel enjeu transforme-t-il l’architecture et le métier d’architecte ?
Les architectes ont le monopole de l’acte de conception. Ils conçoivent et prescrivent 60 milliards de travaux chaque année. Nous demandons donc à nos clients d’avoir des exigences à la hauteur de l’enjeu. Les architectes sont des militants de l’intérêt public, formés et compétents, ils réclament de pouvoir aller plus loin dans la réflexion et l’expérimentation sur la transition écologique. Il faut également que les pouvoirs publics le comprennent et nous associent davantage dans la définition de leurs politiques concernant l’aménagement et la construction durables.
Avec le Conseil National de l’Ordre des Architectes, cela fait plus de 20 ans que nous formons, durant leurs études puis en formation continue, les architectes sur ces problématiques. Nous avons développé des outils numériques spécifiques. Nous lançons une plateforme innovation sur la transition écologique qui va être un lien entre toutes les initiatives et qui va notamment mettre en avant les expériences réussies nationales et internationales, les thèses, diplômes, articles et recherches sur cette thématique fondamentale.
Avec l’ensemble de ces changements en cours, comment voyez-vous l’avenir de votre profession dans les années à venir ? Qu’est-ce que ces derniers apporteront à la ville de demain ?
Les agences d’architecture constituent 20 000 startups réactives, souples, maîtrisant la révolution numérique, implantées partout, qui moralisent le marché de la construction et permettent souvent de rendre possible l’impossible. Je crois qu’aucun acteur ne peut jouer ce rôle et que l’architecte, qui existe depuis l’antiquité, a des siècles d’histoire devant lui s’il reste un facilitateur dans un monde complexe.
Nous nous opposons à la marchandisation de la ville et du logement, aux lois et règlements conçus pour satisfaire des lobbies puissants, et où finalement l’intérêt citoyen pèse peu face aux logiques de profit. Nous militons donc pour une société inclusive, douce et soucieuse du bien-être de chacun, que l’habitant soit riche ou pauvre, en intégrant des objectifs écologiques, urbanistiques et architecturaux élevés. Si cette voie est prise, sociologues, urbanistes, paysagistes, écologistes et bien sûr les architectes, tous ceux qui cherchent à définir un monde meilleur mais aussi synthétisent et formalisent spatialement cette réflexion, auront une place essentielle.