Lancée il y a une dizaine d’années par les associations militantes Gaia et Zero Waste Europe, l’initiative de la journée mondiale sans sac plastique, le 3 juillet, invite les politiques, associations, entreprises et citoyens à organiser des événements visant à interdire la production et la distribution de sac plastique à usage unique dans le monde. Cette opération fait suite à une prise de conscience internationale sur les dangers du plastique pour la faune, la flore et la santé humaine.
L’idée n’est donc pas uniquement d’éliminer progressivement les sacs plastiques à usage unique de nos habitudes, ou promouvoir des sacs organiques et réutilisables, mais également de faire du 3 juillet une occasion de repenser notre mode de consommation pour qu’il soit plus responsable, durable et écologique. Le sans plastique devient ainsi un objectif écologique à part entière, dont les entreprises, les citoyens mais aussi les villes se saisissent avec de plus en plus d’intérêt.
La ville sans plastique est d’ailleurs devenue un marqueur prégnant des politiques urbaines ces dernières années dans la droite ligne de la tendance individuelle du “zéro plastique”. Mais quels sont les enjeux de la ville sans plastique ?
L’omniprésence du plastique dans notre quotidien : une tendance récente
Le plastique fait partie intégrante de notre quotidien. Emballages, gadgets, technologies, mobilier, vêtements… il est devenu quasiment impossible de passer une journée sans le toucher dans une de ses nombreuses formes. Et pour cause, il présente de nombreux avantages, avec en tête sa flexibilité et son bas coût de production. Pourtant, ce matériau nous est familier seulement depuis peu de temps, car les méthodes d’usinage du plastique synthétique n’ont été développées qu’au début du siècle dernier. C’est vraiment à partir des années 1960 que la production mondiale de plastique explose alors que celui-ci devient objet d’une consommation de masse pour toute sorte d’objets du quotidien.
Ainsi, sur toute l’histoire de l’humanité de la fabrication du plastique (et ses premières utilisations remontent à l’Antiquité avec la transformation des caoutchoucs et latex naturels), la moitié des matières plastiques produites ont été fabriquées après 2005 ! Sachant que depuis, la production de plastique mondiale augmente en moyenne de 3% par an, on estime qu’en 2019, c’est plus de 370 millions de tonnes métriques de plastique qui ont été produites. Aucun autre matériau synthétique n’a jamais été érigé en pareil phénomène de consommation de masse.
Et si on en produit, on en jette aussi. Beaucoup. Ce sont les chiffres qui le montrent le mieux : dans le monde, on jette 1 milliard de pailles non recyclables chaque jour, on vend près d’un million de bouteilles en plastique chaque minute, et on consomme 10 millions de sacs plastiques par minute, soit 500 milliards par an. Sachant que 40% du plastique mondial n’est utilisé qu’une fois avant d’être jeté ! Le plastique fait donc partie intégrante de la culture consumériste contemporaine et une telle consommation a forcément des conséquences sur l’environnement.
La pollution plastique : le mal du siècle !
Exportés, brûlés ou abandonnés dans la nature, la majorité des déchets plastiques produits actuellement ne sont pas recyclés. Nombre sont disséminés dans l’environnement, majoritairement transportés par les eaux. Aussi, ce sont environ 10 millions de tonnes de plastiques qui finissent tous les ans dans les océans et la plus grande décharge de plastique à ciel ouvert flotte d’ailleurs aujourd’hui dans l’océan Pacifique entre les Etats-Unis et le Japon. Parfois surnommée cyniquement “le huitième continent”, elle forme une île de plus d’1,6 millions de kilomètres, soit 3 fois la surface de la France et s’étend chaque année.
Les estimations sur la durée de vie du plastique vont de 450 ans à l’infini selon le produit usiné, la dégradation du plastique est donc extrêmement longue et a des conséquences néfastes graves sur la flore, la faune et la santé humaine. Les microplastiques, particules dégradées de moins de 5 millimètres de diamètre, sont particulièrement nocifs. Rendus invisibles et aériens par la décomposition, ils sont transportés par les vents et les flots jusqu’en dans l’estomac de tous les êtres vivants.
On estime ainsi qu’environ 700 espèces d’animaux marins ingèrent régulièrement du plastique présent dans les océans et que les espèces d’oiseaux présents en ville en consomment quotidiennement. Or, bon nombre de ces espèces font partie intégrante de notre alimentation et les carnivores ingèrent jusqu’à 11 000 microparticules par an. Les hydrocarbures présents dans le plastique sont malheureusement hautement toxiques et cancérigènes pour les animaux comme pour les Hommes. Dans ces conditions, la pollution plastique émerge comme un problème environnemental et sanitaire majeur. Il apparaît nécessaire de vite repenser un usage responsable de ce matériau !
Photo Naja Bertolt Jensen/Unsplash
Réduire la consommation en plastique : quels enjeux à l’échelle de la ville ?
