Le confinement a amené avec lui son lot de privation : fouler les pavés des rues est devenu une pratique rare. À la suite de l’annonce du déconfinement et après avoir observé pendant des semaines les rues vides depuis leurs fenêtres, les urbains ont réinvesti petit à petit l’espace public. Le beau temps et la fermeture temporaire des lieux accueillant du public, ont donc poussé les habitants à s’installer sur un banc, au bord de l’eau ou dans l’herbe pour profiter des retrouvailles.
Face à la crise sanitaire, de nombreuses villes ont pris les devants pour s’adapter à la situation obligeant la distanciation sociale. Certaines se sont donc mobilisées pour modifier leurs espaces publics pour assurer la sécurité sanitaire dans les pratiques habitantes : élargissement des trottoirs et des terrasses des restaurants, transformation des voies de circulation automobile en pistes cyclables. La ville post-covid ne serait-elle finalement pas celle de l’espace public partagé et approprié ?
Quand l’urbanisme tactique se met au service d’une ville partagée
À situation inédite, réponse inédite : face aux besoins urgents de transformer les villes, l’urbanisme tactique consiste à adapter les espaces en fonction des besoins immédiats. Depuis quelques années, déjà de nombreux acteurs de la ville soulignent ses capacités de résilience. Il s’est imposé comme une solution idéale à la modification rapide et à moindre coût des espaces urbains.
Encore peu utilisé en France, l’urbanisme tactique a déjà fait ses preuves dans de nombreuses métropoles mondiales, qui ont d’ailleurs elle-même rapidement réagi pour transformer leur ville face à l’épidémie. C’est par exemple le cas de la capitale colombienne Bogota qui s’est imposé comme un exemple international de réactivité : dès le 23 mars, la ville a développé 22km de pistes cyclables sur les 545 kms déjà aménagés afin de décongestionner les transports en commun, et offrir aux habitants d’accéder plus facilement à une mobilité assurant les normes sanitaires. La mairie, fortement à l’écoute des besoins de ses habitants, a déployé jusqu’à 117 kms de pistes cyclables supplémentaire, pour aujourd’hui retomber à 76 kms. Une flexibilité des aménagements, à moindre coût, qui a permis à la capitale en un temps record de s’adapter au mieux aux besoins de ses usagers.
Bogota est loin d’être un cas unique : New-York, Berlin et même Paris ont également adopté l’urbanisme tactique pour transformer leurs rues. À Paris, la rue de Rivoli a été fermée aux voitures suite à l’annonce du déconfinement. Les bars et restaurants se sont vus accorder des extensions de terrasses leur permettant alors de compenser les places intérieures supprimées par les règles sanitaires imposées. Les trottoirs ont été élargis pour éviter la concentration humaine, et certaines rues ont été transformées en pistes cyclables. En moins d’une semaine, la ville s’est métamorphosée, les rues se sont de nouveau remplies et les habitants se sont réappropriés leurs espaces.
Crédit photo ©Camille Gévaudan via Flickr
La crise sanitaire engendrée par le coronavirus semble avoir actionné des transformations pour lesquelles de nombreuses personnes militaient : elle a de fait obligé, pour respecter les normes sanitaires et assurer la sécurité de tous, les collectivités à travailler rapidement à une ville partagée. Les rues ont été rendues aux mobilités douces et aux piétons, les places aux restaurants et aux cafés. Et après deux mois de confinement, les urbains sont au rendez-vous.
Quand l’espace public devient support des activités
Les normes sanitaires imposées suite à l’annonce du déconfinement ont obligé de nombreux lieux et équipements à garder leurs portes fermées. Mais certains ont choisi de délocaliser leur activité en extérieur : les clubs de sports et les cinémas proposent, par exemple, des séances en plein air…
©Kate Trifo via Unsplash
La métropole lyonnaise, à quant à elle, prévoit cet été un festival culturel à l’air libre : afin de pallier la fermeture des lieux de culture, un appel à projets a été lancé proposant aux artistes, comédiens, danseurs et habitants à venir investir tout au long de l’été l’espace public.
Ce genre d’initiatives s’inscrit également dans une volonté de redonner plus de pouvoir aux habitants dans l’usage de l’espace public. La crise sanitaire a, en partie, re-questionné la place de la voiture dans les grandes métropoles. Après deux mois d’arrêt, chacun a pu se rendre compte des bienfaits d’une ville sans voiture, plus calme et moins polluée. Afin de faire perdurer cette dynamique et d’assurer la distanciation sociale entre les passants, certaines villes créent nouveaux espaces publics en réduisant la place de la voiture : en effet, 70 demandes de piétonnisation de rues ont également été soumises à la Mairie de Paris pour pouvoir élargir ces terrasses dans des conditions de sécurité optimales. Elles sont actuellement à l’étude. Parmi les piétonnisations envisagées, citons la rue Mouffetard, la rue des Moines, la rue du Temple ou encore l’avenue Secrétan.
L’homme a su faire preuve de résilience en réinventer sa manière de pratiquer la ville pour répondre aux besoins immédiats. L’été 2020 risque donc d’être bel et bien un été d’expérimentation où l’ensemble des pratiques urbaines, touristiques, festives, sportives et culturelles vont devoir être repensées pour permettre aux habitants de vivre pleinement cette période. Ce sera l’occasion de faire de ces espaces publics urbains, souvent figés et monofonctionnels, des espaces malléables et mutables, partagés par l’ensemble des usagers sur des temporalités variées.
Il se pourrait bien que cet engouement pour reconquérir l’espace public par les habitants s’inscrive dans la durée. L’avenir sanitaire incertain obligera certainement les élus et leurs villes à se réinventer pour faire perdurer cette dynamique. Pour cela, ils devront s’appuyer sur des pratiques et innovations internationales qui pourront venir enrichir les visions de chacun.
La ville doit à son tour faire preuve de résilience et faire de cette crise une opportunité pour se réinventer, au service d’une ville partagée et plus vivante.
Crédit photo de couverture ©Bastian Greshake Tzovaras via Flickr