La course, et notamment sur longue distance, a très longtemps été un sport pratiqué dans les stades d’athlétisme. On cherchait alors l’excellence et à réaliser des performances sportives toujours plus rapides. Ainsi, on ne courait jamais dans l’espace public et le temps n’était pas à la course pour le plaisir. Pourtant, à partir des années 1970, la pratique de ce sport est peu à peu déployée dans le reste de la ville, conquérant ainsi de plus en plus d’adeptes. Avec environ 13,5 millions de runners aujourd’hui, dont 76% habitants en zone urbaine, le succès du running n’est plus à démontrer dans la ville. Mais pourquoi ce sport réussit-il à séduire les citadins ? La ville est-elle réellement un espace adapté à cette pratique ? Et plus généralement, peut-on vraiment avoir une pratique sportive en ville ?

Le running en ville : répondre à un nouveau mode de vie urbain

Depuis 2015, la santé est devenue la préoccupation première des français. Pendant longtemps ignorée, il semblerait que les français fassent de plus en plus attention à leur façon de vivre, que ce soit par l’alimentation ou encore le sport. Cette nouvelle prise de conscience se traduit par une augmentation accrue du nombre de sportifs, et notamment des sportifs de “loisirs”, c’est-à-dire une pratique en dehors des clubs sportifs. En tout aujourd’hui, ce sont plus de 30 millions de français qui pratiquent une activité sportive régulière.

L’augmentation de la pratique sportive, rĂ©pondant Ă  une plus grande attention portĂ©e Ă  l’état de santĂ©, s’accompagne Ă©galement d’une mutation de la façon de pratiquer le sport. Au fil des annĂ©es, la pratique sportive devient de plus en plus urbaine. Elle rĂ©pond en effet Ă  un nouveau besoin du mode de vie urbain : avoir une activitĂ© Ă©nergĂ©tique importante sans avoir besoin de sortir de la ville. La pratique sportive urbaine (que cela soit le skateboard, le basket, le BMX ou encore la course) se soustrait aux règles classiques du sport fĂ©dĂ©ral. Pas besoin de respecter des horaires fixes, d’entraĂ®neurs Ă  Ă©couter, de licences Ă  acquĂ©rir, c’est la libertĂ© de pratiquer quand on le souhaite avec qui on veut, beaucoup d’avantages qui rĂ©sonnent dans la tĂŞte des citadins. En sortant des codes fermĂ©s du sport fĂ©dĂ©ral, le running conquiert de plus en plus de personnes, trouvant dans la flexibilitĂ© de sa pratique de rĂ©els avantages. Grandement apprĂ©ciĂ© du public fĂ©minin, le running est adoptĂ© par tous types de profils et tous les âges. Ainsi, on peut facilement commencer Ă  courir peu importe son âge et les progrès sont rapidement mesurables, de quoi encourager Ă  continuer et en faire une nouvelle habitude.

Seul ou Ă  plusieurs, la pratique du running s’adapte selon les envies – CrĂ©dit photo ©Curtis MacNewton via Unsplash

Il faut dire que la pratique de la course en ville a un double avantage. Elle peut-ĂŞtre totalement solitaire : le sportif sort de chez lui courir quand il le veut, sans dĂ©pendre de quelqu’un. Ou au contraire, cette pratique peut devenir un temps fort de sociabilitĂ© : des challenges sont lancĂ©s entre collègues pour s’entraĂ®ner avant une course spĂ©ciale, les amis s’encouragent dans l’effort, des groupes peuvent se former. Le dĂ©veloppement des entraĂ®nements collectifs illustre bien une volontĂ© commune de faire de cette activitĂ© un moment de rencontre. Derrière la pratique sportive, c’est bel et bien une pratique communautaire qui se met en place. Avec des codes, pratiques et tenues vestimentaires communes, il est vite facile d’intĂ©grer la grande famille du running. LĂ  oĂą en ville il est quelquefois compliquĂ© de rencontrer de nouvelles personnes, la course le permet assez facilement.

Le running est également l’une des pratiques sportives les plus connectées. Il existe un nombre impressionnant d’applications mobiles qui permettent d’améliorer ses capacités, mais également partager ses courses et performances atteintes (temps de course, kilomètres parcourus) avec le reste de ses amis, mais aussi rencontrer du monde en pouvant identifier ceux qui utilisent les même circuits de courses. Ainsi, les applications existent également pour trouver de nouvelles personnes avec qui aller courir, de quoi être sur de rencontrer des nouvelles personnes qui ont des points communs avec soi.

Le développement des gammes vestimentaires et des chaussures à des prix très accessibles par des grandes enseignes sportives a également aidé la démocratisation de la course. C’est ainsi l’un des sports les moins onéreux actuellement car comme dit précédemment, il n’y a pas besoin de payer de licence ou encore d’équipements spécifiques. De quoi séduire encore plus de sportifs.

Le running répond donc sur beaucoup de points au mode de vie urbain : flexibilité, gratuité, connectivité, accessibilité, autant de points forts qui permettent aux citadins de pouvoir s’épanouir dans cette pratique sportive. La ville devient donc le principal lieu du running, mais quels sont les avantages qu’elle peut offrir aux coureurs ?

L’espace urbain, une multitude de lieux appropriables par le sport ?

La ville, dans sa spatialité, offre une large quantité de choix de lieux pour pratiquer le running. Grâce à la géolocalisation utilisée par les applications de running, il est désormais possible d’analyser les flux des coureurs en ville pour déterminer les lieux qui sont privilégiés par ces derniers. Sans grande surprise, les parcs urbains et berges de fleuves ou mers, ainsi que les cheminements réservés aux piétons, sont largement favorisés par les coureurs. Souvent éloignés des voies de circulation pour les automobiles, ces espaces offrent une pratique plus sécuritaire de la course. Le lien avec la nature semble également être apprécié par les runners : les parcs et berges proposent des espaces beaucoup plus végétalisés que le reste de la ville.