Pour réduire la consommation en plastique mondiale, nombre de pays adoptent des mesures nationales limitatives. La Corée du Sud a par exemple interdit les sacs plastiques et les tasses à café jetables en 2018 quand l’Inde a voté l’interdiction de tous les plastiques à usage unique pour 2022. Depuis 2016, les sacs plastiques à usage unique sont également interdits à la vente en France, mais le jetable est encore présent partout en raison d’un faible contrôle. Aussi les poubelles des français sont encore remplies à 50% d’emballages contenant pour la plupart du plastique !
L’inefficacité des mesures limitatives nationales encourage les politiciens à penser une meilleure régulation de la consommation en plastique à une autre échelle d’action publique. Et c’est l’échelle de la ville qui semble privilégiée en France. Tout d’abord, parce que la ville est le lieu où les déchets plastiques sont majoritairement produits et consommés. Ensuite, parce que la collecte et la gestion des déchets sont déjà une des compétences des communes et des métropoles ; les élus locaux et services administratifs ont une bonne connaissance des systèmes de tri et de recyclage. Enfin, parce que la ville apparaît comme l’échelle appropriée pour créer un écosystème fin et constructif d’habitants et de commerçants tendant à un mode de consommation plus responsable et durable.
En effet, de nombreux citoyens s’essaient déjà individuellement au zéro déchet à la maison et la tendance est également adoptée par de plus en plus de commerçants. Une mise en réseau et en cohérence des pratiques apparaît aujourd’hui comme la prochaine étape de la transition vers le sans plastique dans une démarche incitative et collective. Car la ville sans plastique est finalement moins un objectif radical à court terme qu’une démarche progressive de sensibilisation, d’incitation et de mise en cohérence des objectifs de réduction des déchets. Le sans plastique apparaît alors comme une ligne de conduite à suivre et un moyen d’alerter les citoyens sur les dangers du plastique.
La démarche étant majoritairement incitative, certains citadins questionnent cependant un véritable investissement de leur ville, qualifiant parfois les actions politiques trop légères de green washing dans un contexte de lutte contre une problématique sanitaire et écologique majeure !
Consommer mieux et recycler mieux : les deux facettes de la lutte contre la pollution plastique
Les villes multiplient alors les interventions pour réduire la consommation en plastique locale. Dans une démarche majoritairement incitative et de soutien aux initiatives habitantes, elles tendent à limiter l’usage du plastique pour réduire sa production mais aussi à optimiser le recyclage des déchets. La crise sanitaire ayant impulsé un renouveau des pratiques de consommation, beaucoup de collectivités poursuivent et approfondissent les démarches engagées ces derniers mois.
En 2020, la vente en vrac a progressé de 41% en France ! Les citoyens, de plus en plus conscients de l’impact de leurs pratiques de consommation sur l’environnement, redécouvrent des usages oubliés et pourtant pas si anciens tels que la vente en bocaux ou en vrac, le recours aux sacs en toile et aux consignes, ou encore le charme des marchés. Les villes sans plastiques soutiennent le développement de commerces alternatifs par divers financements et campagnes de communication, aspirant à ce qu’ils deviennent la norme. Et si le plastique est encore présent sur les étals, le renouveau des modes de consommation est aussi l’occasion de privilégier l’agriculture biologique, le fait-maison et les circuits courts. Autant de tendances qui, si elles ne vont pas encore assez loin, laissent espérer une transition durable des habitudes de consommation. En 2020, la production en plastique mondiale a baissé pour la première fois depuis 70 ans, faisons en sorte que la tendance se maintienne.
Cependant, les villes ont une grande marge de progression à combler en ce qui concerne le recyclage des déchets. En effet, 50% des déchets plastiques en France ne sont pas recyclés. Le manque de connaissance et d’investissement des citadins, la complexité des circuits de recyclage et la pénurie de moyens des centres de tri sont autant de sujets sur lesquels les villes peuvent agir aujourd’hui. La sensibilisation dès le plus jeune âge et de meilleures campagnes d’information et de communication sur le tri et le recyclage sont à l’œuvre dans la plupart des métropoles. Les installations de recycleries communautaires et participatives se multiplient par ailleurs. Ces dernières permettent un tri plus précis des déchets et facilitent leur réemploi par les entreprises comme les particuliers ainsi que leur transformation, le tout dans une démarche collective et engagée. La mise en place de circuits anti-gaspillage avec des points de collecte et de don est une autre alternative, déjà privilégiée par les associations pour les denrées alimentaires ou les vêtements.
Photo Jasmin Sessler/Unsplash
De plus en plus de villes intègrent ainsi la lutte contre la pollution plastique comme un enjeu prégnant pour la transition de leur territoire et pour assurer un mieux-vivre en ville dans le futur. Cependant, les efforts engagés doivent absolument être approfondis et généralisés rapidement pour espérer enrayer de manière significative la crise écologique des prochaines décennies.
Photo de couverture Etienne Girardet/Unsplash