Une situation préoccupante qui n’est pas nouvelle…

La situation de précarité que vivent de plus en plus d’étudiants n’est pas imputable qu’à la mauvaise conjoncture économique et sociale produite par la crise sanitaire. Si les scènes de files d’attente qui s’étirent devant les banques d’aide alimentaire sont ponctuelles en France, la précarité étudiante est quant à elle chronique. Certes, elle a été renforcée par la crise sanitaire, mais elle lui préexistait de manière moins visible. Depuis les années 1960, en effet, la précarité étudiante est un fléau récurrent. Déjà, les difficultés financières obligeaient une partie des étudiants à effectuer un petit boulot en parallèle de leurs études. Mais cette situation est peu médiatisée : les témoignages se font alors rares, et mesurer la précarité n’est pas aisé. Il faut attendre les années 2000 pour que le sujet vienne sur le devant de la scène médiatique. Aujourd’hui, la crise de la Covid-19 qui plonge davantage tout un pan de la communauté étudiante la tête sous l’eau, rappelle l’urgence de la situation. Sur les réseaux sociaux, les témoignages affluent pour faire entendre la détresse des étudiants.

Le 12 janvier 2021, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal justifiait ainsi dans les colonnes du Monde la fermeture des universités depuis 9 mois : « [le problème] ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ». Pour nombre d’entre eux, c’est la phrase de trop. À Montpellier, des étudiants de sciences politiques décident de créer un mouvement collectif sous le hashtag “Etudiants Fantômes”. Le but ? Donner la parole aux étudiants en grande difficulté. Le mouvement prend de l’ampleur sur Twitter sur lequel des milliers de témoignages sont publiés, le hashtag arrivant même en Top Tendance.

Une précarité étudiante aggravée par la crise sanitaire

La crise sanitaire a des impacts supplémentaires sur les conditions de vie des étudiants. Ces conditions de vie tendent à la baisse généralisée, avec de nouvelles dépenses à prévoir, notamment liées au contexte sanitaire, en étant privé d’entrée d’argent, les emplois étudiants étant souvent dans les milieux les plus touchés par la crise (restauration, aides à la personne, etc.). Quelles conséquences la crise sanitaire et les mesures qui l’ont accompagné ont-elles eu sur le mode de logement, le déroulement des études, les ressources financières et la santé des étudiants ? 

Les mesures gouvernementales prises en réaction à l’épidémie ont bouleversé les conditions de logement pour les étudiants. D’après l’enquête La vie d’étudiant confiné de l’Observatoire National de la Vie Etudiante (OVE),  au moment du premier confinement, près de la moitié des étudiants interrogés ont déclaré avoir quitté le logement qu’ils occupaient habituellement durant une semaine de cours. La tendance profonde observée est celle d’un retour contraint dans la résidence familiale. Certes, les étudiants de retour au domicile familial témoignent en majorité d’un réconfort retrouvé, permettant souvent de rompre avec l’isolement et le sentiment d’enfermement dans des logements plus exigus. Si le foyer familial apparaît pour une large majorité comme un refuge, 34% des étudiants font aussi état de conflits avec leur environnement familial durant le confinement, toujours selon cette enquête. Si elle ne fait pas partie des motivations principales, la contrainte financière pèse dans la balance pour expliquer la mobilité des étudiants au moment du confinement. Selon un sondage réalisé par Ipsos pour la fondation Abbé Pierre le 15 janvier, 35% des jeunes de 18 à 24 ans craignent de ne pouvoir faire face à leurs dépenses de logement en 2021.

Une autre conséquence néfaste qui plonge nombre d’étudiants dans la précarité est la contraction du marché du travail. En particulier, beaucoup d’étudiants ont éprouvé de grandes difficultés pour trouver un job d’été en 2020. Or, on sait bien que la période estivale est cruciale, en particulier pour les étudiants en situation de précarité, puisqu’elle doit leur permettre de mettre de l’argent de côté pour tenir le reste de l’année scolaire. La généralisation du chômage partiel, en permettant de limiter les dégâts, a aussi entraîné des pertes de revenus importantes.

Evidemment, les effets les plus spectaculaires ont été constatés du côté du déroulement des études, qui se sont vues complètement bouleversées par la crise sanitaire. La fermeture des universités a conduit à un réaménagement complet des modalités traditionnelles d’enseignement. La visioconférence est devenue du jour au lendemain la norme, contribuant à creuser les inégalités entre les étudiants. Selon un rapport de la Commission d’enquête parlementaire paru en décembre 2020 qui s’intéresse aux effets de la crise Covid sur les jeunes, 1 jeune sur 6 a arrêté ses études depuis le début de la crise.