Serait-ce l’inconscient des runners qui cherchent à s’éloigner de la pollution qui s’exprime ici ? Mais ces lieux proposent surtout de larges surfaces planes, sans trop d’obstacles, facilitant la pratique de la course. En dehors de l’espace physique que la ville propose, de nombreux aménagements peuvent servir à la pratique de la course. Les escaliers sont fortement appréciés des coureurs les plus férus de cardio. De même le mobilier urbain peut être le support d’un pratique sportive, notamment les étirements pour l’usage le plus basique.

Cette appropriation par la course de l’espace urbain est d’autant plus visible qu’il y a de plus en plus d’évènements, de temps forts urbains, exclusivement dédiés à cette pratique en ville. Marathons, semi-marathons, urban-trail ou encore courses solidaires soutenant une cause, chaque ville accueille sa compétition de running et attire le temps d’un week-end les foules. Le week-end dernier, pour la 43ème édition du marathon de Paris, ce sont 49 155 coureurs qui ont foulé les pavés des grandes voies de la capitale. Devenu à part entière un élément marketing urbain, ces grands événements sportifs mettent à l’arrêt les rues le temps d’un moment, et proposent de (re)découvrir la ville d’une manière insolite. Attention cependant à ce que ces événements ne poussent pas à la gentrification de ce sport, avec des prix assez élevés pour l’inscription des participants.

Le marathon de Seattle attire chaque annĂ©e environ 18 000 coureurs – Photo via Needpix

C’est d’ailleurs sur ce concept que s’est créé l’urban trail de Lyon en 2007. Avec plus principale slogan “La ville comme vous ne l’avez jamais vu”, cette course propose ainsi un parcours technique amenant des coureurs dans de nombreux lieux de la ville, comme des places, des parcs ou encore des bâtiments.. Avec plus de 6000 marches d’escaliers à gravir et 1500 mètres de dénivelé, les coureurs ont pu cette année découvrir le Conservatoire National de Musique ou encore les théâtres Gallo-Romains de la colline de Fourvière : l’occasion d’allier défi sportif et découverte touristique.

Le sport en ville, une bonne idée ?

De prime abord, sport et ville ne font pourtant pas forcément bon ménage. La qualité de l’air dans les villes est loin d’être idéale pour la pratique sportive, nous en parlions ici. Les nombreux rejets de dioxyde de carbone liés à la circulation de véhicules motorisés sont dangereux pour l’ensemble des habitants d’une ville, mais deux fois plus lors de la pratique d’un sport, car les sportifs inhalent en moyenne plus d’air durant l’effort. Lors des pics de pollution, il est d’ailleurs conseillé de diminuer au maximum ses activités physiques pour ne pas augmenter les risques liés à la pollution et notamment l’asthme.

En dehors de la question de la pollution, la pratique du running en ville est souvent confrontée aux problèmes liés aux différents flux d’usagers. Le partage des espaces entre piétons, coureurs, cyclistes et automobilistes est parfois compliqué. Cela peut engendrer des conflits ou plus grave des accidents. A l’instar des pistes cyclables de plus en plus fréquemment aménagées dans les villes, des espaces réservés aux coureurs, au vu du succès que rencontre ce sport, pourrait être pensés dans une optique d’amélioration de la gestion des flux des différents usagers de la ville.

De mĂŞme, la question des textures des sols ne semblent pas vraiment adaptĂ©e Ă  la courses. Les pavĂ©s sont de vĂ©ritables pièges Ă  chevilles foulĂ©es, et la pratique de la course sur sol dur peut engendrer des blessures chez certains coureurs, amplifiant la rĂ©sonance des chocs. Le sols plus mous, comme les sols en terre ou en stabilisĂ©, peu prĂ©sents en ville, sont pourtant plus adaptĂ©s Ă  la pratique de la course notamment pour prĂ©server les articulations. Les rĂ©-introduire en ville pourrait Ă  la fois ravir les runners, mais Ă©galement amĂ©liorer la gestion des eaux pluviales, souvent catastrophiques en ville,  en facilitant leur infiltration.

Les textures de sols peuvent se rĂ©vĂ©lĂ©es parfois inadaptĂ©es Ă  la course – CrĂ©dit photo ©Flo Karr via Unsplash

De nombreux aménagements peuvent donc être imaginés pour améliorer les conditions de la pratique de la course, et plus largement du sport, dans l’espace urbain. Source de sociabilité, mais également pratique nécessaire à une hygiène de vie correcte, il ne faut surtout pas que la ville devienne un obstacle pour sa pratique. De petits dispositifs peuvent être alors pensés pour inciter les personnes à se mettre au sport, mais également pour montrer comment utiliser ce que la ville offre déjà pour se mettre en mouvement. A Eindhoven, aux Pays-Bas, en partenariat avec une entreprise Strasbourgeoise Denovo, la municipalité à imaginer une série de pancarte disposée dans la ville à destination des personnes âgées. En expliquant différents exercices réalisables avec le mobilier urbain présent, la ville a finalement créé un parcours de santé sans réaliser aucun travaux. Une façon originale et économe d’inciter tout type de public à la pratique sportive, et surtout de quoi donner l’inspiration pour nos villes françaises !

Crédit photo de couverture ©Marie Noëlle LOYAUX via Unsplash