Qui n’est pas admiratif face à la beauté de Notre Dame de Paris ? Les grands monuments d’architecture dégagent une aura digne d’admiration et donnent l’impression que de telles prouesses sont impossibles à réaliser aujourd’hui, avec les moyens connus à l’époque. Les méthodes de construction ont bien évolué depuis l’antiquité et le Moyen-âge, mais certains savoir-faire semblent s’être perdus. Dépendants des machines et de l’assistance des technologies, victime d’une disparition progressive des corps de métiers de l’artisanat, sommes-nous toujours des bâtisseurs ? Faut-il s’inspirer uniquement de l’ancien et y être fidèle, ou pouvons inventer une nouvelle beauté ?

S’inspirer des bâtisseurs d’hier ?

Comment les pyramides égyptiennes ont-elles été construites ? Cette question a hanté les archéologues et nourrit les théories les plus folles. Cas de bon nombre de sites archéologiques, le mystère de leur construction est un sujet récurrent qui anime une quête sans fin : comment l’humanité bâtit-elle l’impossible ?

De cette recherche de réponses est née l’archéologie expérimentale, qui s’applique autant aux méthodes de construction, que dans d’autres cas comme la découverte des modes de vie passés. Ainsi, il s’agit non pas de créer une reproduction identique, mais plutôt de mener une quête des méthodes, des gestes, des savoir-faire d’antan par la pratique sur des cas concrets, avec des outils identiques à ceux présents à l’époque. Cette discipline cherche à répondre à divers questions scientifiques et à éclairer des zones d’ombres laissées par l’Histoire, par des tests et des mises en situation dans le monde réel. Par exemple, cela peut être de simuler la vie quotidienne dans une maison d’époque.


Chantier de Guédelon – Source Pixabay

Véritable cas d’école de l’archéologie expérimentale, par exemple, le château de Guédelon en Bourgogne se construit depuis 1995 selon les techniques d’époque et avec les matériaux utilisés au Moyen-Âge. Le site est ouvert au public pour servir de support pédagogique et financer la construction du château. Et un village accueille et regroupe l’ensemble des ateliers des artisans qui travaillent sur le chantier. Lieu pédagogique, expérimental et de recherches pour les archéologues, il sert à développer et maintenir les savoir-faire ancestraux, mais aussi mettre en pratique les techniques connues ou suggérées.

Une beauté d’hier parfois romancée qui fascine

Nos villes d’hier sont-elles plus belles que celles d’aujourd’hui ? Il est fort probable que le charme de la Cité de Carcassonne, du centre-ville d’Avignon ou même de l’atmosphère du village sur le Mont-Saint-Michel vous touche davantage que le quartier de Pudong à Shanghai ou que les avenues de Manhattan. Mais peut-on réellement comparer deux modèles urbains aux temporalités et matérialités si différentes ?


Mont Saint-Michel – Source Unsplash

Encore ne faut-il pas oublier que la beauté du passé s’est souvent construite sur des siècles. D’abord, les temps de construction étaient d’une durée sans pareil avec les chantiers d’aujourd’hui où nos gratte-ciel grimpent vers les voûtes célestes en seulement quelques années. Ensuite, pour bon nombre de monuments historiques, l’embellissement a été progressif, s’ajustant au fil des siècles avec des ajouts successifs.

Notre Dame de Paris ne déroge pas à la règle. Sa lente construction de 107 ans, d’où l’expression populaire, fait cohabiter différents styles du gothique primitif au gothique rayonnant. C’est le cas de beaucoup d’églises et cathédrales qui se sont adaptées pour intégrer les techniques développées le temps de leur construction. De plus, au 19ème siècle, la cathédrale délabrée est restaurée sous la direction de l’architecte Viollet-le-Duc qui prend la liberté d’y ajouter la très célèbre flèche, aujourd’hui effondrée et qui déchaîne déjà les passions après l’annonce d’un concours architectural pour la reconstruire. Il y ajoute également d’autres éléments, notamment une statue portant son visage, ainsi que quelques motifs anachroniques.

Sa vision du patrimoine est controversée : Viollet-le-Duc ne reconstruit pas à l’identique, mais embellit en puisant dans l’art de l’époque pour proposer des ajustements, des arrangements en accord avec les techniques et l’univers d’antan. Une approche qui questionne car elle met en scène le réel. N’a-t-il pas finalement retouché à leur avantage les bâtiments à réhabiliter pour leur donner une beauté fabriquée et romancée correspondant aux critères esthétiques de son époque ?

Se pose alors la question suivante : faut-il reconstruire ce qui est perdu de manière identique ? Ou y apporter une touche de modernité ? Un débat éternel qui rythmera les choix qui seront pris pour la reconstruction de Notre Dame de Paris.