C’est sans doute l’aspect le plus alarmant, la crise sanitaire a des effets délétères sur la santé des étudiants. Dans ce rapport parlementaire, les députées Sandrine Mörch (LREM) et Marie-George Buffet (PCF), insistent sur l’état de santé mentale et psychologique déplorable des étudiants. Ils en sont bien conscients eux-mêmes : plus de 50 % disent être inquiets pour leur santé mentale. Autre chiffre préoccupant révélé : les jeunes seraient 30% à renoncer à l’accès aux soins. La conclusion du rapport parlementaire est sans appel : la réponse à la précarité étudiante n’est pas à la hauteur des besoins.

Quelles initiatives urbaines en réponse à la précarité étudiante ?

Longtemps sous-estimé, il semble que l’ampleur du phénomène de la précarité étudiante est maintenant mieux prise en compte à la faveur de la crise sanitaire. Depuis le début de la pandémie, de nombreux dispositifs et initiatives de lutte contre la précarité étudiante ont été impulsés dans les collectivités territoriales. Il faut porter à l’actif de nombreux acteurs de s’être saisi du problème localement. 

Les cartes ont été rebattues par la crise sanitaire. La précarité étudiante s’insère dans un cadre urbain transformé. En particulier, la nouvelle répartition spatiale des étudiants a profondément modifié le visage des villes : des zones urbaines, lieux de vie et d’habitat privilégiés des étudiants en temps normal, se sont retrouvés privés de vie du jour au lendemain. L’enjeu urbain est donc de tenir compte de ces bouleversements pour mener une action efficace qui adapte les mesures contre la précarité en conséquence. Depuis le début de la crise sanitaire, comment les villes se mobilisent-elles pour apporter une réponse adaptée à la précarité étudiante ? Quels acteurs se sont impliqués à leurs côtés ?

D’abord, les agglomérations ont assuré le lien entre le Crous, les services sociaux, les universités et le tissu associatif. Dans la plupart des villes étudiantes, la priorité a d’abord été l’aide alimentaire. Des partenariats se sont noués en bonne intelligence avec les associations d’aide alimentaire. Bien que les étudiants ne relèvent pas de la compétence de la métropole, ces collectivités ont déployé diverses mesures. A Paris, la Maison des Initiatives Etudiantes (MIE) a ouvert des lieux destinés exclusivement à l’aide alimentaire d’urgence aux étudiants. La métropole de Bordeaux, quant à elle, a financé une banque alimentaire pour permettre la distribution d’un panier repas par semaine aux étudiants précaires. Dans la métropole d’Aix-Marseille-Provence, le Fonds d’Aide aux Jeunes (FAJ) a été élargi à tous les étudiants en difficulté pour contrebalancer la fermeture des restaurants universitaires. Des aides spécifiques ont aussi été apportées en fonction des besoins. Certaines villes ont mis l’accent sur l’accès au numérique. Toulouse a distribué 900 clés 4G, tandis que les métropoles de Lyon et Orléans ont subventionné les politiques d’accès au numérique de l’université. Pour soutenir les jeunes diplômés, la ville d’Angers a organisé en ligne le forum pour l’emploi.

Pour la rentrée de septembre 2020, qui s’est révélée critique pour beaucoup d’étudiants, les efforts ont été soutenus. Les Crous ont été très sollicités avec l’annonce à la rentrée de la possibilité pour les boursiers de bénéficier d’un repas à 1 euro dans les restaurants universitaires. Depuis, ce dispositif s’est étendu à tous les étudiants, et les repas sur place sont désormais possibles. Paris a mis en place un accompagnement des boursiers logés en dehors du Crous avec une aide à l’installation entre 500 et 1000 euros. Le budget de cette aide a ainsi été multiplié par six cette année.

Les étudiants ont été les premiers acteurs de la lutte contre la précarité, en réussissant à s’organiser et à faire porter leurs voix, grâce aux réseaux sociaux et lors des manifestations organisées en janvier dernier notamment. Les collectivités territoriales ont su tirer leur épingle du jeu, en créant des synergies avec les nombreux acteurs impliqués. La crise sanitaire a mis en valeur l’agilité  des collectivités et des associations à répondre à l’urgence de la situation. Avec l’enjeu de la précarité étudiante, la ville sort renforcée en apparaissant donc comme l’échelon pertinent pour mettre rapidement en œuvre des politiques efficaces. La encore, cela témoigne du fait que les villes sont le support de la solidarité et le lieu d’un fourmillement bienvenu d’idées, d’innovations, d’initiatives locales.

Photo de couverture ©XIIIfromTOKYO via Wikipédia