Restaurer et développer les savoir-faire d’antan

Sans la préservation des savoir-faire, sans le métier de restaurateur et d’artisan, de tels chantiers expérimentaux ou de réhabilitation seraient impossibles. Mais comment perpétuer ces connaissances des méthodes ancestrales, des gestes et des techniques constructives passées. Il s’agit de métiers qui sont manuels et qui peinent à attirer les jeunes, notamment pour leur caractère exigeant et physiquement épuisant. De plus, il s’agit souvent de métiers précaires. Et encore faut-il développer davantage de débouchés et de formations dans ces métiers, tout en leur donnant plus de place dans nos sociétés, ainsi qu’un avenir en menant notamment divers chantiers de restauration. Or, avec des budgets dédiés au patrimoine qui diminuent et se restreignent, beaucoup de collectivités françaises n’ont pas les moyens d’investir dans la conservation et la restauration.

Ainsi, depuis 1966, l’association Rempart propose différentes missions de bénévolat sur des chantiers de restauration patrimoniale pour prêter main forte aux équipes investies au quotidien. Une occasion aussi de se former à ses savoir-faire ancestraux, ils proposent également des stages techniques pour apprendre différents métiers artisanaux d’antan. Les chantiers de rénovation servent alors pour la transmission et ont une visée pédagogique. Un bon moyen de soutenir le patrimoine local, mais aussi de créer une animation locale et de faire du lien social autour de projets en commun.


La basilique Saint-Denis en 1844-1845 avant la destruction de la tour

D’ailleurs, pour la reconstruction de sa flèche, la Basilique de Saint Denis proposera dès 2020 un chantier ouvert au public, dans le but de montrer les différentes techniques anciennes de pierre de taille, de mise en place des pierres sur l’édifice. L’envie est de créer une attraction culturelle qui attirera les curieux avides d’en savoir plus sur les chantiers médiévaux. Un projet d’ampleur qui cherche à donner une nouvelle image de la ville et initier une attractivité nouvelle pour le quartier.

Quel équilibre subtil entre passé et présent ?

Le domaine de l’artisanat est en perpétuelle transformation. Les techniques du passé côtoient des techniques modernes et revisitées pour des œuvres actuelles en évolution. Cela permet toujours plus d’expérimentation et le développement de nouvelles manières de faire. C’est cette hybridation qui renouvelle l’art et rend les ouvrages et les œuvres si belles.

Pour la ville, il en va de même. Ne tombons pas dans le pastiche en juxtaposant patrimoine et projet récent imitant l’ancien. Car le faux-vieux peut sonner faux. Il s’agit alors surtout de créer une cohérence, un dialogue entre les architectures pour proposer des projets qui s’intègrent pleinement dans l’univers existants. Si les projets de Viollet-le-Duc sont finalement réussi, c’est qu’il a su fondre son art dans ce qui existait déjà. D’autres projets plus audacieux peuvent voir le jour mêlant architecture ancienne et moderne. Et si le défi était là ? Beaucoup de centre historique sont confronté à cette question, comment se moderniser tout en préservant l’âme et l’atmosphère créées par les bâtisses d’antan ? On peut penser notamment à la transformation réussie du Palais du Louvre avec l’ajout en 1989 des pyramides de Ieoh Ming Pei qui a su ajouter une atmosphère particulière et subtile à la bâtisse d’origine sans lui faire d’ombre, mais au contraire en lui donnant une nouvelle ampleur.


Source Unsplash @paul_nic

Demain, il est fort probable que nous ne construirons pas de cathédrales médiévales en pierre de taille à l’image de Notre Dame de Paris, ou ni même de projets architecturaux avec des chantiers aussi longs que celui de la Sagrada Familia de Gaudi toujours en construction. Néanmoins, nos techniques modernes et l’architecture contemporaine réinventent les formes, les textures pour proposer d’autres esthétiques et beautés. De nouvelles façons de faire, matériaux, technologies, nous permettront d’inventer d’autres œuvres architecturales qui sauront marquer notre temps et notre Histoire. Le débat reste ouvert, chaque nouvelle réalisation passe souvent par la critique avant d’être adoptée, comme cela a pu être le cas pour la Tour Eiffel jugée comme « inutile et monstrueuse » pour un ensemble d’intellectuels tel que Maupassant ou Zola, alors qu’aujourd’hui elle figure comme un des monuments les plus emblématiques au monde. Encore faut-il réussir le pari de créer un ouvrage qui parviendra à entrer en résonance avec son temps, et c’est cela qui fait la magie de ces œuvres qui traversent les âges en devenant alors universelles.

Photo de couverture – source